Les meilleures citations de Jean Dutourd :
Le bon goût et l'amour de la vérité engendrent la passion de la justice.
Le premier mouvement de la langue, c'est d'articuler les deux petits mots : « Moi, je... » « Moi, j'aime les glaces au chocolat... Moi, j'aime les femmes maigres... Moi, j'ai très bien dormi... Moi, je suis un objecteur de conscience... Moi, si j'étais le Gouvernement... Moi, les inquiétudes métaphysiques, ça me laisse froid... Moi, je pense, donc je suis... Moi, je ne pense à rien, ça me repose la tête... Moi, il faut que je me change les idées... Moi, moi, moi ! ... » Comment faisons-nous pour supporter tous ces Moi qui nous entourent, qui nous clament leur nom aux oreilles, qui s'imposent à nos yeux, qui veulent mobiliser notre esprit, qui tentent constamment de nous ravir à nous-mêmes pour que nous prenions en considération, non leurs tourments ou leurs tragédies – cela du moins serait distrayant et peut-être instructif –, mais leurs minuscules besoins, les niaiseries qui leur traversent la tête, leurs goûts éphémères, les événements insignifiants de leur vie quotidienne ? Tous ces Moi qui me cernent et qui m'attaquent ne m'apportent rien de substantiel. Aucune sagesse, aucune expérience, rien de précieux ni de fécond. Les hommes sont aussi avares de leurs pensées sérieuses et de leurs sentiments réels que de leur argent. Ils me prodiguent la menue monnaie de leur existence, le billon, les boutons de culotte. À la fin de la journée, toute cette ferraille m'encombre les poches et déforme mon vêtement. Je n'en suis pas plus riche. « Le moi est haïssable », disait Pascal !
On veut être aimé pour rien, malgré ses défauts et surtout malgré ses qualités.
Il est infiniment doux de faire des projets avec l'homme qu'on aime, sût-on, au fond de soi, que ce sont des châteaux en Espagne. D'ailleurs sont-ce vraiment des châteaux en Espagne ? Vivre quelque chose par avance, c'est presque le vivre en réalité, cela fait autant plaisir ! Les rares hommes qui comprennent ce trait profond de la nature féminine sont extraordinairement aimés. Aimés comme seuls le sont les charlatans, qui promettent tout et ne tiennent rien. Les projets des femmes, c'est leur poésie.
Les femmes sentent admirablement ces nuances. Dès le premier mot ou presque, elles flairent l'homme dont le cœur est pris, et qui ne leur fait la cour que par dilettantisme sexuel ; les plus faciles y opposent une résistance de vierge.
Les femmes sont des caméléons, des miroirs pour l'homme qu'elles aiment.
Dans l'administration ou dans le commerce, quand on veut se débarrasser de quelqu'un sans douleur, on lui donne de moins en moins de travail, jusqu'au moment où le condamné en est réduit à se tourner les pouces. C'est une espèce d'asphyxie progressive. À ce moment-là, le président-directeur général a un entretien avec le malheureux. Il lui dit avec une infinie politesse, la voix brisée par le regret : « Vous voyez, mon cher, votre poste dans cette maison est superflu. Vous en convenez vous-même, et nous en sommes tous désolés. Ce n'est pas sans tristesse que nous nous séparons de vous, mais réellement, il n'y a pas d'autre solution. Ce n'est la faute de personne. Les affaires ont évolué de façon telle que votre place qui, à une certaine époque, était très importante, est devenue sans objet », etc. Il n'y a rien à répondre !
À la longue on se lasse de faire le bonheur des gens malgré eux.
Une femme qui vous a quitté laisse dans l'âme une traînée éblouissante.
Absurde. (Subst. masc.) Vieux, mais toujours à la mode. Découverte de 1945 : Dieu n'existe pas, rien n'a de sens, l'homme ne sait d'où il vient ni où il va, etc. Le philosophe de l'absurde est obligatoirement « lucide et désespéré », ce qui le conduit à avoir des idées de gauche.
Une femme ne passe jamais l'éponge sur une vieille tromperie.
Si l'amour est un maître, l'amitié est la plus discrète et la plus exquise des servantes.
Souvent des gens qui croient s'aimer, ou du moins ne s'interrogent pas là-dessus, ont cessé de le faire depuis plusieurs années. Les amours conjugales sont comme des tasses fêlées, qui peuvent rester longtemps entières, mais qui se cassent si on les trempe dans l'eau chaude.
À vingt ans, la vérité ennuie, j'entends la vérité profonde, la vérité de l'être, qui perce à travers les attitudes, comme les mauvaises herbes au milieu d'un gazon bien tondu. A vingt ans, toute vérité apparaît comme une ortie ou un chardon qu'il faut arracher. A quarante-cinq ans, il n'y a plus que les chardons et les orties qui m'intéressent en moi, et pour un peu j'arracherais le joli gazon qui est autour.
Le désespoir n'est pas une grande vague qui submerge un homme ; une brusque invasion, une maladie foudroyante qui brise d'un seul coup tous les ressorts. J'imagine le désespoir, moi, plutôt comme un microbe qui opère ses ravages dans un coin de l'organisme. J'ajouterai qu'il se passe avec le désespoir ce qu'il se passe avec à peu près tous les sentiments et toutes les passions : celui qui en est atteint l'ignore très longtemps. Il ne soupçonne rien du travail du microbe. Puis, un beau jour, il s'aperçoit qu'il ne reste plus rien en lui, plus une trace d'espoir. Tout a été grignoté. Il est comme une maison entièrement absorbée par les termites. La maison tombe en poussière. L'homme tombe en poussière.
On fait l'amour, ce soir ? Faut pas en abuser, mignonne.
Toute vie s'achemine vers son terme, telle est la destinée des hommes.
Le destin, lorsqu'il s'empare d'un homme, ne le lâche pas facilement.
Tout homme est le prophète de son destin, mais il ne le sait pas.
La supériorité dans l'amitié est un crime impardonnable;
La chasteté d'un couple n'est pas dans la continence.
Je me fous de l'argent, il n'est intéressant que pour ce qu'il procure.
Un authentique chagrin d'amour enferme en lui-même celui qui l'éprouve ; c'est comme une seconde cristallisation, plus solide que la première, et plus durable car, dans ce domaine, contrairement au proverbe, les absents ont toujours raison. L'être aimé vous eût-il dit adieu à jamais, vous eût-il accablé des plus grandes cruautés, on ne parvient pas à lui être infidèle, on est d'autant plus enchaîné charnellement à lui qu'il est invisible.
La bagatelle, on peut parfaitement s'en passer pendant des mois. La chasteté est bien moins pénible qu'on n'affecte de le dire, surtout les messieurs qui, sur ce chapitre, mentent à qui mieux mieux.
Ce qu'on n'a pas mérité est un cadeau, un sourire du destin.
L'amour, c'est uniquement une question d'odeur.
La vraie vie n'est pas d'aller s'enterrer à la campagne avec des imbéciles. La vraie vie c'est de voyager. Mais voyager comme autrefois, quand on restait parti dix ans ou trente ans, faute de moyens de transport pour revenir.
L'amitié est, de tous les sentiments, celui que j'aime le plus. Je vais même jusqu'à préférer un peu l'amitié à l'amour. L'amour prend trop de temps, trop d'âme ; il apporte des bonheurs et des ennuis trop considérables ; neuf fois sur dix il est assommant, et quand il n'est pas assommant, c'est pire. On laisse tout pour courir à lui, on est sans cesse à son service, et deux passions, c'est trop pour un seul cœur.
La plupart des gens traversent la vie avec pour tout bagage une centaine de proverbes. Ils se feraient couper en morceaux plutôt que de l'avouer, ils n'en sont même pas toujours conscients ; mais ces cent proverbes leur permettent de tenir soixante ou quatre-vingts ans sans catastrophe majeure, tout aussi bien que s'ils se réglaient sur les principes de Kant ou de Platon.
L'amour ressemble parfois à un feu qui prend mal, qui menace à tout instant de s'éteindre. Si tu y jettes des bûches, tu l'étouffes. Tu n'arrives à le faire durer qu'en ajoutant de temps à autre des brindilles.
Être quitté, cela signifie que votre amour n'est pas mort d'épuisement ou de vieillesse, mais qu'il a été assassiné, qu'il a été tué dans sa fleur.
Perdre le temps est un délice que je goûte souvent. Je vais de-ci de-là, l'esprit vide, deux pensées roulant dans la tête, comme des billes. Il ne me déplaît pas de perdre mon temps si c'est comme je le veux. Seul, du temps passé à m'ennuyer me semble réellement perdu.
La dépense exorbitante d'une chambre d'hôtel est à mes yeux un puéril gaspillage ; comment peut-on ainsi jeter par les fenêtres l'argent qui est si difficile à attraper, qui nous est si chichement compté lorsque nous n'avons que notre cervelle pour le gagner ?
L'amour est la grande affaire des femmes, même de celles qui ne l'ont guère connu ou pas du tout. Elles ont un œil d'aigle pour le repérer, si soigneusement se dissimule-t-il ; elles le devinent avant qu'il soit éclos.
Un homme et une femme qui passent leur vie entière ensemble, qui finissent par ne faire plus qu'une seule et même âme, qu'un seul et même être, est l'une des plus belles réussites humaines.
Les hommes organisent leur amour en fonction de leur vie, les femmes organisent leur vie en fonction de l'amour. L'amour ne pose aucun problème aux femmes, elles immolent tout pour lui avec enthousiasme. Alors que pour les hommes, il s'agit de l'ajuster, de le répartir, de l'empêcher de mordre trop sur les occupations, le gagne-pain, la position sociale, etc. L'amour se fraie un chemin comme il peut à travers l'âme encombrée des hommes, alors qu'il prend possession, souverainement, de l'âme des femmes, qui se vide de tout à son approche.
Peu à peu la séparation s'est faite, et maintenant elle est totale.
Qui donne ne sait jamais combien il faut donner ; qui reçoit croit toujours qu'on le gruge.
L'oisiveté, c'est la plus belle chose du monde, quand on n'en souffre pas.
Les gens qu'on aime, c'est sacré.
Vingt-huit ans est l'âge où l'on est placé devant le choix déchirant des pantoufles ou des pieds nus.
Le propre de notre temps est la malhonnêteté intellectuelle.
Un chagrin d'amour, cela s'organise et cela se savoure.
J'applique à ma manière la sagesse des nations : les capitulations dont ma vie est semée me donnent chacune la délirante allégresse du condamné à qui l'on accorde une remise de peine.
Il n'y a rien de plus guignard qu'un homme qui veut à tout prix se marier.
Rien n'est inéluctable en ce monde, et la plupart du temps l'on ne meurt que parce qu'on le veut bien.
L'esprit étincelant et vrai, qui frôle sans cesse le cynisme, effraye les jolies femmes.
Un Auvergnat, c'est plus malin que deux Juifs.
Tout le monde se moque des proverbes, s'amuse à les retourner, à les mettre en contradiction les uns avec les autres, mais il est certain qu'ils représentent une expérience globale, qu'ils sont les conclusions tirées par l'humanité de spectacles auxquels elle a assisté des millions de fois et qui ne varient guère.