L'étonnement, la révélation naissent pour moi de la rencontre de deux regards sur le même objet.
L'unique voeu qui surnage en moi est que ma mort ne ressemble pas à ma vie.
Nous sommes toujours prêts à venger sur l'être faible qui nous aime les outrages que nous inflige l'être fort que nous haïssons.
Il faut que chaque génération croie voguer sur une terre vierge aux promesses fabuleuses. Qui donc aurait le courage d'appareiller s'il voyait sur la mer les traces du naufrage des vaisseaux qui l'ont précédé ?
Je ne peux juger ce que tu fais qu'à travers mon intuition de ce que tu es.
L'ennui, c'est le quotidien réduit à lui-même.
Le doute est de la foi meurtrie.
L'amour de la femme fait la preuve de notre solitude. Celui qui n'a jamais tout espéré d'une femme ne sait pas jusqu'à quel point sa solitude est incurable, c'est-à-dire divine.
Il est amer d'être seul, mais il est plus amer encore quand on est deux, de ne pas faire qu'un seul. La pire des solitudes gît dans la communion ratée.
Égoïsme : Certains paraissent égoïstes uniquement parce qu'ils n'ont pas encore trouvé en qui verser leurs trésors. Celui qui n'a rien à donner et celui qui n'a personne à qui tout donner se ressemblent extérieurement.
L'homme n'échappe à l'autorité des choses d'en haut qui le nourrissent que pour choir dans la tyrannie des choses d'en bas qui le dévorent.
Obéissance et servitude : On n'échappe à l'obéissance que pour choir dans la servitude. Tu t'affliges de voir de quoi les hommes sont esclaves. Pour avoir la clef de ce « mystère d'abaissement », cherche donc de qui ils ont refusé d'être les serviteurs.
Qu'est-ce que l'homme déteste le plus ? Non pas ce qui lui a toujours été refusé, mais ce qui lui a été donné une fois et qu'il n'a pas su retenir.
Douleur et noblesse : Cette homme est bassement heureux. Ne te hâte pas de le plaindre. Il n'a sans doute que ce qu'il mérite. La douleur choisit ses amants.
L'ironie, forme agressive de la pudeur.
Souffre, lutte et travaille au-dessus du désir. Tout vient à point à qui n'attend plus.
Soif du bonheur : Que d'ambitions ! Tu veux ceci, cela, et cela encore. Fort bien. Mais t'es-tu préoccupé de savoir si toutes ces choses veulent de toi ? Tu cherches à cueillir le bonheur. Cherche plutôt à te rendre digne d'être cueilli par le bonheur. Quand tu seras assez pur, le bonheur te suivra partout, où que tu fuies, où que tu te caches.
Critère de la noblesse : La noblesse d'un individu se reconnaît peut-être avant tout à l'hésitation et à la délicatesse avec lesquelles il cueille les joies qui s'offrent à lui. Il ose à peine. L'homme bas, lui, ose toujours. A la limite, il ne se sent que des droits.
Le pire ennemi de l'infini dans l'homme, c'est l'illimité qui donne l'illusion de l'infini, et qui le cache. Tant qu'un être peut aller de l'avant et que la borne de sa puissance, de son amour ou de sa liberté recule devant lui, il ignore l'infini et ne sait rien de Dieu. Ce n'est qu'en se heurtant contre sa propre limite qu'il découvre l'infini. Dieu est toujours derrière la porte impossible à franchir.
Différence entre un impie profond et un chrétien « ordinaire » : le premier ignore Dieu personnellement, le second connaît Dieu de nom.
Dieu est le seul être aimé avec lequel on puisse être pleinement, misérablement soi-même, avec qui l'amour n'ait jamais et à aucun degré besoin de mentir.
Le miracle, coïncidence entre ce qui arrive et ce qui est.
Dieu est au bout de tous les chemins, à condition de ne pas s'arrêter en route. Chacun est tenté d'attribuer à son propre chemin une priorité qui n'existe pas en réalité. L'important, ce n'est pas de choisir ceci ou cela, mais de faire ceci ou cela en dépassant ce qu'on fait. Le seul péché est la stagnation. On peut stagner dans la vertu comme dans le vice, dans la souffrance comme dans le bonheur. Que votre joie courre comme l'eau qui, venue de la mer, retourne à la mer.
Je comprends et j'admire les saints comme je contemple les astres. Ils respirent à l'altitude où je n'atteins que par le regard.
Une réaction excessive est souvent un remède pire que le mal.
Être détaché de tout est la première condition pour n'être indifférent à rien.
Il n'y a pas de pire humiliation que de se sentir ignoré par celui qu'on déteste.
Tout bonheur qui n'enfante pas un devoir amoindrit ou corrompt.
La naissance est à la mort ce qu'est la promesse des fiançailles à la nuit de noce.
Il n'est pas de plus folle et de plus vorace idole que la déesse Raison.
S'il y a une éternité, chacun y retrouvera, non les fausses réalités dont il a cru vivre, mais le rêve dont il est mort.
Acquérir toutes les vertus terrestres et les dépasser pour aller à Dieu. C'est nécessaire et presque impossible. Car pour les acquérir, il faut y croire à un degré qui ne permet plus de les dépasser.
Que ton idéal soit le reflet de ton âme.
L'ami vrai est celui qui sait regarder sans envie notre bonheur.
L'amour, le divin ne sont que des mythes créés par les hommes – des illusions, dit-on – mais que seraient les hommes sans ces illusions qui les recréent ? Le visible donne une existence à la valeur, l'invisible donne une valeur à l'existence.
Bien vieillir : Gagner en transparence ce qu'on perd en couleur.
Mal savoir ne vaut pas mieux que tout ignorer.
Le moi se veut unique. Il l'est – mais dans une dimension où l'on ne dit plus moi. Et cet orgueil, par lequel nous nous voulons « hors du commun », est précisément la chose la plus commune à tous les hommes. On ne se distingue vraiment qu'en s'effaçant.
Il est toujours doux de se livrer, mais il est souvent amer de s'être livré.
Il faut choisir : Rester fleur et se faner, ou mourir et devenir fruit.
Avec quelle légèreté parle-t-on des choses divines ! Avec quelle lourdeur aussi ! Une légèreté sans ailes, une lourdeur sans densité.
Le doute est un poison pour la conviction et un aliment pour la foi.
Peut-être vaut-il mieux vivre divinement les choses d'ici-bas que vivre trop humainement les choses divines.
L'amour sans éternité s'appelle angoisse : l'éternité sans amour s'appelle enfer.
Celui qui est étoile pour les hommes est peut-être enfer pour lui-même. Il donne la lumière, et garde l'incendie.
L'amour est pur lorsque, en lui, la soif du bonheur s'efface devant la passion de l'unité. Tant que deux êtres ne sont liés l'un à l'autre que par le désir d'être heureux, ils ne s'aiment pas, ils sont séparés. Aimer ne consiste pas à mettre en commun deux joies, mais deux vies.
Présente, tu tiens dans tes limites, tu n'es que toi-même et le reste de l'univers me distrait de toi. Absente, tu es partout comme Dieu ; rien ne te contient et tout t'évoque. Cela m'aide à comprendre l'absence omniprésente de Dieu.
L'incapacité de nouer de nouvelles affections apparaît à nos anciens amis comme un gage de fidélité. Ils devraient plutôt s'en affliger, car c'est là le signe d'un épuisement affectif qui n'épargne pas notre attachement pour eux. L'être impuissant à créer de nouveaux liens n'est guère en état de maintenir vivantes ses anciennes affections, et sa « fidélité » ressemble beaucoup à celle du squelette au cercueil ou de la pierre au lieu qu'elle occupe.
Il ne faut jamais oublier que ce n'est pas le nombre et la longueur de ses branches, mais la profondeur et la santé de ses racines qui font la vigueur d'un arbre.
L'ami vrai, c'est celui qui sait regarder sans envie notre bonheur.
L'enfer est le réceptacle des promesses tenues à demi.
Il faut partir de l'absolu dans la pensée pour réaliser le relatif dans l'action.
Toute connaissance profonde est aussi un privilège.
Le seul moyen de rester jeune en vieillissant, c'est de renoncer à le paraître.
J'aime mieux rêver mon âme que vivre ma vie.
L'abîme est vaste entre le sérieux et la profondeur. J'ai connu peu d'hommes dits sérieux qui ne soient aussi superficiels et, réciproquement, un homme profond a beaucoup de peine à rester sérieux en toute chose.
Il est deux sortes d'êtres qui sont incurablement privés de noblesse ; ceux qui ont besoin d'être heureux pour être bons et ceux qui ont besoin d'être malheureux pour songer à Dieu. La douleur de l'être bas s'appelle vengeance, sa joie orgueil et oubli. L'homme noble est celui que la souffrance rend tendre et que le bonheur fait prier.
N'oublie jamais que l'homme est sorti du néant et n'oublie jamais non plus que c'est Dieu qui l'en a tiré. La première de ces vérités te sauvera de l'utopie, la seconde du désespoir.
La futilité consiste, non à s'occuper des petites choses, mais à réduire son âme à la mesure de ces petites choses. Et le contraire de la futilité consiste à mettre l'infini qui est en nous dans le soin des petites choses qui sont hors de nous : un rayon d'éternité sur les choses du temps.
Maturité de la solitude : même ceux qui croient nous comprendre nous comprennent de travers – on n'est attaqué ou loué que par quiproquo.
Croire à l'espace plus qu'à l'aile. Ainsi, sans courir après rien, on possède tout. Les choses fuient celui qui les cherche, elles viennent à celui qui ne bouge pas.
Parenté entre la débauche et l'ascétisme : l'esprit, dans les deux cas, s'épuise en performances charnelles.
Le mensonge est un hommage à la vérité comme l'hypocrisie est un hommage à la vertu.
Les choses profondes sont toujours préparées et enveloppées par une certaine obscurité : les étoiles n'apparaissent que dans la nuit.
La rancune est une fidélité empoisonnée où l'offensé noue des liens indissolubles avec l'offenseur.
Règle de vie : Toujours essayer de réduire mes propres souffrances à ce qu'elles ont d'universel et d'anonyme, et considérer celles des autres comme uniques et irréductibles.
La société devient enfer dès qu'on veut en faire un paradis.
Une victoire n'est parfaite que si elle transforme le vaincu en allié.
J'aime toute chose en toi, et je t'aime en toute chose.
L'ami vrai, ce n'est pas celui qui sait se pencher avec pitié sur notre souffrance, c'est celui qui sait regarder sans envie notre bonheur.
L'âme, à la différence du corps, se nourrit de sa faim.
Le mystère n'est pas un mur où l'intelligence se brise, c'est un roseau où l'intelligence se perd.