Nier un fait est, en soi, une chose bien innocente, elle ne devient périlleuse que dans la mesure où l'on désavoue celui qui en protège l'authenticité. C'est ainsi que bien des choses insignifiantes deviennent critiques à cause de ceux qui en acceptent l'autorité, leur accordent de l'importance sans trop savoir pourquoi. Il faut contempler de loin les miracles pour y croire, un peu comme les nuages, quand on les veut considérer comme des choses solides.
Hélas, comme tout change ici-bas et comme tout passe ! Les douces jouissances de la vie s'envolent à tire d'ailes sans l'espérance chérie d'un prompt retour.
Pour jouir dans le monde des avantages de la beauté, il doit y avoir d'autres gens qui croient que l'on est beau : pour le bonheur, cela n'est point du tout nécessaire ; il suffit que nous y croyions nous-mêmes.
Il y a deux voies pour prolonger la vie : la première est d'éloigner l'un de l'autre ces deux points que sont la naissance et la mort, afin d'accroître la route à parcourir. Sur ce chemin, tant de machines et de choses ont été inventées qu'il semble impossible, pour autant qu'on y jette un regard, qu'elles servent à autre chose qu'à nous tuer, domaine dans lequel les médecins ont fait bien des progrès ; la seconde voie est de marcher plus lentement, en laissant les deux points là où Dieu voulut qu'ils fussent : c'est la voie des philosophes. Ceux-ci ont découvert que la meilleure des choses est de vivre comme s'il s'agissait d'une promenade d'herboriste qui va, zigzaguant, ici tentant de sauter un fossé, plus loin encore un autre, et qui hasarde une pirouette, là où nul ne le voit, pour poursuivre ensuite.
Il faut se rappeler toujours que le fait de comprendre une philosophie n'est point une raison suffisante pour la tenir vraie. Il m'est avis que le plaisir d'avoir compris un système fort abstrait et obscur conduit la plupart à croire qu'il est déjà démontré.
On reproche souvent aux grands de ce monde de ne point avoir fait tout le bien qu'ils auraient pu. Ils pourraient nous répondre : pensez donc un peu au mal que nous aurions pu faire et que nous n'avons pas fait.
Un grand homme est pour moi quelqu'un qui a beaucoup pensé, lu et vécu et qui sait, dans toutes les choses qu'il entreprend, voire même dans chaque livre qu'il écrit, unir clairement le fruit de sa pensée, de ses lectures et de sa vie à la meilleure des fins, de manière que chacun puisse voir ce que lui-même a vu.
Les arguments ne sont souvent, et la plupart du temps, que des expositions de prétentions colorant de légitimité et de rationalité ce que l'on aurait fait de toute façon.
Le chien est l'animal le plus vigilant, pourtant il dort toute la journée !
Là où la modération est une erreur, l'indifférence est un crime.
Il y a des visages en ce monde que l'on ne peut décidément tutoyer.
Qui a le droit d'imiter, imite à contrecœur.
Bien des choses me déchirent qui ne font que navrer autrui.
Les erreurs elles-mêmes ont l'utilité qu'elles nous accoutument finalement à croire que les choses peuvent être différentes de ce que nous nous en représentons.
Ce fut toujours pour moi assez triste chose d'observer qu'à l'université, dans la plupart des disciplines, on enseigne de ces sortes de choses qui ne servent à rien sinon à mettre les jeunes gens en état de les enseigner de nouveau.
Devenir sage signifie pouvoir reconnaître toujours plus les erreurs, en pliant cet instrument par lequel nous percevons et nous jugeons. La circonspection dans les jugements est, de nos jours, ce qui est le plus recommandable à chacun. Gagnerait-on, de tous les écrits philosophiques, à peine une seule vérité indiscutable tous les dix ans, que la récolte serait encore bien abondante.
Dieu créa l'homme à son image, dit la Bible ; les philosophes font le contraire, ils créent Dieu à la leur. Notre monde parviendra un jour à un raffinement tel qu'il sera aussi ridicule de croire à un Dieu qu'aujourd'hui de croire aux fantômes.
On ne peut pas se débarrasser facilement de ses mauvaises habitudes, ce qu'on peut faire, c'est les cacher aux yeux du monde et empêcher leurs conséquences néfastes.
Pourquoi les chiens, quand ils ont fait des trous avec leurs pattes, les comblent-ils ensuite avec leur nez ? On pourrait penser, étant donné leur flair délicat, qu'ils feraient souvent mieux de creuser avec leur nez et de combler les trous avec leurs pattes.
Philanthropie : Lorsque je vois au loin ou près de moi quelque chose se courber, je crois toujours qu'il s'agit d'une puce, tant que l'on ne m'a pas démontré de manière apodictique qu'il s'agissait d'un pou.
Il y a en chaque homme quelque chose de tous les autres. Je crois depuis longtemps déjà à cette maxime, bien que sa démonstration complète ne se puisse faire que par la description complète de soi à travers autrui. Identifier avec la précision qui lui est due ce que l'on a de commun avec l'autre est, en général, l'art des plus grands écrivains.
J'ai toujours trouvé que les personnes prétendument exécrables gagnaient à être connues de près, alors que les bonnes gens, elles, y perdaient.
Dans le caractère de tout homme il y a quelque chose qui ne se laisse point rompre : c'est le squelette du caractère et le vouloir changer est un peu comme vouloir enseigner à un mouton l'art de rapporter le gibier.
Dans la science de soi, nul n'est passé maître.
Excuser certaines faiblesses comme faisant partie de la nature humaine est, si on y songe bien, le premier devoir de tout écrivain envers lui-même.
Un homme d'esprit dit souvent d'abord avec un sourire ce qu'il répétera sérieusement par la suite.
Étudier sans but, pour simplement pouvoir dire ce que d'autres ont fait, c'est là des sciences la dernière, et de pareilles gens sont autant des savants, que des registres sont des livres.
Il est incontestable que ce que l'on nomme persévérance peut conférer à plusieurs actions l'aspect de la vertu et de la grandeur, comme le fait de se taire en société donne l'aspect hébété de la sagesse et une apparence de raison.
Il ne faut pas juger un homme d'après ses écrits, mais d'après ce qu'il dit en compagnie de ses pairs.
Les sabliers ne nous rappellent point seulement le rapide cours du temps, mais à la fois la poussière où nous tomberons un jour.
Là où règne la liberté de penser, on se meut avec aisance dans son cercle, mais là où les pensées sont contraintes, même celles qui sont permises ne se présentent que timidement.
Si nous pouvions nous exprimer aussi bien que nous ressentons les choses, les orateurs seraient moins opiniâtres et les amoureux moins cruels.
La plus jolie forme d'ironie est de soutenir une thèse qui ne le peut être avec des arguments empreints d'amertume satirique, en faisant des citations nombreuses et en les commentant.
Quand je parle avec quelqu'un, je remarque tout de suite s'il a de l'élasticité ou s'il cède à chaque pression.
L'espérance de subsister après sa mort fait une partie essentielle du bonheur présent de l'homme.
De nos jours, trois saillies et un mensonge font un écrivain.
Il est effroyable de vivre quand on ne veut pas, mais il serait bien plus épouvantable encore d'être immortel quand on veut mourir.
Se demander sérieusement tous les soirs ce que le jour nous a fait apprendre de neuf.
Pour présenter une pensée dans toute sa pureté, il faut longtemps la laver et la polir, tout comme s'il s'agissait de présenter un corps dans sa nudité.
Il vaudrait certainement la peine de décrire deux ou trois fois une vie ; une fois comme l'écrirait un ami enthousiaste, une autre comme la décrirait un ennemi et une autre encore comme l'écrirait la vérité elle-même.
Vivre sans le vouloir est chose épouvantable, mais ce serait bien pis encore d'être éternel sans l'avoir demandé.
Si l'on ne faisait en ce monde que ce qui est nécessaire, des millions d'hommes mourraient de faim.
L'homme vivrait heureux s'il s'occupait aussi peu des affaires d'autrui que des siennes !
Habituellement, on cherche à changer les opinions sans toucher la tête ; en France, à présent on coupe au plus court : on emporte et les opinions et la tête.
Il est si délicat d'identifier l'origine des choses qui nous habite, que serait-ce alors si nous voulions déterminer celle des choses qui nous sont étrangères ?
L'homme est un être si libre que l'on ne peut lui contester le droit d'être ce qu'il croit qu'il est.
Ce qui caractérise le mieux la vraie liberté est son juste usage, et l'abus qu'on en fait.
L'homme est la mesure du merveilleux ; chercher une mesure générale au merveilleux, c'est l'avilir et rendre toutes choses égales à elles-mêmes.
Ne soit point affecté, afin qu'une personne naturellement raffinée ne remarque un jour que tu es vraiment comme tu voudrais qu'elle soit.
L'esprit et la fantaisie doivent être utilisés avec précaution, comme toute substance corrosive.
On peut difficilement se débarrasser des mauvaises habitudes, ce qu'on peut faire, c'est les cacher.
On peut vivre dans le monde en faisant des prophéties, mais non pas en disant des vérités.
Le rôle véritable de l'écrivain envers les hommes est de dire sans relâche ce que les hommes insignes ou, en général, ce que la majorité pense ou ressent sans le savoir. Les auteurs médiocres ne disent que ce que chacun aurait dit.
De même que l'on trouve de l'eau quand on creuse, de même l'homme trouve-t-il partout, tôt ou tard, l'incompréhensible.
On est toujours enclin à croire que le travail est aisé à celui qui a du talent. Il te faut peiner toujours, homme, si tu veux accomplir de grandes choses.
Un bonheur perdurable n'est jamais possible que dans la sincérité.
On trouve dans le monde plus souvent matière à s'instruire qu'à se consoler.
La prière au soleil est une chose pardonnable. Chacun regarde sans le vouloir vers un endroit lumineux ; les animaux le font et ce qui, chez le chat ou le chien, est un regard involontaire vers cette lumière, chez l'homme, cela s'appelle une prière.
Rien ne concourt davantage à la paix de l'âme que de n'avoir point d'opinion.
Une tombe est toujours la plus sûre forteresse contre les assauts du destin.
Le genre humain ne loue jamais que ce qui est bon et l'individu, lui, souvent ce qui est exécrable.
Il en est du mot d'esprit comme de la musique : plus on en entend, plus les tons doivent être élevés.
Tout apprendre, non point pour l'afficher, mais pour s'en servir.
Un livre est comme un miroir ; si un singe s'y mire, d'évidence il n'y verra point un apôtre. Nous n'avons nulle parole pour parler de sagesse à l'abruti. Il est déjà sage celui qui comprend le sage.
Ce ne sont pas les mensonges mais bien les remarques dont la fausseté est fort subtile qui retardent la réforme de la vérité.
La minceur plaît parce qu'elle permet un contact plus étroit des mouvements pendant l'amour.
Rarement un grand génie fera-t-il sa découverte en suivant les traces d'autrui, car lorsqu'il découvre des choses, il découvre habituellement le moyen de les découvrir.
Les grands hommes, en apprenant aux faibles a réfléchir, les ont mis sur la route de l'erreur.
Ce que l'on nomme une fine connaissance des hommes n'est souvent rien d'autre que les propres faiblesses de l'observateur sur autrui.
L'erreur est humaine, c'est-à-dire dans la mesure où les animaux rarement ou jamais ne se trompent, au moins les plus intelligents d'entre eux.
Faire l'opposé d'une chose est une forme d'imitation : c'est-à-dire que l'on imite le contraire.
On devrait apprendre à discerner entre ce qu'un homme pense par lui-même et ce qu'il plagie.
Celui qui bien se connaît, connaît sans peine bientôt les autres hommes. Tout est réflexion.
Des gens qui n'ont point nourri leur esprit dix ans durant, hormis de quelques miettes de journal, il y en a même chez les professeurs, et ce n'est point là une exception.
Dans plusieurs œuvres d'un homme universellement connu, je préférerais lire ce qu'il a raturé plutôt que ce qu'il a conservé.
Il y a une grande différence entre croire en quelque chose et ne point pouvoir croire en son contraire.