Titre : Le temps et la mort brisent un nœud d'amitié.
Recueil : Les poésies et sonnets d'un voyageur (1844)
Oh ! donne pleinement ton cœur et ton amour,
Aime dans le bonheur, aime dans la souffrance.
Le temps fuit, le temps vole, et la mort chaque jour
Brise un nœud d'amitié, détruit une espérance.
Garde en toi le foyer des nobles sentiments ;
À toute âme qui reste attachée à ton âme,
Et dans son abandon croit à tes dévouements,
Garde les doux pensers, garde la foi, la flamme.
À qui t'ouvre son cœur ne ferme pas le tien.
Prends ta part de sa peine et de son allégresse.
Sois content, si tu peux lui faire quelque bien,
L'aider aux mauvais jours d'orage et de faiblesse.
Et surtout, réfléchis à ce que tu diras.
Hélas ! c'est sitôt fait de dire un mot qui blesse.
Offenser un ami ? Non. On n'y songeait pas,
Il s'éloigne pourtant plongé dans la tristesse.
Puis, quelque jour, en vain on invoque sa voix.
On va s'agenouiller sur sa tombe muette.
On voudrait le revoir, cet ami d'autrefois
Que l'on a méconnu, que trop tard on regrette.
L'œil humide de pleurs, et le front incliné,
« Pardonne, lui dit-on, pardonne mon offense. »
Il a depuis longtemps sans doute pardonné.
Il a souffert aussi, bien longtemps en silence.
Et nous n'aurons pas pu tempérer son chagrin,
Nous ne saurons jamais ce qu'il voulait nous dire ;
Nous ne serrerons plus sa main dans notre main,
Nous ne reverrons plus son amical sourire.
Oh ! donne pleinement ton cœur et ton amour,
Aime dans le bonheur, aime dans la souffrance :
Le temps fuit, le temps vole, et la mort, chaque jour
Brise un nœud d'amitié, détruit une espérance.
Xavier Marmier (1808-1892)