Tous les mystères aiment le silence, surtout les mystères de la douleur.
On a tort de répéter à tout propos la méchante épigramme que le mariage nait de l'amour comme le vinaigre naît du vin, car il arrive souvent que l'amour, comme s'il tenait de la nature du bombyx, ne produit de soie que lorsqu'il a perdu ses ailes.
Tant que l'amour porte des ailes et vole capricieusement dans l'espace sa vie est tissue du parfum de l'innombrable famille des fleurs ; mais les fleurs passent et les tièdes journées avec elles. Bientôt surviennent les jours sombres : le soleil est pâle, l'atmosphère est âpre, et l'homme ne peut plus réchauffer ses membres engourdis qu'en jetant de ses propres mains du bois dans son foyer, réchauffer son cœur glacé qu'au contact des affections intimes.
Celui-là doit se plaindre qui s'est rendu l'esclave de deux beaux yeux, d'une belle chevelure, qui cachent un cœur pervers, une âme basse et vicieuse. Le malheureux voudrait fuir ; il est comme un cerf, qui emporte partout avec lui le trait qui l'a blessé : honteux de lui-même et de sa faiblesse, il n'ose en parler, et fait d'inutiles efforts pour en guérir.
Quoique la dissimulation soit ordinairement blâmable, et qu'elle soit la marque d'un mauvais cœur, il y a cependant bien des occasions où elle a procuré des avantages évidents. Souvent elle a garanti de bien des dangers, du blâme et même de la mort ; car, dans cette vie mortelle, sans cesse exposée aux traits de l'envie, et dont les jours sont plus nébuleux que sereins, on n'a pas toujours à traiter avec des amis.
Pour bien juger les autres, il faudrait savoir se juger soi-même ; or, l'amour-propre est toujours là, couvrant nos défauts de son voile et prêt à déchirer le voile qui couvre les défauts des autres.
On prétend que les hommes ont plus de penchant pour le mal que pour le bien. Cela n'est pas ; mais, comme un faux système d'éducation s'oppose au développement normal de leur intelligence, ils restent toute leur vie de grands enfants qui marchent de travers.
Ô race humaine ! pourquoi mets-tu ton cœur en des biens dont on ne peut jouir qu'à condition d'en éviter le partage ?
Toute histoire bien racontée est un roman ; tout roman bien conduit ressemble à l'histoire. Un proverbe bien connu dit : « Si cela n'est pas vrai, c'est bien inventé. » La proposition inverse n'est pas moins juste : Si cela est bien inventé, c'est vrai !
L'homme est un loup pour l'homme, et jamais une nation n'a reçu d'une nation étrangère que des insultes et des dommages.
Un ancien philosophe disait qu'il n'y a pas sur la terre de spectacle plus sublime que celui de l'homme vertueux aux prises avec l'adversité. C'est peut-être là un spectacle très agréable pour les dieux ; quant au monde, il ne fait tout au plus que confirmer le titre de grand et de bon sur la tête de ceux à qui le hasard en a donné le diplôme.
Nous reconnaissons qu'un mauvais gouvernement peut exercer une influence corruptrice et fatale ; mais le proverbe dit que « si un enfant suffit pour conduire un cheval à l'abreuvoir, vingt hommes ne peuvent forcer l'animal à boire ». Donc, si les gouvernements pratiquent de coupables séductions, il faut reconnaitre qu'ils ont trop souvent affaire à des gens tout disposés à se laisser séduire.
On dit que le peuple français est celui qui se laisse prendre le plus facilement aux jongleries du pouvoir ; à mon sens, cela prouve qu'il ne faut pas un grand génie pour tromper ceux qui ne demandent pas mieux que d'être trompés ; la politique se réduit donc à l'art d'amuser des enfants.
Quoique inhabile à feindre, on peut très bien dissimuler ; une expression de visage, neutre, passive, grave, sombre, permet de cacher toutes ses émotions.
J'estime plus le savetier qui raccommode moyennant salaire la chaussure du ministre, que l'avocat qui vient la lécher en sollicitant un emploi.
L'homme qui est sûr de pouvoir facilement se faire aimer possède un incontestable avantage ; mais celui-là n'est pas doué d'un moindre privilège qui a la con science de pouvoir se faire craindre. Dans quatre-vingt-dix -neuf cas sur cent, la crainte exerce sur nos semblables plus d'influence que l'amour.
L'instinct du peuple est comparable à celui du cheval qui rue contre la cravache quand il ne peut atteindre celui qui la tient. Les exécuteurs des lois portent toujours la peine de l'exécration due à celui qui les impose ; et le degré de civilisation et d'autonomie, auquel est parvenue une nation, peut toujours être apprécié d'après le respect et la sympathie qui entourent les agents de la force publique.
L'appel fait à notre amour-propre est toujours entendu, lors même qu'il émane de la personne qui nous inspire le moins d'estime.
À tout homme du tempérament fougueux d'Oreste, il faut un ami doué de la patience obséquieuse de Pylade, ayant quelque chose du naturel du chien, prêt à subir les rebuffades, heureux d'avoir un maitre et de lui lécher la main, soit qu'il en reçoive des coups ou des caresses.
Si tous les fous portaient le bonnet blanc, nous ressemblerions à un troupeau d'oies.
L'ambition est une arme à deux tranchants, mais elle offre un manche à quiconque a l'adresse de la saisir. La gloire n'est qu'une ombre, une fumée ; mais cette ombre atteste l'existence du corps qui la produit : la fumée est l'indice infaillible du foyer d'où elle émane.
J'abhorre toute espèce de simulation ! Plutôt le diable avec ses cornes, mais à visage découvert, qu'un saint qui cache sa tête dans un capuchon.
Une seule goutte de sang gratuitement répandu est plus qu'un crime ; ce qui ne pèse guère sur les consciences politiques de notre âge d'or, c'est une lourde bévue.
Pauvres mortels, nous avons tous nos travers et nos folies ; mais celui- là doit être considéré comme moins aveugle et moins méchant, qui, tôt ou tard, a le mérite de découvrir ses faiblesses et la franchise de les confesser.
Le patriotisme est comme la poésie, c'est un métier qui ne donne pas de pain.
L'homme est l'artisan de sa destinée ; il ne fait qu'obéir à ses propres passions, quand il se croit victime d'une irrésistible fatalité.
On devrait toujours parier contre ce que l'on désire, car de deux choses l'une : ou l'on perd son pari et l'on a la satisfaction de voir se réaliser ses vœux ; ou bien notre désir est déçu, mais on a pour se consoler le gain du pari.
Un cœur possédé d'une grande haine montre par là qu'il est capable d'un grand amour.
On a comparé le mariage à l'action de jeter l'ancre dans le port après avoir navigué au milieu des tempêtes de la vie ; mais il arrive quelquefois qu'on se jette à la mer avec l'ancre au cou.
Un premier amour, tranché par la faux impitoyable de la mort, fait au cœur une blessure dont la cicatrice est ineffaçable.