Les 55 pensées et citations d'André Lemoyne :
Il est des femmes que leur dignité sauvegarde, qui d'instinct ont horreur d'une tache, comme l'hermine de la boue.
Le sourire et le regard maternel n'a pas éclairé mon berceau.
Savoir donner de bonne grâce est vraiment si rare qu'on s'étonne parfois du petit nombre des ingrats.
Je donnerais tous mes rêves de gloire et mes plus saintes joies d'artiste pour une heure d'amour en toute franchise de cœur.
L'homme, fils de la femme, est illogique, et souvent bien plus qu'elle.
Si tes deux mains sont pleines de vérités ne laisse échapper que les vérités consolantes.
Le siècle fourmille de vieux enfants las qui répugnent à la fatigue de penser. Déploie un rouleau d'images, ou chante-leur des chansons.
Les règles générales ne ressemblent-elles pas aux grandes routes qui poudroient sous les mille pieds des troupeaux aveugles ?
On associe un peu trop aisément la misère et le génie : la misère est une rude couveuse; pour un œuf enchanté qu'elle a fait éclore, combien en a-t-elle écrasés !
La conscience : Petite lanterne sourde que la solitude allume dans la nuit.
Le vin, l'argent, la gloire : sources de trois ivresses difficiles à bien porter. Bon an, mal an, vous avez rencontré cinq ou six buveurs de belle compagnie ayant le bourgogne ou le bordeaux galant homme ; dans l'espace d'un demi-siècle, peut- être deux ou trois riches que leur fortune ne grisait pas, à l'aise dans leurs millions comme une grande dame dans sa toilette : pour la troisième ivresse, si, dans le cours de votre existence, vous avez connu un seul demi-dieu pouvant aspirer les aromes du cigare magique sans être étourdi par ses bouffées capiteuses, montrez-le-moi, je vous prie ; que je mette un genou en terre.
Si vous faites la part de l'organisation d'un homme, de son éducation, du milieu social où l'ont jeté sa naissance ou le hasard, et si vous daignez réfléchir à la somme d'énergie nécessaire au lutteur engagé dans cette passe terrible de la vie, vous serez parfois effrayé de la grandeur morale de certains personnages que l'histoire oubliera, et vous trouverez dans l'intimité de votre cœur une indulgence sans bornes pour la faiblesse de tant d'autres.
Ne trouvez-vous pas le bon sens ridicule et la raison stupide quand le cœur est en jeu ?
A quelques lieues de Paris, le chemin de fer passe à travers un cimetière. A la vue des cyprès et des pierres blanches fuyant aux deux bords de la route, on se demande : A quoi bon marcher si vite pour en arriver là ?
Au fond des plus belles proses on trouve souvent un poète défleuri, qui , d'un œil mal essuyé, contemple son ancienne couronne de Nanterre.
La valeur d'un écrivain se mesure à la somme de pensées qu'il remue dans un siècle.
Après cette vie terrestre où donc irai-je ? Où sont allés ceux que j'aime. Le reste m’importe peu.
Comme l'algèbre, le merveilleux a sa logique ; c'est un petit monde à part, un paradis terrestre hanté par de rares adeptes qui se grisent d'azur et de rosée. Une fausse note dans cette assemblée d'élite est d'une discordance aussi terrible que le cri rauque d'une perruche à travers une belle phrase de Mozart.
Il y a gens d'esprit et gens d'esprit. Que de frelons passent pour abeilles ! Heureux qui sait cueillir les sommités fleuries !
Laisser croire qu'on a des idées rapporte souvent plus que d'en avoir.
S'il est des femmes qui spiritualisent la chair, il en est d'autres qui bestialiseraient le génie.
Nous ne sommes créés ni pour les grandes douleurs, ni pour les joies trop grandes ! Une pluie fine réjouit les œillets et les tulipes, et ne fait qu'en raviver les couleurs ; une averse brise les tiges et couche les plus belles fleurs dans la boue.
La langue française, si pauvre pour les écrivains qui la connaissent peu, n'est-elle pas d'une richesse inouïe pour le virtuose qui laisse à point tomber son doigt sur la note précise de l'immense clavier ?
Les bons vers sont comme les bons vins, ils gagnent à vieillir.
Il est de pauvres gens qui ont le malheur de tout comprendre.
J'aime peu les avocats ! Quand on veut me prouver quelque chose, j'ai l'habitude de m'en aller.
Les choses les plus graves, les plus belles, les plus saintes, ne se prouvent pas, mais se révèlent : nous comprenons l'amour en aimant, la charité en donnant, la foi en croyant.
Chacun a ses pauvres. Pour moi, je donne de préférence à ceux qui me plaisent ; c'est injuste pour ceux que j'oublie à regret : j'aime à penser qu'ils pourront plaire à d'autres.
Jusqu'à présent personne n'a pu me prouver que Dieu n'existait pas : donc j'y crois.
Toutes les religions sont bonnes ; la plus belle des raisons ne vaudra jamais la suprême douceur de croire à quelque chose.
Pourquoi s'étonner du grand nombre des ingrats ? Donner de bonne grâce est si rare ! Aux mauvais semeurs, la récolte des ronces.
Notre impossibilité de concevoir Dieu nous donne une idée magnifique de sa grandeur.
Les serments se prêtent mais ne se donnent pas : ce qui explique leur grand nombre.
Il est des heureux qui naissent pour aimer, et d'autres pour être aimés.
Entre les aveugles-nés et les aveugles par accident la différence est grande : aux derniers seuls la douleur. Ils ont joui de la lumière, ils savent ce qu'ils ont perdu, tandis que les premiers marchent au milieu d'un paradis terrestre qu'ils ne connaissent que par ouï-dire ; ils ne peuvent soupçonner les splendides paysages que chaque aurore éclaire pour les voyants. Les êtres qui n'ont jamais aimé ressemblent aux premiers aveugles.
J'aime le sourire des gens graves. Quand je vois s'entrouvrir la bouche discrète des penseurs, je me souviens des riches floraisons répandues sur les calmes étangs des bois : trèfles d'eau, sagittaires, nymphæas, villarsies. Les enfants qui passent ne se doutent pas des longues racines chevelues qui plongent aux abîmes ; ils n'aperçoivent que la fleur suave éclose des profondeurs.
Hygiène morale, santé du cœur.
Quand la poésie se met à la queue d'un parti politique, elle se dégrade. De souveraine, elle descend au rôle de servante. La princesse éblouissante devient Peau d'Ane. Et pourtant notre cour devrait être un abime d'indulgence pour les poètes, ne fût-ce que par gratitude pour les saintes joies qu'ils nous ont données dans leurs jours de lumière.
Au printemps dernier, j'ai pu voir un papillon sortant de sa chrysalide comme de l'étui d'un éventail. D'abord interdit et comme ébloui par le grand jour, il se traîna gauchement sur le sol, étirant ses ailes gommeuses, agglutinées, collant au corps comme une robe de soie chiffonnée ; mais le soleil eut bientôt fait de lui sécher les ailes, et, comme une flèche, il disparut dans un rayon du matin. Après son départ, l'intérieur de la chrysalide garda longtemps ses couleurs : bandes de pourpre, stries d'azur et points d'or. En songeant à cette chrysalide et aux riches empreintes qu’y avait laissées le splendide pèlerin du ciel, je me souviens des cœurs où l'amour a passé.
On a comparé les hommes qui changent d'opinion à des girouettes qui tournent ; ceux qui n'en changent pas, à des girouettes rouillées qui n'obéissent plus au vent. Nous voilà donc rangés dans une de ces deux catégories : nous sommes des pantins ou des ganaches ; dure alternative. Tous les changements sont fort honorables quand ils n'ont pas eu l'intérêt pour mobile. Mais qui le saura ?
L'oiseau qui n'a pas encore brisé la coquille de son œuf peut-il se douter par avance des magnifiques paysages qu'il verra défiler dans son vol, lorsque, obéissant au libre gouvernail de ses ailes, il s'en ira tout en joie par le ciel, saluant au miroir des rivières la frémissante image des chênes et des hêtres dont les hautes cimes verdoient mêlées à des rougeurs d'aurore ? – Pour l'inconnu d'une autre vie, nous sommes l'oiseau dans l'œuf, hermétiquement clos : impossible de rien voir au travers. Mais nous avons des pressentiments, et plus nos pressentiments sont riches, plus notre intelligence est grande.
Un positiviste peut être un honnête homme, mais, assurément, il est affligé d'un cerveau étroit ; avec la patience des taupes souterraines il peut creuser, pour une certaine classe de curieux, de profondes galeries d'érudition, mais il n'invente rien. L'imagination lui manque, et le goût et le sens critique. Dans mes jours gris, j'ai eu le malheur d'en connaître quelques-uns : pas une lueur dans leur physionomie, pas une inflexion reposante dans leur timbre de voix.
Les grands prosateurs sont presque aussi rares que les grands poètes.
J'ai connu des gens polis comme des notaires, paraissant discrets comme des confesseurs, qui dans le geste ou dans les mots n'avaient rien de compromettant si on venait à parler d'une femme absente, mais leurs yeux s'éclairaient d'une lueur singulière et devenaient bavards comme des crieurs publics.
Ô sainte hypocrisie du cœur, sois mille fois bénie, comme la clef d'or ouvrant le paradis des songes ! sans toi les chemins fleuris où nous guide sûrement la main d'une femme courageuse ne seraient qu'une voie semée d'épines et de ronces : les mauvaises nouvelles écartées, les créanciers apaisés, les courants d'air étouffés dans les froids corridors, le gibier cuit à point, le café noir saisi dans son arome, les pantoufles des petites habitudes chaudement fourrées de cygne, tous ces riens enchantés constituant la seconde moitié de la vie, à qui les devons-nous ? Nous serions de grands ingrats de ne pas le reconnaître.
Les plus hautes cimes sont éclairées les premières par le soleil qui se lève et retiennent les dernières lueurs du soleil qui s'en va : images des peuples providentiels, à l'aube et au déclin de leurs destinées.
Les gens acclimatés dans la douleur sont dépaysés dans les joies. Que, par une rare fortune, une seule fois dans leur vie, ils aient le malheur d'être heureux, ils cèdent à la secousse ; ils passent brusquement comme d'un rêve dans la mort, sans transition, avant d'avoir bien compris la prospérité qui les tue.
Quelques chirurgiens, qui m'ont tout l'air de mauvais plaisants, s'étonnent de ne pas trouver l'âme au bout de leur scalpel, en fouillant le cadavre : c'est la chercher quand elle est partie !
La politique et l'économie sociale intéressent peu les artistes. Cette vulgaire cuisine ne les regarde pas. Le beau et l'utile ne doivent pas se confondre. La betterave et la rose ne furent jamais sœurs.
Les artistes, constamment préoccupés de l'expression du beau, vivent dans un monde à part, dans une haute région, leur vrai domaine, où, sans mot dire, d'un geste, d'un regard, les initiés se comprennent, comme dans une franc-maçonnerie tacite des intelligences.
Les carpes aiment la boue, la truite les eaux limpides. Ainsi dans le monde moral à chacun son élément, ce qui tue les uns fait vivre les autres.
Se trouver à l'aise dans la compagnie des hommes supérieurs indique une supériorité, et réciproquement : un être inférieur y sera gêné comme une oie fourvoyée parmi des cygnes.
Don Juan c'est Chérubin grandi, l'adolescent fait homme, le rêve réalisé… il ne doit pas vieillir.
Si vous dépassez une petite moyenne de vertus, attendez-vous à être traité comme de grands criminels ; exemples : Socrate, Jésus-Christ, Jeanne d'Arc.
Les grands poètes sont les plus clairs : une merveilleuse lucidité dans l'ordre des idées, la plus rigoureuse précision dans le choix des mots feront éternellement vivre Homère, Virgile et La Fontaine, que lisent les enfants et que se font relire les vieillards, à l'aurore des impressions, aux dernières lueurs de la pensée.