Je n'ai jamais vécu d'une vie pleine, parce que le grand et profond amour dont j'ai besoin, je ne l'ai pas rencontré. La circonspection m'a préservé, elle ne m'a point satisfait. Mon cœur est resté vierge, et c'est là sa faiblesse. L'amour filial, fraternel, et toutes les autres formes de l'amour, il les a pressenties, appelés, il n'en a touché que des révélations imparfaites.
Quand un hasard fait rencontrer son pied, ou toucher la main de la femme qu'on aime, un doux frisson parcourt nos veines. Ce verre qui toucha sa bouche, on y presse avec transport la sienne : ce foulard qui lui appartient, à nos yeux est devenu un bijou précieux. Et si elle fut assise ici sur ce fauteuil, quel plaisir d'y rester ! Là où elle fit l'aveu de sa tendresse, quelle émotion en s'y retrouvant ! Tout ce qui n'est pas la tendre aimée ne peut plaire, on regarde froidement les autres femmes. On adorerait jusqu'à ses ridicules et ses difformités, si le nuage à travers lequel on la considère permettait de les entrevoir.
Si tu rencontres une femme humble, si toutes ses paroles et toutes ses actions respirent la bonté, un naturel de bon goût, de l'élévation de sentiments, une volonté forte dans ses devoirs, une attention à ne blesser personne et à consoler qui est dans la peine, à se servir des grâces de son esprit pour ennoblir les pensées des autres, alors aime-la d'un grand amour, d'un amour qui soit digne d'elle.
Il n'est pas impossible de rencontrer dans le monde des attachements très singuliers, ce qui y tient le moins de place est précisément la personne qui les inspire.
On peut rencontrer les hommes sans horreur, mais les fréquenter sans dégoût est impossible : il ne faut que de la bonté pour le premier cas, il faudrait de la bassesse pour le second.