Recueil de poésie et de citations ainsi que des proverbes.

Poème : La rechute, de Jules Canonge.

Titre : La rechute amoureuse.

Recueil : Varia (1869)
Pourquoi donc en riant ressaisir ton empire
Quand je croyais l'avoir pour jamais secoué ?
Ton fol orgueil de mon délire
Ne s'est-il point assez joué ?

Je disais : Ces cheveux dont j'admirais l'ébène
De précoces frimas bientôt se couvriront ;
Sa taille n'aura plus la majesté de reine ;
Des plis disgracieux vont sillonner ce front.

Et les adorateurs dont la foule s'empresse
Soumise et triomphante à ses moindres faveurs,
Quand elle aura perdu la beauté, la jeunesse,
S'empresseront ailleurs.

Et moi je me dirai : Se peut-il que mon âme
Ait porté si longtemps le joug de cette femme ?
En la voyant venir je me détournerai ;
Plus j'en aurai souffert, plus je mépriserai.

Mais, pareille au ciel, quand s'apaisent
Les orages qui l'ont voilé,
Au flot de la mer, quand se taisent
Les vents fougueux qui l'ont troublé,
Des ennuis qui l'avaient pâlie
Voilà que tu sors embellie !

Plus pur, plus noble et plus vermeil
Ton front s'épanouit dans l'ombre,
Comme l'aube après la nuit sombre,
Ou la veille après le sommeil.

Jamais foule plus empressée
Autour de toi ne s'est pressée,
Car, jamais il ne fut plus doux
De se ranger sous ton empire,
De t'implorer, de te sourire,
Et de rêver à tes genoux.
Adieu donc, mon indifférence !
Adieu ma belle indépendance !
À peine reconquise il faut t'abandonner !
Oh ! sans regret je t'abandonne,
Car mon esclavage me donne
Plus de contentement que tu n'en peux donner !

Ainsi, de bonheur en souffrance
Nous allons, jouets d'un regard ;
Et, lorsque pour nous l'existence
N'est qu'un souvenir de vieillard,
Nos douces heures regrettées,
Celles qui furent emportées
Parle plus de rapidité,
Comptent toujours dans les journées
Que nos jeunesses fascinées
Oubliaient près de la beauté.
L'amour, lorsqu'il n'a rien d'immonde,
Est le foyer où se féconde
Tout ce qu'épanche notre cœur ;
Il ressemble à ces grands orages
Bienfaisants jusqu'en leurs ravages,
Et n'est par lui que le bonheur
Comme une onde dans les ravines,
Comme une fleur sur les ruines
Peut éclore dans la douleur !

Jules Canonge
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