Il y a bien plus de jeunes gens qui fassent de leur maîtresse leur femme que de maris qui sachent faire de leur femme leur maîtresse. — On entre toujours en ménage avec l'éteignoir de l'amour, ayant en perspective la bassinoire de l'estime pour réchauffer le lit glacial où sont morts les désirs.
Ce n'est pas sans raison que les anciens ont donné des ailes à Cupidon. Amour volage, nos mœurs ne t'ont point domestiqué et tes ailes te servent encore à franchir murs et barrières, préjugés et devoirs, lors même qu'on veut faire de toi un oiseau de volière joyeuse ou un volatile de basse-cour conjugale !
Soyons toujours sourds à la voix attendrie et suppliante des emprunteurs de livres ; gardons nos bouquins en avares, en égoïstes, quelque pénible que le refus nous soit. Gardons précieusement nos livres, ne les prêtons pas ; c'est le plus sûr moyen de conserver la tranquillité intérieure, la paix de conscience, le bonheur sans nuage, l'ivresse paradisiaque de nos voluptés bouquinières.
Dans les tendres conversations, il se glisse des lieux communs d'amour qui pirouettent comme des clowns avec l'assurance de retomber sur leurs pieds. Il n'y a que les sots qui les lancent ; les autres cherchent la virginité de l'expression pour cacher la souillure du cynique désir.
Pour certaines gens à cervelle banale et vaniteuse le bruit de l'or tinte le bonheur, de même que pour d'autres le frou-frou d'une riche toilette de femme chante l'amour. — Sots et impuissants !
Le platonisme, quel paradoxe d'amour ! Dans les âges de la galanterie, disait Ninon, c'est la passion de la vieillesse.
Singulier vœu que le vœu de chasteté ! n'est-ce pas une injure, une provocation à la nature et au bon sens ?
L'impudence d'une femme excite l'amour-propre ; son impudeur fait naître les désirs, son impudicité ravage les sens.
Une prude a tant d'honneur qu'elle le laisse partout.
Le divorce est l'unique juge de paix de Cythère ; il dénoue ceux que la sottise et l'ambition ont unis sans amour.
Allez donc parler d'amour à un médecin, il vous dira : Bah ! mais ce n'est que l'attraction de deux muqueuses.
On possède les femmes par leurs défauts, rarement par leurs qualités.
Les femmes n'aiment que ce qu'on ne leur donne pas.
Tout est amour-propre chez la femme, même l'amour qui ne l'est pas ; — plus on y songe, plus on étudie la théorie, plus on observe la pratique de l'amour, plus on se confirme davantage dans cette opinion que, somme toute, c'est par l'amour-propre que commencent et finissent les plus majestueuses passions aussi bien que les plus légers caprices.
Un mari qui invoque ses droits est bien près de les perdre.
Les grands vicieux sont timides et craintifs, au premier abord, avec une femme qu'ils convoitent ; les écoliers au contraire sont hardis et inconséquents ; l'audace de ceux-ci s'évanouit avec le premier désir, la timidité de ceux-là, au contraire, prend une hautaine revanche au lendemain de la victoire.
Passé quarante ans, la plupart des hommes mettent tout en œuvre pour surexciter leurs sens, sans même concevoir le désir de les satisfaire.
Dans une réconciliation d'amoureux, il est peu de femmes qui n'aient la sottise de prendre les marques de virilité de leur amant pour des preuves irréfutables d'amour et de fidélité.
Une maîtresse qui s'ennuie est déjà infidèle.
Pour une femme mariée, la beauté de son amant est en proportion de la laideur de son mari.
Le caprice passionné vit aux antipodes de l'estime et de la sympathie morale : — les femmes qui nous ressemblent le plus sont celles que nous aimons le moins.
Ce qu'une femme pardonne le moins aisément à un homme qu'elle aime ou qu'elle a aimé, c'est de n'avoir rien à lui pardonner.
Il y a la même différence entre une femme constante et une femme fidèle qu'entre un homme têtu et un homme volontaire.
Que d'infortunés nouveaux mariés ont appris, le soir, à leur dépens, que le flambeau de l'hymen est un cierge de cire... qui n'est pas toujours vierge et sur lequel d'infâmes sacristains ont déjà posé l'éteignoir de l'hypocrisie et du vice !
Les dévotes ou les vieilles filles de haute vertu permettent à leur esprit toutes les jouissances qu'elles refusent à leur chair. Elles déjeunent le matin avec appétit du scandale de la veille, dînent des calomnies ramassées dans le jour, et couchent chaque nuit, par la pensée, avec tous les amants qu'elles ont prêtés si gratuitement aux autres femmes.
Certaines femmes naissent belles ; d'autres deviennent jolies ; on a tout à gagner à s'accointer avec celles-ci plus douces et plus charitables que les premières, à la façon des Gagne-Petit qui se vengent des abstinences de leur jeunesse par les libéralités de leur âge mûr.
L'amour est utile à la vie, comme la rosée est indispensable à la terre, mais l'orage du soir provient trop souvent de la rosée du matin. — Il faut profiter des premiers rayons solaires du bonheur, se hâter de boire au plaisir et quitter la partie avant les ardeurs de midi. — Les plus belles aurores produisent parfois de sanglants crépuscules.
La langueur est à la nonchalance ce que la mélancolie est à la tristesse. — La langueur est une jaunisse de l'âme dont l'amour même a raison. La nonchalance est une apathie corporelle qui donne tous les torts à la volupté qu'elle fait naître.
L'idéal n'est peut-être que la beauté du vrai !
Lorsque mon verre est plein je le vide, lorsqu'il est vide je le plains.
Il est rare que le livre prêté, le bouquin vagabond, ne revienne pas légèrement détérioré comme un écolier qui aurait fait des fredaines ; ce ne sont quelquefois que taches insignifiantes, que feuillets froissés ; mais aussi, plus souvent, le pauvre volume porte des stigmates indélébiles ; sa reliure est meurtrie, ses pages sont déchirées, et ses gardes n'ont su le défendre des plus vilaines atteintes.
Une femme aime beaucoup plus un homme pour le plaisir qu'il lui procure que pour le bien qu'il lui fait.
Comme on les regrette, comme on les caresse par le souvenir, comme on les idéalise, toutes les femmes que l'on n'a pas eues ! Hélas ! la vie est plus forte, il faut bien, coûte que coûte, les manquer sous peine d'en mourir.
Pour tout esprit qui vibre, aimer une femme n'est rien ; on n'aime pas une rose, on aime les roses ; les respirer c'est quelque chose, les cueillir c'est tout. Parmi les raretés de ce merveilleux parterre, dans cette enivrante collection de minois panachés, de roses thé, de roses jaunes, de roses capucines, il est agréable de butiner comme une abeille et de greffer comme un horticulteur. Chacun fait son bouquet avec plus ou moins d'art, les uns sont à la recherche de la rose bleue — c'est l'idéal parce qu'elle n'existe pas — les autres, plus sages, cueillent une variété en tous genres. Que de roses abandonnées avec l'espérance de les retrouver le lendemain, tandis que le lendemain elles se sont effeuillées, la place demeurant vide !
Rêver c'est mieux que vivre, c'est jouir de soi, c'est bercer l'existence et oublier les sottises de la vie active.
La littérature par métier, quelle horrible chose ! — Secouer la torpeur, le bien-être, la douce somnolence d'un cerveau lazzarone pour lui faire suer quelques pages à temps voulu, fi donc ! — Réveiller une imagination qui paresse et qui rêve, c'est déranger un gourmet qui digère ; il faudrait n'avoir aucun respect de soi-même et des autres pour oser ainsi se profaner.
Le mépris fait partie si intégrante du bagage de l'âme humaine qu'il faut s'habituer au mépris, ne serait-ce que pour le mépriser.
L'inconstance n'est rien, l'infidélité est tout ; l'une tisonne le feu, l'autre provoque son incandescence ; on peut être inconstant par nature, on ne saurait être infidèle que par perfidie.
Mon cœur ressemble en plus d'un point à ces vastes appartements de province où le salon majestueux, noble et de haut goût, reste enveloppé sous les housses et n'est presque jamais habité. D'adorables damoiselles en ont quelquefois entrebâillé la porte, mais le tabernacle est resté vierge, silencieux, froid comme une salle d'armes, où veille le souvenir, où se conserve l'espérance. Le foyer n'y a pas de cendres chaudes ou refroidies ; aucune femme, hélas ! n'y a jeté la torche de la passion ; le feu n'attend qu'une étincelle, mais l'étincelle ne vient pas.
Mourir, c'est ouvrir la paupière de l'âme.
L'audace change de nom quand elle s'adresse à une femme, elle n'est plus téméraire : elle rentre dans la logique de Dieu.
On est bien forcé d'être galant homme avec une femme quand on ne peut pas être homme galant.
Il y a des femmes qui sont faites pour être drapées dans une grande passion.
Le souvenir, quel magicien ! c'est le joaillier du passé, c'est lui qui se charge d'enchâsser dans des griffes d'or, ciselées par l'imagination, ces perles fausses qu'on nomme des illusions.
Un cœur s'arrache, se dispute, se viole, s'enlève, mais ne s'empoche pas comme un billet à ordre.
L'amour est un steeple-chase ; s'il devient course plate, adieu la vanité d'amant ; autant lancer sous les pas d'un chasseur convaincu une perdrix apprivoisée, il la dédaignera et ce sera justice.
Il y a des visages qui n'ont pas d'âge.
Il y a des femmes qui se donnent comme il y a des fruits qui tombent, et, au paradis d'amour, ne pas croquer la pomme c'est faire tort à la nature elle-même.
Les faits se racontent et ne s'expliquent pas ; la rêverie n'a été créée par Dieu que pour donner à l'homme le plaisir de paraphraser l'étrange.
Quand vingt printemps bourdonnent dans les oreilles et se cabrent sous la boîte osseuse, quand le sang est chaud et nourri de globules écarlates, que les jarrets sont solides et gonflés de virilité, on vit et on se laisse vivre, c'est largement assez quand ce n'est pas de trop.
L'âge n'apporte sa pondération, son équité, sa philosophie, sa mansuétude qu'au prix des illusions perdues, des révoltes soumises, des audaces primesautières évanouies.
La plus lourde sottise d'un homme qui cesse d'être jeune est de paraitre oublier qu'il l'a été avec intensité, avec vanité, avec gloriole.