Les 81 pensées et citations de Marguerite Yourcenar :
La voie qui consiste à tout nier pour voir si l'on peut ensuite réaffirmer quelque chose, à tout défaire, pour regarder ensuite tout se refaire sur un autre plan ou à notre guise.
Un bon négociateur ne fait pas confiance.
Des moments libres toute vie bien réglée a les siens, et qui ne sait pas les provoquer ne sait pas vivre.
Construire, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage.
Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine : l'étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l'observation des hommes, qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ; les livres, avec les erreurs particulières de perspectives qui naissent entre leurs lignes.
Je vois une objection à tout effort pour améliorer la condition humaine, c'est que les hommes en sont peut-être indignes.
La solidarité se dépense en petite monnaie journalière.
Les femmes ne voient dans la tendresse qu'un acheminement vers l'amour.
Il est reposant de penser que l'oubli est moins prompt, moins total qu'on ne suppose.
La vie est le mystère de chaque être, elle est si admirable qu'on peut toujours l'aimer. La passion a besoin de cris, l'amour lui-même se complaît dans les mots, mais la sympathie peut être silencieuse. Je l'ai ressentie, non seulement à des minutes prévues de gratitude et d'apaisement, mais envers des êtres que je n'associais à l'idée d'aucune joie.
Peu durables sont les émotions les plus vives, pour vouloir, du rapprochement d'êtres périssables, engagés de toutes parts dans la mort, tirer un sentiment qui se prétende immortel. Ce qui nous émeut chez un autre ne lui est après tout que prêté par la vie. Je sens trop bien que l'âme vieillit comme la chair, n'est, chez les meilleurs, que l'épanouissement d'une saison, un miracle éphémère, comme la jeunesse elle même. À quoi bon nous appuyer à ce qui passe ?
Le plaisir est trop éphémère, la musique ne nous soulève un moment que pour nous laisser plus tristes, mais le sommeil est une compensation. Même lorsqu'il nous a quittés, il nous faut quelques secondes pour recommencer à souffrir ; et l'on a, chaque fois qu'on s'endort, la sensation de se livrer à un ami. Je sais bien que c'est un ami infidèle, comme tous les autres ; lorsque nous sommes trop malheureux il nous abandonne aussi. Mais nous savons qu'il reviendra tôt ou tard, peut être sous un autre nom, et que nous finirons par reposer en lui. Il est parfait quand il est sans rêves ; on pourrait dire que, chaque soir, il nous réveille de la vie.
Les gens que l'on rencontre dans les rues, pendant le jour, donnent l'impression d'aller vers un but précis, que l'on suppose raisonnable, mais, la nuit, ils paraissent marcher dans leurs rêves. Les passants me semblaient, comme moi, avoir l'aspect vague des figures qu'on voit dans les songes, et je n'étais pas sûr que toute la vie ne fût pas un cauchemar inepte, épuisant, interminable.
On s'habitue facilement à la solitude. Il y a une jouissance à savoir qu'on est pauvre, qu'on est seul et que personne ne songe à nous. Cela simplifie la vie.
Il n'est pas difficile de nourrir des pensées admirables lorsque les étoiles sont présentes. Il est plus difficile de les garder intactes dans la petitesse des journées ; il est plus difficile d'être devant les autres ce que nous sommes devant Dieu.
À mesure que disparaissent ceux que nous avons aimés diminuent les raisons de conquérir un bonheur que nous ne pouvons plus goûter ensemble.
Les confidences sont toujours pernicieuses quand elles n'ont pas pour but de simplifier la vie d'un autre.
Ma mère, dans les derniers temps de sa vie, se plaisait à demeurer sans rien faire aux approches de la nuit. Il semblait qu'elle voulût s'habituer à l'inaction et aux ténèbres. Son visage, je suppose, prenait alors cette expression plus calme, plus sincère aussi, que nous avons lorsque nous sommes tout à fait seuls et qu'il fait complètement noir.
La souffrance nous rend égoïstes, car elle nous absorbe tout entiers. C'est plus tard, sous forme de souvenir, qu'elle nous enseigne la compassion.
Nous tenons par tant d'attaches aux lieux où nous avons vécu qu'il nous semble en les quittant plus facile de nous quitter.
La première conséquence de penchants interdits est de nous murer en nous-mêmes : Il faut se taire, ou n'en parler qu'à des complices. J'ai beaucoup souffert, dans mes efforts pour me vaincre, de ne pouvoir attendre ni encouragement ni pitié, ni même ce peu d'estime que mérite toute bonne volonté.
Nos défauts sont parfois les meilleurs adversaires que nous opposions à nos vices.
À force de nous répéter ce que nous aurions dû faire, nous finissons par trouver impossible que nous ne l'ayons pas fait.
Je n'ai jamais aimé les livres. Chaque fois qu'on les ouvre, on s'attend à quelque révélation surprenante, mais chaque fois qu'on les ferme, on se sent plus découragé. D'ailleurs, il faudrait tout lire, et la vie n'y suffirait pas. Mais les livres ne contiennent pas la vie ; ils n'en contiennent que la cendre ; c'est là, je suppose, ce qu'on nomme l'expérience humaine.
Les gens qui parlent par ouï dire se trompent presque toujours, parce qu'ils voient du dehors, et qu'ils voient grossièrement. Ils ne se figurent pas que des actes qu'ils jugent répréhensibles puissent être à la fois faciles et spontanés, comme le sont pourtant la plupart des actes humains. Ils accusent l'exemple, la contagion morale et reculent seulement la difficulté d'expliquer. Ils ne savent pas que la nature est plus diverse qu'on ne suppose ; ils ne veulent pas le savoir, car il leur est plus facile de s'indigner que de penser.
Les rêves sont parfois les avant-coureurs du désir.
Rien ne rapproche les êtres comme d'avoir peur ensemble.
Il y a certains moments de notre existence où nous sommes, de façon inexplicable et presque terrifiante, ce que nous deviendrons plus tard.
Quand on s'est tant menti, et qu'on a tant souffert du mensonge, il n'y a vraiment pas grand risque à essayer si la sincérité guérit.
S'il est difficile de vivre, il est bien plus malaisé d'expliquer sa vie.