J'ai toujours eu une admiration profonde pour ces âmes courageuses qui, en pleine possession d'elles-mêmes et par pur dégoût des misères terrestres, ont trouvé en elles la force de se débarrasser de l'existence. La Nature a bien su ce qu'elle faisait en nous dotant d'une irrémédiable lâcheté en face de la mort ; mais combien il est beau de la vaincre et de lui crier : Ô marâtre ! je te rends ton fardeau. Si tu as cru me lier par le don fortuit et funeste de la vie, tu t'es trompée. Regarde ! voilà le cas que j'en fais.
Je me compare à ces insectes qui, réfugiés à l'extrémité d'une branche, dans une feuille, s'y tissent une enveloppe fine où s'ensevelir. La solitude est ma feuille ; j'y file mon petit cocon poétique.
Il m'est impossible de tenir aux dévots le moindre compte de leurs vertus. La récompense à laquelle ils aspirent est si haute, qu'il y a lieu de s'étonner qu'ils n'en fassent pas davantage pour l'obtenir. Je n'ai pas non plus la moindre compassion pour leurs malheurs. Que sont ces tribulations d'un jour en regard de la félicité qu'ils attendent et vers laquelle ces mêmes afflictions doivent les acheminer ? Ces gens-là vivent dans un monde si peu humain, qu'il est permis de prendre à leur égard des sentiments qui ne le soient point.
J'écoute avec plaisir marcher mon horloge dans le silence de la nuit. Le bruit régulier de son balancier me fait l'effet des battements d'un cœur. Il me semble que j'entends respirer le Temps.
Changer de lieu, c'est changer en même temps les perspectives de notre âme. Certains souvenirs tristes qui étaient au premier plan reculent dans le lointain de la mémoire, et, lorsque plus tard ils reprennent leur place accoutumée, c'est avec des contours moins arrêtés et des teintes adoucies.
Si je m'élève, parfois, à une certaine hauteur, ce n'est point par l'effet de ma propre force. C'est la poésie qui m'a soulevée ; elle me porte où je n'atteindrais pas.
La doctrine de la prédestination est vraie dans son principe. Il y a certainement des êtres voués au bien ou au mal dès avant leur naissance. Le dogme du péché originel n'est pas moins évident au point de vue de la loi de l'hérédité. La Foi a saisi ces vérités ; son seul tort a été d'en tirer des conséquences arbitraires et injustes.
Entre époux il y a une autre communauté que celle de la table et du lit, c'est celle de la pensée. Eh bien, le plus souvent, ces deux êtres, matériellement accolés, habitent, quant à l'esprit, des mondes différents et parfois même hostiles.
La vue des choses ne donne pas des idées ; elle les éveille. Pour que celles-ci surgissent dans notre esprit, il faut qu'elles y existent déjà.
La plupart des gens qui se jettent dans la Foi y sont bien moins poussés par l'amour de la vérité que par le besoin de calmer certaines terreurs. Ils ferment les yeux et s'abandonnent. L'imagination aidant, ils finissent par se figurer qu'ils croient. Ils sont d'ailleurs si peu soucieux de la vérité qu'ils fuient tout ce qui pourrait les tirer de cet état d'illusion. Aux objections de la raison ils n'opposent que des réponses absurdes ou puériles, mais qui les tranquillisent. Or, c'est là tout ce qu'ils demandent.
Il n'y a rien d'absolu ni d'arrêté dans la morale. Elle exprime seulement, à un moment donné, l'état de la conscience humaine et son degré de culture. Elle non plus ne saurait échapper à la loi universelle du progrès.
Quand le poète chante ses propres douleurs il doit avoir la note sobre. Les cris personnels déchirants ne sont pas faits pour la poésie. Comme la Niobé antique, elle doit avoir la grâce de la douleur.
Je me laisse aller avec d'autant plus d'abandon à ma haine contre la Religion que je sens que cette haine est généreuse et qu'elle a ses racines dans les parties les plus élevées de mon être. C'est mon amour pour le bien, pour la justice et l'humanité, qui me rend hostile à ces monstruosités d'égoïsme et de fanatisme auxquelles tout dévot, s'il est conséquent avec lui-même, ne peut échapper.
Les beaux vers, c'est-à-dire ceux qui restent et ne mourront jamais, existaient de toute éternité. Les vrais, les grands poètes eux-mêmes ne les font point ; seulement ils savent les trouver.
Que d'esprits ont la vue basse. Ce sont des myopes pour lesquels un opticien devrait bien inventer des lunettes. Il y en a même de tout à fait aveugles. À ceux-là il faudrait faire subir l'opération de la cataracte intellectuelle. Mais s'y soumettraient-ils ? Leur cécité leur est si chère !
Une femme artiste ou écrivain m'a toujours paru une anomalie plus grande qu'une femme qui serait agent de change ou banquier. Dans ce dernier cas elle n'engagerait que ses capitaux ; dans l'autre, c'est son âme qu'elle met en circulation à ses risques et périls.
En poésie il faut quelquefois savoir éteindre l'expression, afin qu'elle n'étouffe pas le sentiment qu'elle s'est chargée d'exprimer.
On est bien forcé de s'accepter soi-même, seulement il ne faudrait pas s'en montrer aussi souvent satisfait.
Bien qu'il en soit, hélas ! la première victime, l'homme n'a pas le droit de se plaindre des défauts, ni même des vices de la femme. Celle-ci n'a qu'un but au monde, le captiver, et pour y parvenir elle se modèle sur ses désirs. Or, que lui demande-t-il ? Des charmes et du plaisir. Elle se fait donc coquette, frivole, menteuse pour le séduire. Au lieu de se rendre à de pareils attraits, s'il ne se montrait sensible qu'aux qualités de l'esprit et du cœur, elle s'évertuerait à les acquérir et deviendrait bientôt simple, sérieuse, vertueuse même, car elle est capable de tout pour lui plaire.
L'adolescence est consacrée à l'étude des œuvres classiques. Elle peut, il est vrai, les expliquer, mais elle ne les comprend pas. L'ordre, la clarté, la parfaite mesure ne peuvent pas être sentis au moment même où l'esprit est encore confus et désordonné.
La Religion ne transforme pas l'homme. Elle n'a jamais attendri que les cœurs déjà tendres. Quant aux cœurs durs, elle les endurcit encore.
Nos passions et nos besoins, voilà nos vrais tyrans. On devrait donc toujours être simple et vertueux, ne fût-ce que par amour de l'indépendance.
Il s'en est fallu de bien peu que je ne laissasse ici-bas aucune trace de mon passage. Que la barque s'engloutisse, mais qu'au moins elle laisse derrière elle un sillage !
La critique a beau bâtir des théories de l'art, l'artiste n'obéira jamais qu'à une esthétique instinctive et personnelle. Il travaille sur un modèle intérieur, sorte d'idéal individuel, qui n'a rien à démêler avec les règles préconçues.
Le sentiment religieux est naturel à l'homme, au sein de ce mystère dont il se sent enveloppé ; mais qu'on ne me parle pas des religions. Elles imposent des croyances arrêtées et exclusives, lesquelles ne conviennent nullement à un être qui ne sait rien et ne peut rien affirmer.
En entrant dans la vie, la femme se met tout d'abord sous la conduite de ses sentiments, et comme ceux-ci sont le plus souvent emportés et aveugles, il en résulte qu'avec de pareils guides elle va parfois donner tête baissée dans toute sorte de broussailles et de précipices, ce dont elle ne laisse pas d'être elle-même fort étonnée.
Nous sommes ingrats envers les penseurs et les artistes qui nous ont précédés. Que serions-nous sans eux ? Ils ont été les anneaux qui nous relient à la chaîne infinie. Comme dans un cerveau individuel une idée en amène une autre, leur œuvre a suscité la nôtre. Nous ne commençons ni n'achevons rien. Il faudrait remonter bien haut dans la pensée humaine pour trouver le point initial. Heureux, néanmoins encore, ceux auxquels il est donné de continuer.
Je sens se relâcher en moi tous les ressorts de l'amour-propre, ceux même qui entretenaient encore quelque peu mon activité littéraire. Comme un vaisseau qui se serait trop approché de sables funestes, je m'enfonce et vais bientôt rester ensevelie dans l'indifférence absolue.
Le poète a d'abord été un initiateur ; aujourd'hui il n'est plus qu'un écho.
Nous ne sommes pas maîtres de nos actions. Nous les jugeons, mais elles nous sont imposées par notre nature. Le remords porte donc le plus souvent à faux. L'homme ne devrait avoir que des regrets.
Quand le temps a passé sur nos amours et nos douleurs, notre cœur qui s'est calmé reste tout étonné de ses excès.
Nous mourons presque tous de mort violente, car comment nommer autrement cette rupture douloureuse des liens de la vie ? Mourir ne devrait être que s'éteindre. Pourquoi la cessation de l'existence est-elle si souvent précédée de longues et terribles douleurs ? Pourquoi ce dernier combat ? On dirait que la mort est contre nature, à voir la résistance que la chair et l'esprit lui opposent.
Il ne faut pas se faire d'illusion à cet égard les douleurs chantées sont déjà des douleurs calmées. Ce n'est point lorsque nous sommes encore engagés dans la sensation que nous serions capables de l'exprimer. Il faut s'écarter de soi-même et se considérer de loin et avec perspective. Nous ne nous peignons bien qu'à la distance du souvenir.
Quel est cet idéal vers lequel la nature s'achemine à travers le temps éternel et les formes infinies ? Nous ne sommes pas le terme de son évolution. Ce n'est point pour aboutir à notre misérable humanité qu'elle a pris son élan de si loin. Ô toi qu'elle entrevoit, être futur, songe à nous qui aurons souffert et peiné pour te frayer la voie !
L'adoucissement des mœurs se manifeste par le mouvement actuel contre la peine de mort. Il existe une répugnance croissante contre cet acte de cruauté sociale. Et la peine de l'enfer, qu'en disent messieurs les dévots ? Il me semble que leur Dieu, tout bon Dieu qu'il est, devrait bien venir prendre chez nous des leçons d'humanité.
Il est étrange que, parfaitement certains de la brièveté de la vie, nous prenions tant à cœur les intérêts qui s'y rapportent. Quelle est cette activité, ce mouvement à l'entour de places et de richesses, dont nous aurons si peu de temps à jouir ? Et ces pleurs sur des morts chéris que nous irons rejoindre demain ? L'homme sait tout cela, et cependant il s'agite, il s'inquiète, il s'afflige, comme si la fin de ces empressements et de ces larmes n'était pas prochaine, et nulle philosophie ne peut lui donner sur toutes choses l'indifférence qui convient à un condamné à mort sans espoir ni recours.
Il en est de certains points culminants de notre vie comme des hautes montagnes : quelle que soit la distance qui nous en sépare, ils nous paraissent toujours proches.
À force d'intelligence et de culture nous ne pouvons qu'essayer de ressaisir les émotions des chantres primitifs. Les premiers hommes ignoraient combien ils étaient poètes : nous seuls le savons, parce que nous ne le sommes plus. Ils ne se distinguaient par de leurs sensations. Ces vibrations résonnent encore à travers les âges. Comme à la musique, nous leur prêtons tout ce que nos propres sentiments nous suggèrent.
Chez les romantiques, l'expression embrasse plus de pensées qu'elle n'en peut étreindre. De là son caractère vague et incomplet.
La maladie n'a qu'un droit, c'est le droit au remède.
Fanatisme ou hypocrisie, l'homme ne peut pas sortir de là.
Les causeurs sont des prodigues ; causer, c'est jeter son esprit par la fenêtre.
Le mariage est rarement l'union harmonieuse de deux individus qui se trouvent être dans un même état de cœur. Ce n'est le plus souvent qu'un besoin de finir et un désir de commencer qui se rencontrent.
Pour écrire l'histoire de sa propre vie, la mémoire ne suffit point, il faut encore l'imagination : j'entends l'imagination du souvenir, non pas celle qui invente, mais celle qui rassemble et ranime.
J'ignore ! un mot, le seul par lequel je réponde aux questions sans fin de mon esprit déçu ; aussi quand je me plains au sortir de ce monde, c'est moins d'avoir souffert que de n'avoir rien su.
Sur le passé donner un coup d'éponge en bien des cas serait d'un bon effet.
Il n'est sous les cieux rien de plus doux qu'un regard de tes yeux !
Les blessures de l'amour le plus souvent ne sont qu'égratignures à fleur de peau.
L'amour de tout temps fut un traître, il a foison de dards en son carquois.
Toute lune, en fût-il des milliers, me serait miel auprès de ce que j'aime !
La joie, hélas ! est de si court passage. Elle est si peu coutumière ici-bas !
Un non n'est rien s'il ne sait tenir bon.
Céder toujours c'est un très mauvais pli.
Il y a chez chacun de nous, surtout dans la jeunesse, quelque chose qui chante. La plupart des hommes ne se rendent pas compte de cette musique vague et fugitive ; le poète seul arrête au passage les divins accents.
Les dévots sont des poltrons, les dévots sont des lâches. Prosternés devant un Dieu inique et capricieux, ils n'ont qu'un but, qu'une pensée : le fléchir à tout prix.
Tout se liquide en perte dans la vie : mourir, c'est déposer son bilan.
La mort n'est en réalité qu'une banqueroute définitive.
Si Dieu existe, je ne voudrais point être à sa place ; ne pas pouvoir cesser d'être, quel supplice !
Être et avoir sont deux verbes aussi nécessaires dans la vie que dans la grammaire.
Les croyances religieuses sont comme les vieilles dents : cela branle, mais cela tient !
Si l'amour n'est qu'erreur et souffrance, un cœur peut être fier de n'avoir point aimé.
L'homme est grand lorsqu'il aime.
Le doute est un progrès sur la négation.
Dans la société les ridicules sont des discordances. Au milieu du concert universel, combien ont l'oreille très sévère pour quelque innocente fausse note du voisin, et qui cependant ne s'entendent pas détonner d'un bout à l'autre.
À force d'annoncer les événements, on en provoque l'accomplissement. Les prophètes annonçaient le Messie, et Jésus est venu. Il n'était pas annoncé parce qu'il devait arriver, mais il est arrivé parce qu'il était annoncé. Les grands désirs de l'humanité, qui ne sont que l'expression de ses grands besoins, finissent toujours par se réaliser.
En fait d'amour qui dit maternel dit fort tendre.
Il n'est de raconter vieillard qui ne raffole.
Certains époux habitent des mondes différents et parfois même hostiles !
Aimer, c'est fleurir ; cesser d'aimer, c'est se flétrir.
La meilleure manière d'être revenu de bien des choses, c'est de n'y être jamais allé.
Aimant, pleurant, le Temps toujours avance ; c'est un vieillard, mais un vieillard pressé.
Qui n'est rien ou n'a rien n'existe pas.
La vie est comme la journée : elle a ses heures mortes.
Une grande intelligence ne met pas à l'abri de toutes sortes d'erreurs et de faiblesses.
Il y a eu un temps où il fallait une certaine force d'esprit pour ne pas croire à Jupiter. Il en viendra un où l'on ne comprendra pas qu'on ait pu croire en Dieu.
Dans les poésies des troubadours, il règne une grande uniformité de ton. D'ailleurs on n'y rencontre que quelques images toujours les mêmes ; ce n'est qu'un joli gazouillement.
C'est un métier que d'affirmer : il y a même des gens payés pour cela.
Combien le cœur de l'homme est insuffisant ! Il se refuse à la continuité des plus justes douleurs ; un long amour finit par le lasser ; il faut qu'il se repose ou qu'il change.
La passion explique bien des choses, mais ne justifie rien.