Les 95 pensées et citations de Georges Perros :
Certains hommes se placent au-dessus de leur malheur pour rendre compte de celui des autres.
Il ne faut pas être grand clerc en écriture pour savoir à quel point il est rare d'être véritablement branché sur ce que les mots tracés sur une page blanche tentent de boire, d'effacer, en quelque sorte ; en vue d'une vie plus large, plus ouverte, mots proues, allant tâter le terrain, qu'on sait miné, et tant pis, dès lors, si on saute avec. Très rare ! On n'utilise les mots que pour n'en plus avoir besoin. Mais rien ne repousse plus vite qu'un mot.
L'écriture c'est passer le temps. La musique c'est le faire passer. La peinture c'est l'effacer.
On est toujours un con pour sa femme. Ou c'est une conne.
Pendant qu'on travaille, qu'on est retiré dans sa chambre, qu'on écrit, le monde bouge, remue, comment le prendre dans ce qu'on écrit, dans le même temps, comment ne pas accumuler les retards, les injustices. Même au degré journalistique. Tout est fait, fini, calciné, quand l'article paraît. Quand le texte sort. Comment laisser le présent au présent ?
L'homme n'a pas en lui de quoi aimer trente-six fois. Ou c'est qu'il nomme amour une bien faible flammèche. Quand on a bien aimé, quand on a tout brûlé, il se fait un grand vide, une grande blessure à cicatriser par le temps. Mais qui ne voit que la vie est trop courte pour récidiver ?
Je ne peux pas concevoir un homme sans cesse occupé de ce qu'il fait, a fait, va faire. Quoi qu'il fasse. L'homme m'est impensable qui n'éprouve pas, tous les jours, fût-ce un quart d'instant, le vide, l'impossible à vivre. C'est ce quart d'instant qui me passionne. Qui a fait ma vie. Ce quart sans la moindre référence, le moindre souvenir, la moindre hérédité. Ni cruel ni pessimiste ni perceptible à qui que ce soit. C'est comme une douleur furtive qui vous traverse comme un avion passe un nuage.
La vie est démesurément longue, démesurément courte. Quand on se prévoit, c'est à frémir d'horreur. Nous allons être à perpète cette poussière d'os dans une boîte bien fermée, si bien fermée qu'allez, on n'en sortira jamais. Certains jours, je me dis : tant mieux. D'autres : dommage.
Ce n'est pas parce qu'on visite un cimetière qu'on connaît ses habitants.
Qui écrit pour se sauver est foutu d'avance.
La plume est ce que j'ai trouvé de plus aigu pour percer le mur de la minute, pour rompre l'enchaînement empoisonné du temps. Mais si ce mur reculait au fur et à mesure que j'avance, à la même vitesse ! Si on ne bêchait que la distance !
J'écris, ce n'est pas mon métier, aucun métier ne ressemble à l'homme. C'est mon possible. Je sais que si je n'écris pas, quelque chose cloche, qui signale la catastrophe. J'ai des amis plus fous que moi. J'étais aussi fou dans ma jeunesse. Quand je n'avais pas pondu mes dix pages d'âneries dans la journée, je tombais malade. Ou amoureux. Ça se vaut.
Écrire est un privilège, c'est le privilège du pauvre.
La nuit donne des idées, pourquoi en faire des rêves, comme si les idées diurnes étaient plus achevées que celles du sommeil. Ces idées, parfois, nous échappent, on ne sait pourquoi. Pendant qu'elles déroulent leur absolu, on pense qu'il faudrait les noter. Elles, et non les autres. Or ce sont celles-là qu'on ne note pas, qui reviennent périodiquement, sans qu'on puisse jamais les retenir.
L'homme accepte son malheur, son esclavage, pourvu qu'on lui promette trois semaines d'ennui libre tous les ans, et la retraite un peu avant de mourir. Je n'invente rien, nous en sommes tous un peu là.
Il y a longtemps que je me serais quitté si je ne tenais si évidemment à ma peau. Mais j'ai des absences. Il suffit que je fréquente des hommes dont les soucis diffèrent des miens. Avec lesquels il m'est impossible d'être. Vous me demanderez pourquoi je les fréquente. Oui. Je me le demande aussi. Mais je n'ai jamais pu sélectionner mes compagnons de voyage. Et comme il y a des hommes partout, et que je ne saurais vivre ailleurs que partout, les hommes sont là. Nous sommes là.
C'est quand je suis tout seul que je me sens le plus humain. Comment concilier cet état avec l'autre, de fréquentation ? J'essaie. C'est difficile. Qui a connu une solitude alcoolisée pas question de boisson mieux vaudrait qu'il ne se marie, ne fréquente. Il sait où sont ses amours. Et ses désastres. A déposer nulle part. Nous sommes êtres pour poubelles. Tout ce qui nous fait vivre y va.
Pour écrire, il faut, il suffit expressément que je ne pense à rien. A personne. Le désert total. Sinon, je redeviens modeste. Incapable. Comme dans la vie. Dans la rue. Voire dans le lit.
On a tort de se plaindre. Si on savait d'où on vient, où on est, où on va, ce serait l'enfer absolu.
On demande une miette d'amour pour tous les jours. On nous en donne une tonne pour l'éternité, qui est la mort.
Si j'étais celui que croient que je suis les gens qui m'aiment en pensant me connaître, je ne les fréquenterais pas.
Le comble du pessimisme est de croire à Dieu.
Aimer, c'est donner à quelqu'un le droit, sinon le devoir, de nous faire souffrir.
La beauté, qui se dit très objectif prend femme à plutôt belle tête qu'à bel intellect.
La critique, c'est comme la politique, ou le théâtre. Ça ne doit pas durer trop longtemps.
Un imbécile qui vous dit « aimer ce que vous faites », quel désastre !
Tant vaut l'homme qui écrit tant vaut sa critique.
Le sexe, c'est un millier de femmes ; une femme, un millième de sexe.
Le rêve est l'aphorisme du sommeil.
Il y a plaisir à dire ce qu'on pense, oui : c'est souvent dire son imbécillité.
Être souvent seul, et faire de soi tout son univers, cela peut être la source de grandes joies.
Quand j'étais jeune, je me croyais immortel : j'ai changé d'avis.
La vie est une aveugle qui tient l'homme en laisse.
Un tableau, c'est une pensée sous scellés.
Écrire, si on est un grand artiste, on y passe sa vie, on se jette dedans.
Écrire, c'est une maladie, c'est une maladie qui donne des illusions.
Aimer la littérature, c'est être persuadé qu'il y a une phrase écrite qui nous re-donnera le goût de vivre.
Aimer, c'est s'attacher et chercher à attacher.
Parler de la difficulté, de l'ésotérisme, c'est se donner des gants.
Lire, c'est jubiler ; lire, c'est plaisir.
Chaque fois qu'on lit un poète mort, on le ressuscite.
L'homme travaille parce qu'il s'ennuie ; s'il ne travaillait pas, il ne s'ennuierait plus !
L'amitié ne va pas sans amour, qui en est comme la base, la note de fond.
L'amitié est spirituelle ; l'amour, temporel.
L'amour exige un acte ; l'amitié, mille.
On ne saurait coucher avec toutes les femmes qui nous « plaisent », sans plus !
La femme amoureuse n'a plus de passé.
L'homme ne demande que la caresse.
Il est très rare qu'une femme me donne envie de coucher avec elle autrement que comme une putain.
Les hommes sont changeants, on se sentirait coupable d'avoir tout dit à un seul d'entre eux.