Les 82 pensées et citations de Jean-Napoléon Vernier :
Il en est de la nature comme de la vie. Ce ne sont pas les existences les plus pures et les ruisseaux les plus limpides qui sont les plus productifs. La source claire et l'âme vertueuse réfléchiront bien l'image du ciel ou les fleurs de la prairie, mais les moissons abondantes ne se trouveront que là où le flot fangeux des jours et des rivières aura passé.
La gloire est une monnaie qui a toujours cours forcé chez les hommes. On vous prendra votre pain, votre champ, votre maison, votre cheval, votre valet, votre fils, votre père, votre fortune, votre repos, votre liberté ; bien mieux, on vous prendra vous-même ; on fera de vous un pantin, une machine qui devra marcher à la baguette : gardez-vous bien de vous plaindre ! Au contraire, soyez-en fier ! Vous aurez de la gloire : vous serez assez payé et toujours assez riche.
Certaines têtes ne lâchent l'esprit et certains tonneaux la liqueur qu’en lâchant la bonde.
La vivacité, réprimée à temps, agit, sur un cœur bon, comme à la fermentation arrêtée à point agit sur un vin généreux : en lui faisant déposer ce qu'il a d'acerbe, elle le fait devenir meilleur.
Il est un point au thermomètre du sentiment au-dessous duquel les âmes délicates ne peuvent plus exister. Le vice devient mortel aux hommes, comme le froid devient mortel aux plantes, quand il descend trop bas.
Voulez-vous retrouver les sources claires et les flots limpides ? Avec la truite remontez le cours du ruisseau. Voulez-vous retrouver les douces joies et les fraîches images ? Avec le souvenir remontez le cours de la vie.
La société, telle que la civilisation nous la fait, ressemble à un camp mis au pillage, et où, dans la part des biens et des positions, l'audace et la médiocrité l'emportent sur le mérite et la modestie. Les hommes, dans la société, sont comme les arbres dans une forêt trop épaisse : il faut qu'ils soient étouffés ou qu'ils étouffent les autres.
Toutes les sensations qui n'émanent pas de l'âme sont le reflet des objets extérieurs que l'homme subit et ne choisit pas toujours. Le jugement est la faculté de saisir les rapports existants entre les idées, les choses, les formes, les sons et les couleurs ; et le goût est un tact particulier qui nous les fait envisager au point de vue le plus harmonieux, soit dans leurs détails, soit dans leur ensemble.
La compassion transmet d'une personne à une autre une souffrance que celle-ci n'a souvent jamais éprouvée. La sensation qu'on en perçoit ne saurait être, par conséquent, l'effet du souvenir, et ne peut être attribuée qu'à la sympathie qui semble placée entre les hommes pour leur faire partager et leurs joies et leurs peines ; celles-ci, en les diminuant, et celles-là en les augmentant.
Dans le bonheur, comme dans la souffrance ; dans la richesse, comme dans la pauvreté, l'âme éprouve le besoin de laisser échapper les sentiments qui l'inondent et que la fragilité et l'insuffisance de l'homme lui font diriger vers le ciel. C'est ainsi que par la prière ils s'exhalent et s'élèvent vers le Créateur, soit pour implorer de lui des secours ou le remercier de ses bienfaits, soit pour lui porter notre amour ou notre reconnaissance.
Dans la vie, la souffrance fait ressortir le bonheur comme dans un tableau l'ombre fait ressortir la lumière. Dans l'une c'est le contraste des émotions, et dans l'autre le contraste des couleurs qui en détruit la monotonie et qui en augmente le charme. L'âme, pas plus que la nature, ne peut se passer du clair-obscur. Il faut la diversité des teintes dans les sentiments comme dans le paysage.
Quand le nom d'un sentiment nous gêne ou nous embarrasse, on se tire adroitement d'affaire en lui donnant un sobriquet. Ainsi la bêtise devient de la naïveté, la haine devient de l'aversion, et l'amour devient de la tendresse. De cette façon le monde se change en un bal masqué où l'on n'est admis qu'à l'aide du déguisement et où l'on ne se reconnaît qu'au moment de se quitter. C'est le cas de dire que les sobriquets sont les masques du langage.
Le feu des passions est comme le sable du désert, il produit souvent le mirage.
Les grandes passions sont comme les grandes rivières qui fertilisent ce qu'elles ne ravagent pas.
La philosophie n'arrête pas plus les souffrances du cœur qu'un pont n'arrête les eaux d'une rivière, mais elle aide à les traverser.
Les illusions de la vie sont comme les hirondelles, elles n'ont qu'une saison.
Chrétien, l'on se demande : Où vais-je ? Philosophe, on se dit : Que sais-je ?
Le cœur qui prend la raison pour médecin doit s'attendre à être mis à la diète.
Pour prendre la forme, la pensée, comme le bronze, a besoin de couler tout d'un jet.
Le vaniteux se donne autant de mal pour faire parler de lui que le sage pour se faire oublier.
On partage aisément les torts que l'on pardonne !
Dans quelque argument que vous enfermiez le sophiste, il trouve toujours une issue pour vous échapper.
Les grands esprits, pas plus que les cieux, ne sont toujours sereins : ils ont aussi leurs éclairs et leurs nuages.
Un cœur volage ressemble à une plaque de daguerréotype où l'iode a été oublié.
Quelque chose embarrasse l'incrédule qui cherche à nier Dieu, c'est l'idée de la mort qui ne laisse à son orgueil d'autre issue que le néant.
Deux tyrannies se partagent le monde : La mode et l'opinion.
L'homme ne succombe le plus souvent devant la force ou devant la beauté que parce qu'il se croit infaillible.
Fraîche beauté et antique noblesse n'ont que faire de parchemin.
Les prétentions sans la beauté sont un piège sans amorce, une souricière où l'on a oublié le lard.
Le jugement chez certaines personnes est comme une forêt épaisse où l'on s'aventure à travers un dédale de sentiers tortueux sans but et sans issue.