Je veux passer ma vie à lire des poèmes en attendant que le grand Poète me cueille.
Lire quand on est enfant, c'est quitter sa famille et devenir jeune mendiant, tendre la main aux princes de passage. C'est aller en Sibérie, avec loups et cris de neige, si loin que votre mère ne vous retrouvera plus, criant « à table » dans le désert, loin, très loin du petit contemplatif aux yeux brun-vert gelés comme un lac.
La lecture est un billet d'absence, une sortie du monde.
La femme pour un homme, c'est ce qu'il y a de plus loin au monde.
Se quitter soi-même, la seule manière de tout quitter.
Lire et écrire sont deux points de résistance à l'absolutisme du monde.
Une belle vie, c'est une vie où on a beaucoup souffert.
Au départ le fou et le saint ont cette même insensée prétention de dire la vérité. C'est après que cela se gâte. Le fou est celui qui, énonçant la vérité, la rabat sur lui, la capte à son profit. Le saint est celui qui, énonçant la vérité, la renvoie aussitôt à son vrai destinataire, comme on rajoute sur une enveloppe l'adresse qui manquait.
Aimer quelqu'un, c'est le dépouiller de son âme, et c'est lui apprendre ainsi - dans ce rapt - combien son âme est grande, inépuisable et claire. Nous souffrons tous de cela : de ne pas être assez volés. Nous souffrons des forces qui sont en nous et que personne ne sait piller, pour nous les faire découvrir.
La beauté vient de l'amour ; l'amour vient de l'attention.
La beauté est une guérison de l'esprit par aggravation de son mal.
Après les nuages, ce qu'il y a de plus beau au monde c'est un livre.
L'amour comme la mort simplifie, le vrai nom de l'amour est la simplicité.
Il y a ainsi des gens qui vous délivrent de vous-même aussi naturellement que peut le faire la vue d'un cerisier en fleur ou d'un chaton jouant à attraper sa queue. Ces gens, leur vrai travail, c'est leur présence.
C'est une chose étrange que l'absence. Elle contient tout autant d'infini que la présence. J'ai appris cela dans l'attente, j'ai appris à aimer les heures creuses, les heures vides : c'est si beau d'attendre celle que l'on aime.
Ceux qui savent nous aimer nous accompagnent jusqu'au seuil de notre solitude puis restent là, sans faire un pas de plus. Ceux qui prétendent aller plus loin dans notre compagnie restent en fait bien plus en arrière.
Le bonheur va avec le malheur, la joie va avec la peine.
Aimer ou écrire c'est même chose. C'est toujours se soumettre à la claire nudité d'un silence. C'est toujours s'effacer.
La vie est parfois grave, souvent légère, mais jamais sérieuse.
L'enfance est le plus clair reflet de Dieu.
L'intelligence, c'est l'amour avec la liberté.
L'intelligence n'est pas affaire de diplômes.
Le cœur, c'est une intelligence qui peut venir même aux imbéciles.
L'amour donné un jour, c'est pour toujours qu'il est donné.
L'esprit est au corps ce qu'est l'abeille à la ruche : toujours en dehors, toujours à l'aventure d'un parfum ou d'un songe. L'esprit va en avant-garde dans le monde. La chair fait son miel avec ce que lui ramène l'esprit. La chair se nourrit des substances prélevées par l'esprit dans le monde éternel, la chair se nourrit de pureté et de vérité.
L'amour vient sans raison, sans mesure, et il repart de même.
Je pense à quelque chose, mais je ne sais pas à quoi.
Faire l'amour en cachette, c'est comme voler des bonbons à l'épicerie, c'est délicieux.
Le rire est un château monté dans les airs par des anges maçons qui travaillent très vite.
L'amour de certaines mères est comme une corde passée au cou de l'enfant : au moindre mouvement de celui-ci vers la vie, le nœud coulant se resserre.
La folie est un mécanisme d'horlogerie très fin, on n'en voit les rouages que lorsqu'il se brise.
Il est bon pour l'enfant d'avoir ses deux parents, chacun le protégeant de l'autre !
Dans les histoires d'amour il n'y a que des histoires, jamais d'amour.
Ce qui est blessé en nous demande asile aux plus petites choses de la terre et le trouve.
Quand mon père est fâché avec moi, je ne suis plus que la fille de ma mère.
On ne peut bien voir qu'à condition de ne pas chercher son intérêt dans ce qu'on voit.
La vérité est sur la terre comme un miroir brisé dont chaque éclat reflète la totalité du ciel.
La vérité, c'est comme les lapins : ça s'attrape par les oreilles.
Un poète, c'est joli quand un siècle a passé, que c'est mort dans la terre et vivant dans les textes.
Aimer quelqu'un, c'est le lire. C'est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l'autre, et en lisant le délivrer. C'est déplier son cœur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère. Il y a plus de texte écrit sur un visage que dans un volume de la Pléiade et, quand je regarde un visage, j'essaie de tout lire, même les notes en bas de page.
Le génie est composé d'amour, d'enfance et encore d'amour.
Les enfants, ce n'est pas sorcier, ça pousse à travers nos erreurs.
L'absence d'un mort nous inonde de sa présence, et nous le rend encore plus cher.
Un tête-à-tête permanent avec Dieu serait accablant ; il faut à l'amour un peu d'absence.
Le silence est l'épée des mères lunatiques.
Un visage humain, c'est une lettre à déchiffrer, porteuse de vie ou de mort.
La poésie c'est le bec grand ouvert de l'oisillon, et un silence qui tombe dans la gorge pourpre.
L'écriture c'est un ange. Un sourire qui cherche la sortie.
On se marie toujours trop tôt : il faudrait auparavant dépenser plusieurs forces, brûler plusieurs rêves, et éventuellement, le soir venu, épouser un passant. Éventuellement, mais non, c'est l'inverse, bref !
Ceux qu'on ne peut noyer dans les eaux d'un mépris, on les étouffe en les serrant dans ses bras.
Qui a vu un petit enfant éclater de rire a tout vu de cette vie.
Il y a beaucoup d'affinités, de connivences, entre la lecture et la prière : dans les deux cas, marmonnement. Dans les deux cas, silencieux commerce avec l'Autre.
Les parfums des fleurs sont les paroles d'un autre monde.
L'amour maternel est la plus haute figure de l'amour vrai.
Être amoureux, c'est souvent l'être vaguement.
Être vivant, c'est être vu, entrer dans la lumière d'un regard aimant.
L'amour de soi est à l'amour de Dieu ce que le blé en herbe est au blé mûr.
Le plus bel usage de cette vie, c'est de n'en rien faire.
Le travail des mères, c'est de protéger les enfants de la noire humeur des pères.
Le visage d'une mère est pour l'enfant son premier livre d'images.
Les mariages usent l'amour, le fatiguent, le tirent vers le sérieux et le lourd.
Bien peu de gens savent aimer, parce que bien peu savent tout perdre.
Des savants ont écrit que, moins un mot était prononcé, plus il se faisait entendre, car, assuraient-ils, ce qui ne peut danser au bord des lèvres, s'en va hurler au fond de l'âme.
La beauté, voilà un vrai mystère, bien plus intéressant que celui de l'âme.
L'art a le chant pour principe et pour fin ; les peintures chantent, les livres chantent.
La vie conjugale acclimate l'amour, elle l'installe à côté des autres choses.
La fatigue est comme une mauvaise mère, comme une mère qui ne se lève plus la nuit pour nous réjouir de sa voix, pour nous combler de ses bras.
Sans malice on n'entre pas au paradis.
L'amour clamé, le bien affiché, c'est toujours pour farder quelque chose de terrible.
L'amour ce n'est pas le sacrifice, c'est le don de soi-même.