Le courtisan est comme le ver luisant, qui brille en rampant.
Les plus belles sont celles dont on tire le moins de vanité ; elles sont tellement inhérentes à la nature de celui qui les possède qu'il s'étonne presque, par le peu d'efforts qu'elles lui coûtent, de la valeur et de l'importance qu'y mettent les autres.
Les grands caractères ne se montrent jamais plus que lorsqu'il se rencontre des obstacles ; il en est comme de ces chevaux de race qui ne s'emportent que quand on leur fait trop sentir le mors.
Autant on se met au-dessus de ce qu'on n'ambitionne pas, autant on se reconnaît au-dessous de ce que l'on envie.
Il est une sorte de silence mille fois plus indiscret que l'indiscrétion même.
Le bonheur est comme un capital placé dans les fonds qu'on ne déplace guère sans qu'il en coûte quelque escompte.
La prodigalité ne ressemble pas plus à la générosité que le libertinage ne ressemble à l'amour.
L'amour-propre est l'ingrédient principal de toutes nos actions ; il leur est même aussi nécessaire que le sel à l'assaisonnement de nos mets. L'un et l'autre seuls ou trop prodigués soulèvent le cœur et révoltent le goût ; trop ou tout à fait négligés, ils ôtent aux choses toute leur saveur ; mais employés avec art et avec mesure, ils relèvent ce qui est médiocre et perfectionnent ce qui est bon.
Les jugements de l'histoire sont sujets à révision ; mais de quelque erreur, de quelque injustice même qu'on puisse les convaincre, jamais ils ne sauraient être complétement mis au néant, et la prévention ne subsiste pas moins.
On perd toujours de ses qualités en comprimant trop ses défauts, lorsque, par une dépendance forcée, n'étant plus à soi l'on n'est plus soi.
En cherchant toujours la quintessence des choses on n'en trouve le plus souvent que la lie.
L'usage du monde est comme une langue qu'il nous faut apprendre jeune pour la parler naturellement et sans accent.
Il n'y a rien dont on sache plus de gré à ses amis que de leur voir aimer ceux qu'on aime, et il n'est pas de manière plus aimable que de les suivre ainsi dans leurs affections. Outre que c'est en quelque sorte se multiplier pour eux, c'est aussi une marque d'estime et de déférence qui va droit au principe d'amour-propre inhérent à tous nos sentiments et qui en touche la corde la plus fine.
L'absence est la vraie pierre de touche des sentiments, c'est elle seule qui nous donne le secret de notre cœur : deux amis, deux amants, deux époux qui ne se sont jamais quittés ne savent pas encore à quel point ils sont nécessaires ou non l'un à l'autre.
Plus on a à se faire pardonner, moins on pardonne aux autres.
Lorsque l'on est parvenu, surtout dans une position assez élevée, à faire supporter aux autres quelques singularités, elles deviennent un privilège et même un titre de plus à leurs égards, à leur considération, presque à leur admiration. Cette connaissance pratique des hommes a été, est et sera toujours la recette de beaucoup de charlatans illustres.
Une philanthropie universelle a, comme toutes les erreurs, son bon et son mauvais côté.
Le cours des passions est comme celui des saisons, qui ne varie pas depuis le commencement du monde. L'espèce humaine a toujours eu le mème caractère, la même marche ; l'homme policé comme l'homme sauvage, le philosophe comme le muletier a dans le cœur le germe de la tyrannie et de la cruauté, et le principe instinctif de sa nature d'asservir ses semblables par la crainte ou par l'intérêt. Tel est le secret du monde, telle est la clef de toutes les catastrophes dont il a été le théâtre, tel est le mobile de toutes les révolutions, quels que puissent être leurs motifs apparents : il n'y a pas plus à s'en étonner que des phénomènes de la nature à chaque période astronomique.
Ne pourrait-on pas dire que les souvenirs qui devraient être le moins pénibles sont ceux qui se rattachent aux choses désagréables, puisqu'ils font sentir du moins qu'elles sont passées, tandis que les souvenirs d'un bonheur perdu sans retour ne laissent que du vide sans consolation ?
L'égoïsme est le ver solitaire du cœur.
D'une personne réellement charmante on ne peut dire précisément pourquoi ni comment elle l'est ; le véritable charme est celui que l'on sent, que l'on subit et que l'on ne saurait définir.
Si, comme le prétendent plusieurs politiques, la crainte des châtiments contenait les méchants et empêchait les crimes, depuis le temps qu'on les punit si sévèrement ils devraient être devenus plus rares : c'est cependant tout le contraire. On remarque même que les crimes sont plus fréquents et plus atroces dans les pays où les supplices sont le plus rigoureux.
Il faut être digne avec ses supérieurs, simple avec ses pareils, facile et, autant que possible, bienveillant avec ses inférieurs.
L'une des principales conditions de succès des coups d'État est de frapper vite et fort. C'est une grande folie d'entamer un coup d'État pour ne le faire qu'à demi ; et lorsqu'on s'est décidé à s'en remettre à l'emploi suprême de la force, il n'y a que péril à user de ménagement.
On s'afflige souvent plus pour affecter la sensibilité que pour la soulager ; et la douleur qui part le plus du cœur et qui y va le plus est celle qui se tait.
La postérité n'est que l'écho des contemporains, et c'est sous ce seul point de vue qu'un homme de mérite qui vise à immortaliser son nom peut se soucier de l'opinion de son temps.
Telle personne aurait beaucoup de caractère si elle employait à faire des choses fortes la moitié de l'obstination qu'elle met à des faiblesses.
L'esprit, ou plutôt ce brillant de conversation qui usurpe son nom, ressemble à ces jetons qu'on emploie au jeu, mais qui ne serviraient guère aux besoins ordinaires de la vie.
L'arbitraire mine le pouvoir en paraissant montrer et augmenter sa force ; il a quelque chose d'indéfini, d'incertain et d'injuste, même quand il semble le plus nécessaire, qui blesse et fatigue plus qu'un régime sévère, mais régulier. Il en est comme de ces toniques qui relèvent un moment les forces, mais qui ruinent le tempérament.
Les règles sont un joug pour les esprits ordinaires ; elles ne sauraient être qu'un guide pour ceux qui ont quelque supériorité.
On serait assez tenté de croire qu'il y a dans la nature des femmes quelque chose tout à la fois d'humain, d'angélique et de diabolique. Il semble que ce soit trois pouvoirs qui se balancent où plutôt se combattent sans cesse chez elles ; aussi en résulte-t-il un véritable chaos que le plus fin et le plus habile des hommes ne saurait débrouiller.
Le dépit se manifeste dans une femme et se distingue facilement de l'indifférence ou de l'éloignement par le choix du mal qu'elle dit d'un homme. Elle se garde bien de relever les torts ou les défauts véritables et reconnus : elle craindrait trop qu'on la prît au mot.
La jalousie est plus souvent trompée qu'elle ne se trompe elle-même.
Le désir de faire des dupes donne la crainte de l'être : c'est ce qui arrive dans le monde. Il est constamment travaillé par ce double sentiment ; de là vient qu'on y loue sans cesse la bonté, que l'on en doute toujours, et qu'on la punit lorsqu'on la rencontre.
Nous savons plus de gré à nos amis de s'accommoder à nos défauts que de reconnaître et de faire valoir nos qualités.
La raison est au moral ce que le régime est au corps. L'une et l'autre peuvent bien prévenir quelques accidents, atténuer ou réparer quelques maux ; mais ils ne maîtrisent jamais entièrement l'action du tempérament. Ils exigent d'ailleurs une continuité incompatible avec la faiblesse humaine, et les moindres distractions, qu'on ne saurait constamment éviter, détruisent tout leur effet.
Je doute que personne, quelque étonnante, heureuse ou brillante qu'ait été sa destinée, ait eu celle qu'il avait dans la tête ou dans le cœur, peut-être même dans ses facultés naturelles.
Ces savants qui prétendent parvenir à découvrir les secrets de la nature et à pénétrer dans l'infini, ressemblent à ces solliciteurs qui se morfondent dans l'antichambre sans jamais être admis dans le cabinet du maître, et se donnent en sortant un air d'importance et de succès.
Les plus grands résultats ne sont ordinairement que le produit des petits moyens, et pour arriver aux grandes choses il faut passer par les petites ; c'est ce qui donne tant de crédit à celles-ci. L'obligation où chacun est de s'y soumettre fait le triomphe des sots dont elles sont le domaine. Mais il y a cette différence que les sots leur donnent de l'importance pour elles-mêmes, les personnes de mérite pour le parti qu'elles peuvent et doivent en tirer.
Dans les maux extrêmes et les grandes adversités, la résignation est une noble capitulation que le courage fait avec la nécessité : c'est rendre la place en conservant les honneurs de la guerre.
L'envie de plaire est un garant presque assuré de succès. C'est un appel que notre amour-propre fait à celui des autres, et il est rare que sur ce point du moins ils ne se trouvent pas d'accord.
Notre mauvaise humeur est communément l'effet du mécontentement de notre fortune ou de nous-mêmes plus que de celui que nous avons des autres.
Une grande adversité aussi bien qu'une haute prospérité nous signale nos ennemis et leur donne également carrière.
Les hommes, quelque mauvaise que soit leur nature en particulier, ont généralement une tendance à devenir meilleurs ; et souvent s'ils ne le sont pas, c'est faute d'encouragement, d'impulsion ou de confiance dans l'opinion que l'on peut avoir d'eux. Le moyen presque assuré de leur donner les bonnes qualités qu'ils n'ont pas serait de leur montrer qu'on les leur suppose.
Il y a plus d'humilité que l'on ne pense dans la vanité ; elle fait meilleur marché de ceux qu'elle domine que ne pourrait faire de la part des autres l'envie de les rabaisser, et ils s'offenseraient si on leur imposait le tribut qu'ils paient volontairement aux choses et aux personnes qui ont le moins de valeur réelle. La vanité offre aussi plus de mécomptes que de profits par l'infinité de petites choses auxquelles elle met du prix, dont il ne peut manquer que beaucoup ne lui résistent ou ne lui échappent, et le moindre échec lui est plus sensible que tous les triomphes ne lui sont satisfaisants. Ceux-ci même ont une base si fragile qu'ils ne laissent jamais de sécurité ; c'est un édifice sans fondement et sans appui, exposé à tous les vents et que le moindre souffle agite et peut renverser.
Il est peut-être plus facile de se réconcilier avec ceux qui ont des raisons de se plaindre qu'avec ceux qui n'en ont que des prétextes. L'intérêt, la réparation ou la générosité peuvent ramener les premiers ; mais il y a de la part des autres une mauvaise foi et une intention malveillante ennemies de tout accommodement qui demanderait un aveu gênant pour leur amour-propre et même pour leur honneur.
Le mariage, qui est une entré libre, on n'en sort sans qu'il en coûte des dépens.
On doit respect au malheur quelle qu'en soit la cause, encore plus lorsqu'il n'est pas l'effet de nos fautes ou de nos torts envers les autres, mais celui d'une rigoureuse destinée. Il porte alors le caractère sacré d'un arrêt de Dieu qui frappe et protège tout à la fois celui à qui cette épreuve est réservée. L'insulter n'est pas seulement un acte de lâcheté et de dureté, mais une sorte de profanation ; on peut dire même que c'est une imprudence. L'on ne provoque guère impunément les malédictions du malheur. Il y a dans la voix du malheur irrité quelque chose de prophétique et d'inspiré qui semble être l'organe et le signal d'une justice au- dessus de celle des hommes.
L'orgueil et la vanité diffèrent en ce que l'orgueil se suffit à lui-même ; la vanité ne peut se passer des autres.
Ce qui devrait, à défaut de tout sentiment honnête, corriger ou du moins dégoûter des vices, c'est qu'en vieillissant ils deviennent des ridicules.
La servitude avilit les âmes ; l'esclavage les irrite et leur donne souvent la force que la compression imprime à un ressort ; les esclaves peuvent devenir des héros des valets ne seront jamais autre chose que des valets ; leur instinct est de servir un maître, n'importe lequel.
Le secret de beaucoup d'hommes réputés aimables dans le monde est de paraître savoir ce qu'ils ignorent et de ne point faire montre de ce qu'ils savent.
Ce qu'il y a de plus constant dans le monde, c'est que tout y est inconstant ; ce qu'il y a de plus vrai, c'est que tout y est faux.
On peut dire sans risque aux hommes tout le mal que l'on veut de l'espèce humaine, chacun se flattant d'une exception particulière en son honneur ; et pour ceux qui seraient tentés de s'en formaliser, la critique qu'ils sont en droit de faire du censeur lui-même les console ou les venge suffisamment.
La pudeur est bien souvent un sentiment d'honneur inspiré par celui de la honte.
La certitude de la mort, qui est un si grand désenchantement de la vie, en est peut-être aussi le plus vif aiguillon. Si celle-ci ne devait pas finir, on ne se donnerait probablement pas autant de peine pour l'arranger, et l'on serait tenté de remettre toujours au lendemain, dans l'assurance que le temps ne manquera pas.
En amour, il semble n'y avoir jamais assez, même lorsqu'il y a trop.
Il en est de la fortune comme des femmes, qui, lorsqu'on se livre trop absolument à elles, en abusent et vous abusent.
On apporte toujours plus d'ardeur à se faire un nom qu'à soutenir celui que l'on a reçu : c'est ce qui n'explique que trop tant de dégénérations.
Aux yeux de l'homme sensible et affligé, l'univers semble s'anéantir avec l'être qu'il regrette : la douleur produit sur lui une sorte de léthargie que la raison dissipe plus ou moins, selon la force de l'âme, mais qui ne cède principalement qu'à ce nouvel aiguillon de vie que la nature nous donne à l'aspect même de la destruction d'autrui.