Nous sommes trois, d'Élise de Pressensé.

Titre : Nous sommes trois.

Recueil : Les poésies nouvelles (1869)
J'errai longtemps dans l'humble cimetière,
Où tant de calme embellissait la mort ;
Puis je m'assis sur une étroite pierre.
Sans doute, là, c'est un enfant qui dort.

Un jeune enfant, fleur gracieuse et belle,
Cueillie, hélas ! au matin d'un beau jour,
Ange qui n'eut qu'à déployer son aile
Pour retourner au céleste séjour.

Mes pleurs coulaient... je pensais à sa mère.
Un bruit léger me fit lever les yeux :
Je vis au pied d'un cyprès solitaire
Un bel enfant au sourire joyeux.

Tout en riant, d'un air un peu sauvage,
Il s'enfuyait, puis revenait à moi ;
Mais par degrés s'approchant davantage,
Il vint s'asseoir à mes pieds sans effroi.

— Tout seul ici ! mon enfant... et ta mère ?
— Elle est là-bas... Pour le repas du soir
Voici l'heure où, devant notre chaumière,
Le père vient auprès de nous s'asseoir.

Mais pour jouer avec toi sous l'ombrage,
Dis, n'as-tu point de frères ni de sœurs ?
Es-tu donc seul ? Point d'enfant de ton âge
Pour rire ensemble et pour cueillir des fleurs ?

L'enfant se tut, puis, d'une voix rêveuse :
Nous sommes trois, répondit-il enfin.
Où donc sont-ils ? Ah ! ta mère est heureuse
Si leur regard a la candeur du tien.

— Ils ont quitté tous deux notre demeure,
Et je ne puis plus jouer avec eux.
En les nommant, toujours ma mère pleure...
Elle me dit pourtant qu'ils sont heureux.

Ils sont là-haut, plus loin que ce nuage,
Dans un jardin, sous des arbres fleuris,
Et l'on me dit que, si je suis bien sage,
Un jour, j'irai dans ce beau paradis.

Souvent le soir, sur cette froide pierre,
Ma mère ici vient se mettre à genoux,
Pleurer longtemps et faire sa prière,
Et moi je dis : Mère, quand irons-nous ?

Heureux enfant, le ciel est ta patrie,
Rien ne le voile à ton œil enfantin,
Et dans la mort tu ne vois qu'une vie
Plus belle encor que ton riant matin.

Élise de Pressensé
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