Je veux passer ma vie à lire des poèmes en attendant que le grand Poète me cueille.
Lire quand on est enfant, c'est quitter sa famille et devenir jeune mendiant, tendre la main aux princes de passage. C'est aller en Sibérie, avec loups et cris de neige, si loin que votre mère ne vous retrouvera plus, criant « à table » dans le désert, loin, très loin du petit contemplatif aux yeux brun-vert gelés comme un lac.
La lecture est un billet d'absence, une sortie du monde.
Saisir une main, c'est à chaque fois mettre ses doigts dans une prise électrique et aussitôt connaître l'intensité qui circule sans bruit sous la peau de l'autre.
Les orgueilleux m'ont appris l'humilité, les impatients m'ont appris la lenteur.
La beauté des mères dépasse infiniment la gloire de la nature.
C'est celui qui s'absente qui peut le mieux parler des présences.
Ceux qui savent nous aimer nous accompagnent jusqu'au seuil de notre solitude puis restent là, sans faire un pas de plus. Ceux qui prétendent aller plus loin dans notre compagnie restent en fait bien plus en arrière.
Le bonheur va avec le malheur, la joie va avec la peine.
Le monde a tué la lenteur, il ne sait plus où il l'a enterrée.
On transmet à un enfant ce qu'on est, jamais ce qu'on croit qu'il faut être.
Aimer ou écrire c'est même chose. C'est toujours se soumettre à la claire nudité d'un silence. C'est toujours s'effacer.
J'aime appuyer ma main sur le tronc d'un arbre devant lequel je passe, non pour m'assurer de l'existence de l'arbre - dont je ne doute pas - mais de la mienne.
Le cœur, c'est une intelligence qui peut venir même aux imbéciles.
Le travail c'est d'être où l'on n'a pas choisi d'être, où l'on est contraint de demeurer, loin de soi et de tout.
L'esprit est au corps ce qu'est l'abeille à la ruche : toujours en dehors, toujours à l'aventure d'un parfum ou d'un songe. L'esprit va en avant-garde dans le monde. La chair fait son miel avec ce que lui ramène l'esprit. La chair se nourrit des substances prélevées par l'esprit dans le monde éternel, la chair se nourrit de pureté et de vérité.
L'amour vient sans raison, sans mesure, et il repart de même.
La substance inaltérable de l'amour est l'intelligence partagée de la vie.
Faire l'amour en cachette, c'est comme voler des bonbons à l'épicerie, c'est délicieux.
Le rire est un château monté dans les airs par des anges maçons qui travaillent très vite.
L'amour de certaines mères est comme une corde passée au cou de l'enfant : au moindre mouvement de celui-ci vers la vie, le nœud coulant se resserre.
La folie est un mécanisme d'horlogerie très fin, on n'en voit les rouages que lorsqu'il se brise.
On ne peut confier à personne que l'on voudrait quitter cette vie pour une autre, et que l'on ne sait comment faire. Comment dire à vos proches : votre amour m'a fait vivre, à présent il me tue.
Tout quitter, tout détruire afin de tout reprendre, en vue d'un second pas.
Je puise dans ta vision les forces nécessaires pour résister au monde. J'ai pensé que nous pouvions, maintenant que tout est détruit de la vie ancienne, reprendre l'alphabet de l'éternel. Tu en serais la première lettre.
Quand mon père est fâché avec moi, je ne suis plus que la fille de ma mère.
La vérité, c'est comme les lapins : ça s'attrape par les oreilles.
La poésie, c'est la communication absolue d'une personne à une autre : Un partage sans reste, un échange sans perte.
Un sage est quelqu'un d'ennuyeux, tous les enfants vous le diront.
Les hommes vont en aveugles dans leur vie, les mots sont leurs cannes blanches.
Je ne suis pas fait pour ce monde, j'espère que je serai fait pour l'autre.
Les enfants, ce n'est pas sorcier, ça pousse à travers nos erreurs.
L'absence d'un mort nous inonde de sa présence, et nous le rend encore plus cher.
Un tête-à-tête permanent avec Dieu serait accablant ; il faut à l'amour un peu d'absence.
Un visage humain, c'est une lettre à déchiffrer, porteuse de vie ou de mort.
La poésie c'est le bec grand ouvert de l'oisillon, et un silence qui tombe dans la gorge pourpre.
L'écriture c'est un ange. Un sourire qui cherche la sortie.
On se marie toujours trop tôt : il faudrait auparavant dépenser plusieurs forces, brûler plusieurs rêves, et éventuellement, le soir venu, épouser un passant. Éventuellement, mais non, c'est l'inverse, bref !
Ceux qu'on ne peut noyer dans les eaux d'un mépris, on les étouffe en les serrant dans ses bras.
Qui a vu un petit enfant éclater de rire a tout vu de cette vie.
Il y a beaucoup d'affinités, de connivences, entre la lecture et la prière : dans les deux cas, marmonnement. Dans les deux cas, silencieux commerce avec l'Autre.
Les parfums des fleurs sont les paroles d'un autre monde.
L'amour maternel est la plus haute figure de l'amour vrai.
Être vivant, c'est être vu, entrer dans la lumière d'un regard aimant.
L'amour de soi est à l'amour de Dieu ce que le blé en herbe est au blé mûr.
Le plus bel usage de cette vie, c'est de n'en rien faire.
Le travail des mères, c'est de protéger les enfants de la noire humeur des pères.
Le visage d'une mère est pour l'enfant son premier livre d'images.
Les mariages usent l'amour, le fatiguent, le tirent vers le sérieux et le lourd.
Bien peu de gens savent aimer, parce que bien peu savent tout perdre.
Des savants ont écrit que, moins un mot était prononcé, plus il se faisait entendre, car, assuraient-ils, ce qui ne peut danser au bord des lèvres, s'en va hurler au fond de l'âme.
La beauté, voilà un vrai mystère, bien plus intéressant que celui de l'âme.
Une longue patience enveloppe les choses et le sang, plus sûrement que du lierre.
L'art a le chant pour principe et pour fin ; les peintures chantent, les livres chantent.
Le grand art est l'art de remercier pour l'abondance à chaque instant donné.
La vie conjugale acclimate l'amour, elle l'installe à côté des autres choses.
Dans le meilleur des cas je travaille, mais simplement comme une fleur travaille, ni plus ni moins.
Tous les siècles ont affaire à la même nécessité de travailler pour manger.
Le bleu prophétique des yeux du nouveau-né cherche le visage comblé de fatigue de sa mère.
La fatigue est comme une mauvaise mère, comme une mère qui ne se lève plus la nuit pour nous réjouir de sa voix, pour nous combler de ses bras.
Sans malice on n'entre pas au paradis.
L'essentiel on l'attrape en une seconde, le reste est inutile.
L'amour clamé, le bien affiché, c'est toujours pour farder quelque chose de terrible.
L'amour ce n'est pas le sacrifice, c'est le don de soi-même.
Il n'y a pas d'autre attente que de vivre.
Le plus grand abandon est à l'orée de la plus vive douceur.
Arrachez-moi le cœur, je garderai toujours confiance dans la vie sainte.
Ne rien faire, c'est un métier très difficile, il y a très peu de gens qui sauraient bien le faire.
La proximité de celle qu'on aime est éclairante.
L'amour, c'est notre pensée précipitée vers le cœur de l'autre comme vers un aimant.
L'absence mortelle de la personne, c'est le règne de la pensée.
Le renoncement est le fruit de tout apprentissage.
Je suis assez seul pour ne plus l'être jamais.
Chacun, même le plus perdu des hommes, a dans son âme une chaumière, avec une clochette à l'entrée. Le vent parfois la fait bouger.
L'amour est manque bien plus que plénitude, l'amour est plénitude du manque.
Tout visage est une porte et la même porte, selon l'instant où on la pousse, peut donner sur le paradis ou sur l'enfer.
Nous n'habitons pas des régions. Nous n'habitons même pas la terre. Le cœur de ceux que nous aimons est notre vraie demeure.
La plus belle vie est celle qui exprime ce que la vie a de beau.
La souffrance sécrète du noir, l'inconnu engendre la lumière.
Hier j'étais heureuse ; aujourd'hui je suis amoureuse, et ce n'est pas pareil.
Il y a plus fort que le malheur, c'est l'espérance. L'espérance, c'est simplement la pensée rafraîchissante qu'il existe autre chose que ce monde.
La religion est devenue une nourriture fade, qui ne nourrit plus personne, et quand elle parle du cœur c'est sans talent, parce qu'elle ne croit plus à ce mot.
J'aurai passé mes jours à regarder le reflet de la vie sur la rivière de papier blanc.
Vos poèmes sont si fins qu'ils se glissent entre la fleur et l'éclat de la fleur.
Rien ne s'éteint plus vite que l'incendie de l'irréel.
Oh la vie sainte des épouvantails ! Leur cœur troué par les balles du soleil !
Écrire l'inconsolable engendre une paix, comme une lampe qui tourne et propose ses ombres chinoises à l'enfant au bord de s'endormir. Quand je pense aux gens que j'aime et même à ceux que je n'aime pas, quand j'y pense vraiment, les bras m'en tombent. La vie s'approche de nous. Elle guette le moment favorable pour frapper puis, à chacun, elle lance : chante, maintenant. Vas-y, chante. Écris.
L'écriture est une petite fille qui parle à sa poupée. Les grands yeux d'encre de la poupée lui répondent, et par cette réponse un ciel se rouvre.
Ma mère m'a appris que j'étais né entre deux éclats de ses rires, ce qui sans doute explique le grain de cette phrase : nous allons par le pire à des choses très fleuries et très douces, accordées au secret de nos âmes.
Le couple, c'est le lieu de la vie soustraite.
L'amour est un sentiment friable, poreux, comme tous les sentiments.
L'amour est l'éveil chaque fois réinventé, chaque fois une première fois.
Ses jours sont à l'homme ce que ses peaux sont au serpent. Ils luisent un temps au soleil puis se détachent de lui.
La Bretagne est une terre belle comme l'enfance : les fées et les diables y font bon ménage.
L'amour n'est pas du côté de la sexualité dont tout le monde fait sa marchandise première.
Un lit de lumière, une chaise de silence, une table en bois d'espérance, rien d'autre : telle est la petite chambre dont l'âme est locataire.
La mort nous prendra tous un par un, aussi innocemment qu'une petite fille cueillant une à une les fleurs d'un pré.
La main de la mère relevant avec nonchalance une mèche de cheveux sur le front de son enfant lègue à celui-ci une douceur qu'une vie entière n'épuisera pas.
L'intellectuel se distingue au tombé de sa parole.
La parole, plus que l'argent, fait l'aisance.
Les paroles s'épuisent comme une monnaie si petite qu'on finit par l'oublier au fond d'une poche.
Si l'on veut voir le paradis sur terre, il suffit de contempler un visage quand un sourire étend ses traits.
Les portes du paradis s'ouvrent comme s'ouvre un visage, sous la puissance lumineuse d'un sourire.
Ce n'est pas avec les yeux qu'on voit, c'est avec l'âme.
La seule tristesse qui se rencontre dans cette vie vient de notre incapacité à la recevoir sans l'assombrir par le sentiment que quelque chose en elle nous est dû.
Tu es, mon amour, la joie qui me reste quand je n'ai plus de joie.
Le temps d'une vie est le temps d'un sourire de nouveau-né, c'est bref et ça ne s'éteint plus.
À vingt ans, on danse au centre du monde. À trente, on erre dans le cercle. À cinquante, on marche sur la circonférence, évitant de regarder vers l'extérieur comme vers l'intérieur. Plus tard, c'est sans importance, privilège des enfants et des vieillards, on est invisible.
Quinze secondes de pureté par-ci, dix autres secondes par-là : avec un peu de chance il y aura eu dans ma vie, quand je la quitterai, assez de pureté pour faire une heure.
Infiniment plus que tout : c'est le nom enfantin de l'amour, son petit nom, son nom secret.
Rien n'est plus désolant que ces gens qui ne disent et ne font jamais rien de « déplacé ». Certaines personnes recitent leur vie comme une leçon apprise par cœur, sans jamais faire la moindre faute. Je ne sais pas ce qui est le pire – de ne s'adapter en rien au monde, ou de s'y adapter en tout, des fous ou des gens dits convenables, convenus. Je sais que j'ai moins peur des fous, je crois qu'ils sont bien moins dangereux.
Qui n'a pas connu l'absence ne sait rien de l'amour.
Toutes les mères ont cette grâce à rendre jaloux Dieu même.
Un adulte qui parle de son père, c'est un homme qui réchauffe une ombre.
La pensée est comme l'amour : elle fait un crédit infini à ce qu'elle pense, elle ne l'enferme pas dans la tapette d'une formule ou dans les graines empoisonnées d'un savoir. Penser, c'est bouger avec ce qu'on pense, suivre ce qu'on pense et ne jamais lui enlever sa belle fourrure d'inconnu.
L'art de la conversation est le plus grand art. Ceux qui aiment briller n'y entendent rien. Parler vraiment, c'est aimer, et aimer vraiment, ce n'est pas briller, c'est brûler.