Il fut un temps où, après avoir espéré pendant des années contre toute espérance, je crus qu'il fallait renoncer à l'espoir. Je fis à Dieu le sacrifice entier de mon bonheur, je le lui fis chaque jour, heure par heure. Mais qu'il était difficile parfois d'arriver à la fin d'une journée commencée sans aucune joie !
Si le bonheur ne provoque pas toutes les forces, du moins il ouvre toutes les avenues. Il faut avoir connu la joie dans sa plénitude pour que l'espérance de la retrouver inspire du courage et pousse à l'action. Je plains les malheureux qui, pour s'être contentés dans leur jeunesse d'un demi-bonheur, d'un bonheur de vanité et d'apparence, sont privés et de sa délicieuse influence, et des inappréciables enseignements que donne la souffrance après la joie. C'est si affreux de n'avoir rien à perdre ! Ah ! quand il serait vrai qu'on ne monte sur la montagne que pour en être infailliblement précipité, encore vaudrait-il la peine d'y monter, pour découvrir ces horizons lumineux dont le souvenir nous empêche à jamais de prendre des biens trompeurs pour les vrais biens.
Si le doute provient de la multiplicité des points de vue, le scepticisme est le résultat d'un point de vue exclusif. Le grand nombre des aperçus empêche les affirmations précipitées, mais il fournit à l'esprit tous les éléments dont il a besoin pour conclure. La limitation du point de vue, au contraire, ne procurant pas à l'intelligence les données qui lui sont nécessaires, la retient dans l'impuissance. Cette disposition à n'envisager qu'une seule face des problèmes est une des principales causes du scepticisme de notre temps.
Le scepticisme n'est capable que de se répéter. Il ne peut rien fonder ; il ne peut que nier ou ajourner les questions. Rien, est son dernier mot !
Le temps s'écoule, les maux augmentent, et rien de fécond ne peut sortir du désespoir, rien de réel de l'illusion. De tant d'efforts, de souffrances, de destructions et de tentatives infructueuses, il ne reste qu'une chose : Le vague pressentiment d'un avenir meilleur.
Dieu a créé l'homme de telle sorte qu'il n'y a en lui aucun sentiment qui ne puisse refleurir. L'amour, l'espérance, l'enthousiasme, la confiance en Dieu ne sont pas destinés seulement à charmer le matin de la vie. Souvent même, dans la jeunesse, on n'a que l'apparence de ces qualités, et ce printemps trompeur, dans sa courte durée, n'a pour rôle que de faire désirer le véritable printemps. Ah ! Monsieur, vous ne savez pas ce qu'il vaut ! vous ne savez pas quelle félicité inonde le cœur lorsqu'il retrouve tout, après avoir tout perdu !
Plus on voit la vie de haut, mieux on comprend sa valeur, mieux on se réjouit de sa beauté. S'il faut peu de chose aux âmes frivoles, ou plutôt, si elles se persuadent que peu leur suffit, il n'en est pas de même de ceux qui prennent la vie au sérieux. Il faut beaucoup à ceux-ci ; il leur faut tout, tout le bien et tout le bonheur, toute la vérité et toute la perfection, tout l'amour et toute l'unité, c'est-à-dire Dieu, et en Dieu les créatures. Est-ce trop demander ? Est-ce un tort, est-ce un malheur de nourrir en soi de telles aspirations ? Je ne le pense pas. Il sied bien à l'âme d'être ambitieuse ; c'est sa gloire de n'être point satisfaite. Je ne connais rien qui dégrade davantage qu'une idée mesquine de la félicité.
Dieu est amour, il est père, au lieu de se venger en perdant le pécheur, il veut exercer à la fois sa justice et son amour, transformer l'homme, en ôtant le péché du monde.
Qu'est-ce que le mariage ? Quelques jours, quelques mois peut-être d'un bonheur imaginaire ; puis des dissentiments, des querelles, des efforts inutiles pour se rapprocher et s'entendre !
Quand les opinions ont pris une forme arrêtée et qu'en se développant leurs conséquences viennent toucher à tout, parler devient un besoin. L'âme demande à communiquer le feu qui la remplit, et elle le peut d'autant plus facilement qu'il n'est plus nécessaire qu'elle aille le chercher au fond du sanctuaire ; il est partout, l'édifice entier est embrasé.
Me consoler de la perte de mon fils ? N'en parlons pas, n'en parlons jamais ; je ne veux pas être consolé. La vie, la destinée, je ne veux rien leur devoir. Je veux souffrir ; je veux pouvoir accuser à mon gré et le sort, et le hasard, et l'existence. Qui pourrait m'empêcher de les maudire ? Que n'ont-ils donné ? C'est une terrible chose que de perdre son fils ; mais ce qui peut être est plus terrible encore, ce sont toutes les pensées qu'une pareille perte vient réveiller dans les abîmes où l'on croyait les avoir enfouies pour toujours.
L'irritation est plus facile à endurer que l'indifférence, car la colère est encore de la passion. L'indifférence elle-même, de la part d'un être admiré qu'on sent planer au -dessus de soi, peut sembler légitime. Un cœur ardent tient davantage à aimer qu'à inspirer de l'amour. Mais ne plus admirer ! voir celui à qui on s'est donné, s'abaisser à plaisir et traîner dans la poussière cette noble âme faite pour prendre un plus haut essor ! Oh ! gardons-nous de sonder de pareilles douleurs.
C'est le plus beau privilège des masses que de pouvoir conférer la gloire ; mais c'est une petitesse de la rechercher, aussi bien que de rechercher les honneurs. Ce que nous devons nous proposer pour but, ce doit être les choses pour elles-mêmes, et non pour nous. Je pense, au reste, que la gloire est un mot dont les âmes élevées se servent souvent faute d'un autre. Ce qu'elles veulent, c'est le libre essor de leurs facultés, c'est l'influence bienfaisante qu'elles doivent exercer. Il n'y a rien que de légitime en cela. Si elles demandent la gloire, c'est comme une sanction propre à leur ôter ce doute sur elles-mêmes qui peut persécuter les natures les plus fortes.
J'ai souvent remarqué qu'à l'endroit des convenances les hommes de bien sont beaucoup plus raides que les femmes. D'où cela vient-il ? Ce n'est pas, je pense, qu'ils soient plus délicats ; c'est plutôt parce que les femmes, avec leur tact exquis, savent apposer à toute circonstance le cachet de dignité qui leur est propre. Les hommes au contraire ont besoin de règles fixes et austères pour ne pas s'égarer, et ils ne sauraient comprendre qu'on s'en passe. Ce qu'ils aiment surtout, ce sont les grandes routes, bien munies de chaque côté de fossés et de barrières. Les femmes ont une préférence marquée pour les jolis sentiers au bord des abîmes. Ne pourrait-on trouver une voie moins monotone que la grande route, moins dangereuse que le sentier ?
Triste mais généreuse et aimable erreur que celle qui consiste à croire notre destinée explicable, la vérité à la portée de nos efforts, le bonheur possible dans la vie.
Les erreurs d'une jeunesse égarée à la poursuite de biens sans réalité ne doivent pas influer sur toute la vie. Maintenant je comprends mieux l'existence telle qu'elle est, et je me règle sur elle, au lieu de vouloir l'élever au niveau de mes rêves. Ne me parlez plus comme à un malade, comme à un fou ; les années m'ont guéri, et je n'ai plus que du dédain pour les idées fausses et les sentiments exaltés qui m'ont trop longtemps dominé.
Au lieu de vivre, j'ai usé ma jeunesse dans des rêves insensés. L'avenir est inconnu ; je veux mettre à profit le présent. Il m'appartient, et personne, oh ! personne ne pourra désormais m'empêcher de jouir de la vie à ma manière. Quelle insolence dans ces âmes superbes auxquelles le monde ne suffit pas ! Quelle orgueilleuse condamnation elles ont l'air de prononcer sur ceux qui ne veulent pas, comme elles, souffrir sans relâche de la disproportion entre leurs besoins et ce que la vie peut offrir pour les satisfaire ! Quel dédain ! Quel redoublement de passion pour leurs chimères ! Ah ! je le sens, ce ne sont pas leurs tendances seules que je hais, c'est elles-mêmes ! Qu'on me laisse donc être heureux comme je l'entends ! Qu'on me laisse déployer cette activité qui a besoin des hommes, de la terre, des affaires compliquées et difficiles, pour éclater dans toute sa force ! Je ne suis pas fait pour végéter toujours dans la vie privée. Les sentiments fanés de ma jeunesse ne me suffisent plus ; il faut un vaste champ à mon activité.
Les enfants comprennent facilement les grandes choses. Malheureusement, il y a bien des femmes qui font de leur qualité de mère une sorte de rôle qu'elles prennent et quittent à volonté. Faibles et passionnées quand il s'agit de témoigner leur tendresse, elles adoptent un visage et une voix de convention, soit pour blâmer des torts qu'elles excusent, soit pour inculquer des principes dont elles ne se soucient que pour la forme. Ce n'est plus une femme qui fait passer son âme dans celle de son enfant, c'est un acteur médiocre qui répète des tirades sans portée. L'enfant sait très bien dédoubler les deux rôles de celle qui l'estime assez peu pour l'élever au moyen d'une comédie. Il sait à merveille ce qu'il doit penser d'enseignements qui cadrent si mal avec la vie de sa mère, qu'elle est forcée, pour les donner, d'avoir recours à un personnage fictif.
Mon fils ressemble à cette petite étoile qui scintille comme pour nous charmer.
La vie n'a sa plénitude que lorsque tous les sentiments et toutes les forces ont trouvé leur aliment et leur emploi.
Ce n'est pas le malheur dans son ensemble qui fait souffrir, ce sont ses détails.
Le suprême effort de l'amour est de faire taire les exigences du cœur.
Il est à remarquer que les femmes sont en général beaucoup plus acerbes que les hommes. N'ayant pas toujours présentes à l'esprit les raisons à l'appui de leurs idées, elles donnent d'autant plus d'essor à leurs passions qu'elles n'ont pas d'autres armes. Semblables à ce guerrier qui, les mains coupées, s'attachait encore avec les dents au vaisseau ennemi, elles se soucient moins de nuire que de manifester leur haine.
Comment se distraire, comment s'absorber dans des préoccupations mesquines, en vivant auprès d'une femme dont le cœur est consacré à Dieu, dont l'âme est remplie des pensées les plus hautes, dont la vie tout entière est sous l'inspiration d'une foi ardente ?
Jésus, vous n'êtes pas une froide idée pour mon intelligence ; vous êtes un être réel, vivant, qui me manifeste Dieu. Et qui donc, sinon un être, pourrait satisfaire les aspirations d’un autre être ? Ô Christ ! ne souffrez pas qu'on vous méconnaisse à jamais ; qu'on rapetisse ou qu'on défigure votre œuvre ! Ayez pitié de nous : ah ! nous avons si grand besoin de votre pitié !
L'homme demande un vaste avenir pour y répandre ses espérances. Le petit nombre d'années qu'il a devant lui, c'est trop peu pour ses désirs infinis et même pour ses forces. Par une méprise fatale, on concentre toutes les facultés sur un rien : bon gré, mal gré, il faut qu'elles s'y arrêtent, et dans ce combat elles se dégradent.
L'âme, hélas ! si souvent bouleversée par des impressions pénibles et douloureuses, a besoin d'être bouleversée par les joies de l'enthousiasme.
Les hommes ont chacun une carrière qui les absorbe, et qui, en les forçant de se concentrer sur un objet particulier, tend à les rendre exclusifs. Je voudrais que chaque femme pût s'intéresser à tout ce qui occupe la vie des hommes qui l'entourent, afin que son esprit fût comme un centre où les courants divers vinssent aboutir. Le rôle des femmes est de s'emparer des idées générales, des principes mêmes des choses, en négligeant les applications et les détails, qui réclament une activité extérieure ; elles doivent sentir et propager ce qu'il y a de généreux dans toutes les sphères : c'est à elles d'en saisir le côté moral, élevé, le côté qui parle à l'âme, et de le représenter dans un monde où les intérêts personnels menacent de tout envahir. Elles doivent assurer l'empire de l'esprit sur la matière. C'est une affaire de bon goût autant que de rectitude morale.
Le privilège des infériorités est de trouver leur place dans ce monde sans la chercher.
Quand on ne peut discerner le vrai et le bon, on peut encore en nourrir l'amour dans son cœur et le répandre autour de soi. Je crois d'ailleurs que la bêtise tient encore plus à un défaut du caractère qu'à un défaut de l'esprit. Si l'on ne peut acquérir de grandes facultés comme on acquiert une vertu, on peut toujours se corriger d'un certain degré de bêtise comme d'un vice. L'homme de bien a quelquefois l'esprit faible, mais il n'est jamais absolument sot !
Les femmes ont un grand rôle à jouer sur la terre. Les muses jadis ont inspiré les poètes ; c'est aux femmes, rarement destinées à créer, qu'appartient de droit l'inspiration de la société. Elles doivent montrer le but : c'est aux hommes d'y tendre ; et peut-être la société ne serait-elle pas si malade si les femmes n'avaient pas laissé refroidir dans leur cœur le foyer d'enthousiasme.
Si vous craignez les difficultés, souvenez-vous toujours de cette parole de mon père qui a fait l'inspiration de ma vie : Il n'y a que l'impossible qui vaille la peine.
Malheureux aujourd'hui, comme par le passé, je n'attends de l'avenir que la triste répétition de luttes sans issue.
Les âmes basses cessent d'aimer ce qui leur coûte quelque renoncement, mais les âmes élevées s'attachent avec plus d'ardeur à ce qui provoque leur héroïsme.
Les yeux fixés sur l'avenir de son fils, une mère redoute pour lui les difficultés de la vie, de la vie intérieure surtout. Elle les connait si bien ! Puis elle reprend courage pour elle-même et pour lui, et ces luttes si redoutables qui assaillent toute existence lui paraissent glorieuses et dignes d'être livrées, même au prix du bonheur.
Qu'y a-t-il de plus affreux que d'être obligé de choisir dans ce que l'on pense, en parlant à ceux qu'on aime ?
J'ai souvent remarqué qu'à l'endroit des convenances, les hommes de bien sont beaucoup plus raides que les femmes. D'où cela vient-il ? Ce n'est pas, je pense, qu'ils soient plus délicats ; c'est plutôt que les femmes, avec leur tact exquis, savent apposer à toute circonstance le cachet de dignité qui leur est propre. Les premiers aiment surtout les grandes routes ; les femmes ont une préférence marquée pour les jolis sentiers au bord des abîmes.
Je pense que la gloire est un mot dont les âmes élevées se servent souvent faute d'un autre. Ce qu'elles veulent, c'est le libre essor de leurs facultés, c'est l'influence bienfaisante qu'elles doivent exercer. Si elles demandent la gloire, c'est comme une sanction propre à leur ôter ce doute sur elles-mêmes qui peut persécuter les natures les plus fortes.
II ne faut qu'une tache sur la réputation d'un homme pour qu'il ne puisse plus recouvrer la place qu'il occupait dans l'opinion.
Moins vous vous sentez le droit d'exiger l'admiration des autres avant d'avoir rien réalisé, plus vous êtes disposé à vous en accorder une sans bornes.
Quand l'homme est arrivé à la pleine possession de ses facultés, s'il ne s'en sert pas pour tenter son relèvement, ou si après l'avoir tenté, il échoue, il se fait en lui comme une chute seconde, plus apparente peut-être que la première aux yeux mortels, plus dégradante, plus douloureuse.
Notre amour est au-dessus des expressions de la terre. Être ensemble tout à Dieu, pour le temps et pour l'éternité ; souffrir ensemble des maux de la route ; espérer les biens du ciel ; aimer toutes les créatures ; être unis sans retour, et s'unir cependant à chaque heure, comme si l'heure précédente n'avait pas été témoin d'une union semblable ; entendre chacun non le vain écho de sa voix, mais le son qui complète le son, la note qui achève l'harmonie ; être un et être deux, ô mon amie, c'est là notre sort ! Ne craignons pas de troubler notre vie par les travaux et les combats ; notre part sera assez belle encore.
Le vrai est trop beau pour ne pas ravir l'âme qui l'aperçoit ; il est trop amer pour ne pas la navrer, trop consolant pour ne pas la rassurer.
Le bonheur, ô ma bien-aimée, est le loisir accordé à l'âme pour mieux sentir le bonheur accordé à l'humanité. Ne l'oublions pas. Ne rabaissons pas notre félicité au niveau d'une satisfaction mesquine, mais élevons-la à la hauteur d'une mission de sacrifice et d'amour. - Ah ! dit-elle, je le crains : savoir vivre, c'est savoir choisir entre les souffrances. Et heureux sommes-nous, lorsque nous aimons comme notre bien le plus précieux celles que nous avons choisies.
II sied bien à l'âme d'être ambitieuse, c'est sa gloire de n'être point satisfaite. Je ne connais rien qui dégrade davantage qu'une idée mesquine de la félicité.
Remonter ! c'est là toute la question. Au fond il n'y en a pas d'autre. C'est le problème de chaque vie, c'est celui de la société, c'est celui de l'humanité tout entière.
Se désabuser de soi-même, lorsqu'on est déjà désabusé de toutes choses, c'est le meilleur moyen de faire revivre en soi mille flammes qu'on croyait éteintes.
Pour admirer les œuvres qui s'adressent à ce qu'il y a de plus élevé dans l'homme, il faut certaines dispositions qui tiennent d'assez près à la morale.
Le malheur de ceux qui forcent leur nature, ou qui l'étouffent, est de ne plus comprendre chez les autres les sentiments naturels et spontanés.
Je suis étonnée de tout le courage qu'il faut pour être heureux. Pour transformer l'idéal en réalité, ce n'est pas trop de l'héroïsme de toute une vie.
II y a un abîme entre tout homme et son semblable qui ne se comble point avant que leurs regards ne se soient rencontrés dans le sein de Dieu. Alors l'abîme disparaît et l'amour des créatures, impuissant tant que rien ne les unissait, croît, grandit et prospère sous le souffle de l'amour divin.