Souvent la prudence nous suggère des conseils pour les autres et ne régit pas notre conduite. C'est que l'esprit conçoit, discute, raisonne, et prononcer son jugement est tout ce qu'il peut faire ; mais le cœur commande selon le sentiment qui l'affecte, et lorsque l'un et l'autre sont en contradiction sur le précepte, le cœur oublie la leçon de l'esprit, ou la combat, et l'esprit n'est pas toujours le plus fort.
L'amour s'irrite par les obstacles tant qu'il a l'espoir de les surmonter. Il s'aiguise tant qu'il n'est pas mutuel. L'amour s'affaiblit par l'absence, il tiédit par l'habitude, et meurt enfin de langueur dans les bras de l'ennui qui lui ferme les yeux.
Le véritable amour est un penchant donné par la nature, réglé par la raison, justifié par la vertu : celui-là seul peut remplir notre cœur.
L'amour finit, l'amitié seule peut être éternelle. C'est que les désirs s'envolent avec les grâces, et que l'amitié marche d'un pas égal à côté de la vertu.
Les plaisirs forment des liaisons, l'ambition produit des intrigues, les goûts ou l'intérêt arrangent des sociétés. La vertu seule assortit et resserre les nœuds de l'amitié.
Qui dit Société, dit un nombre indéfini d'hommes qui habitent la même planète, qui se communiquent, dont chacun ne peut suffire seul à ses besoins, qui par conséquent dépendent tous les uns des autres. Cette dépendance entraîne nécessairement des devoirs mutuels, conformes à la loi divine, à l'utilité générale, et à l'agrément particulier.
Ne peut-on pas comparer le monde à un bal où l'on court perpétuellement les uns après les autres pour se connaître. Tant qu'on en reste à s'agacer, on se plaît. Si l'on se démasque, on se quitte ; et ces moments donnés à l'erreur, le philosophe les passe dans le repos.
L'adversité ne conduit les esprits faibles qu'au désespoir, ou à la superstition, mais elle ramène un esprit nerveux à la philosophie.
Il est peu d'âmes sur lesquelles les malheurs ne puissent rien. Encore faut-il dans ce petit nombre faire quelques distinctions, car souvent on prend pour de la philosophie ce qui n'est qu'une insensibilité naturelle. L'homme d'Ésope n'est pas si rare qu'on le pense.
Il arrive que l'adversité continuelle produise des moments de colère et même de fureur, alors c'est l'orgueil vaincu qui se révolte ; mais une nouvelle infortune le rejette dans le cachot, et raccourcit encore un peu plus sa chaîne.
Le plus sûr moyen de faire rentrer le luxe dans les bornes que lui prescrit la saine politique, et de rendre du nerf à l'État, est de ramener dans l'esprit des peuples le goût de l'agriculture par des récompenses proportionnées aux travaux. Le plus sûr moyen d'affaiblir un État, c'est d'avilir la condition du cultivateur.
La lecture est l'aliment de l'esprit, et quelquefois le tombeau du génie.
La dispute est à l'esprit ce que l'acier est au caillou, dont il tire des étincelles.
La discipline est le plus ferme appui de la liberté, car la discipline n'est autre chose que l'observation des lois.
La douceur est aussi souvent l'effet de l'indolence que celui de la tendresse.
La gentillesse est une clef qui ouvre tous les cœurs.
Les larmes que l'artifice emploie devraient n'exciter que de l'indignation, mais on s'y trompe.
Les anciens avoient établi des droits d'hospitalité, ces droits passaient du père aux enfants, ils se contractaient de peuple à peuple, de famille à famille, et quelquefois d'une seule famille à un peuple entier. Il ne reste plus que le fantôme de cet antique usage. Quelques ordres conservent encore le nom d'hospitaliers, mais sans en conserver les fonctions.
Bien des gens attestent sur l'honneur à tout propos et sur des choses indifférentes. N'est-on pas bien près de se jouer de la chose, quand on profane ainsi le mot ?
Qui veut approfondir les hommes ne s'attend pas à tous les dégoûts qu'il se prépare.
L'infini est un, car s'il n'était pas un, il ne serait pas infini.
Ce n'est pas toujours assez d'être vertueux, la vertu a quelquefois besoin des richesses pour ne pas paraître dans un faux jour. L'opulence la sauve au moins des soupçons. L'opulence déguise bien les vices !
Le travail qui fournit le nécessaire, la philosophie qui apprend à se passer du superflu, voilà les véritables richesses.
Balancer entre la sagesse et la fortune était autrefois un déshonneur. Le siècle précédent en a mis le choix en question, le nôtre la décide.
Il faut être aujourd'hui ou bien riche ou bien fou, pour être, ce qu'on appelle, comme tout le monde.
La flatterie est une mine que creuse le vice pour faire écrouler la vertu.
Les petits font par ostentation ce que les Grands se croient obligés de faire par état. C'est une chimère bien dangereuse que ces prétendus devoirs d'état ; elle a plus ruiné de familles que la libéralité des Rois n'en a pu enrichir.
Est-il surprenant que tant de gens placent leur mérite dans leur faste ? Il est si commode d'avoir du mérite pour de l'argent !
Puisque l'expérience ne parle qu'aux sens, elle doit être aussi incertaine que le rapport des sens.
L'exagération touche également à la méchanceté et à la flatterie.
Qui veut faire le vrai bien de l'État doit plus songer à peupler les campagnes qu'à former de grandes villes. Se réduire à donner le spectacle d'une grande ville à l'étranger, c'est lui dire, voilà toutes nos richesses.
Il faudrait un hasard bien extraordinaire pour qu'après avoir bouleversé une maison elle se trouvât rebâtie à neuf ; c'est ce qu'on attendait du système ; mais il n'a fait que mettre en haut ce qui était en bas, et en bas ce qui était en haut.
Les révolutions dans un État sont comme les faiblesses à un malade : il en soutient quelques-unes, mais à la fin il y succombe.
Les esprits forts sont comme les gens ivres, qui veulent toujours faire boire ceux qui sont de sens froid.
Qui n'a qu'une sorte d'esprit n'a point d'esprit.
Qui ne cause que pour faire causer un sot, et rire ensuite à ses dépens, ne ferait-il pas mieux de se taire ?
L'entendement est une activité de l'âme qui aperçoit plusieurs objets d'un seul regard. Il est à l'âme ce que les yeux sont au corps.
L'émulation est extraite de l'envie comme certains remèdes sont extraits de quelques poisons. L'utilité de ses effets nous ferme les yeux sur son principe.
Être digne d'une place qu'on sollicite devrait être le moyen le plus sûr pour l'obtenir ; puisque c'est celui d'avoir le moins de concurrents tels que soi.
Dans les affaires l'éloquence est un piège de plus qui peut faire chanceler l'équité. Elle entraîne par la voie de la persuasion, et mène souvent à l'erreur, même en montrant la vérité.
Pour avoir de la considération à la Cour, il faut ne rien demander, ou tout obtenir.
L'habitude de voir arriver des malheurs que nous n'avons jamais essuyés, et que rien ne nous annonce, nous endurcit pour ceux qui en sont accablés.
Nous ne sommes jamais si peu occupés de l'adversité d'autrui qu'au moment où elle nous est commune.
La compassion, ce sentiment qui honore tant l'humanité, est aussi de tous le moins durable. II fuit avec l'objet qui l'a fait naître.
Le luxe est à la suite du commerce comme le mal est à la suite du bien.
Avant de savoir commander, il faut, dit-on, savoir obéir. Ne serait-il pas plus juste de se dire qu'il faut et savoir ce qu'on commande, et savoir se faire obéir ? Le Grand Condé ne savait trop obéir et ne commandait pas mal.
Le plus sûr moyen de réprimer la colère dans les grandes âmes, c'est de lui opposer une résistance noble et vigoureuse ; mais dans les âmes faibles, il est presque également dangereux de la heurter de front ou de lui céder tout-à-coup : ce n'est qu'en se battant, pour ainsi dire, en retraite, qu'on parvient à la calmer.
La colère a presque les mêmes effets que ce qu'on prend pour l'amour. Elle s'allume par la présence de l'objet qui l'excite, et s'affaiblit par son éloignement : elle se modère lorsqu'elle s'est exhalée ; enfin, elle s'éteint par l'habitude de voir l'objet qui l'avait fait naître.
Un homme caustique n'est pas encore méchant, mais il n'a plus qu'un pas à faire. Il a déjà le pied en l'air, c'est le moment de le fuir.
On ne se laisserait pas d'être véritablement heureux, mais on se lasse de tout ce qu'on a cru qui devait rendre heureux.
L'absence du mal est un état de médiocrité dans le bonheur que les gens que l'on croit heureux ne voient pas toujours sans envie.
Le bonheur et le repos résultent l'un de l'autre, et ne sont, pour ainsi dire, qu'une même chose ; mais il ne faut pas confondre le repos avec l'inaction. Le repos de l'âme est dans un mouvement régulier, que rien ne suspend, et que rien ne précipite.
Nous cherchons à découvrir le bonheur comme un astronome cherche à découvrir une étoile. Imbéciles que nous sommes ! Baissons les yeux : il est bien souvent à nos pieds, et nous passons dessus chaque jour sans daigner le regarder.
Il n'est personne qui ne se dise : Je veux être heureux ; mais presque tout le monde se met en chemin pour arriver au bonheur, sans s'informer seulement quelle route il faut prendre. Est-il surprenant que tant de gens s'égarent en ce monde ?
Il est un imposteur qui s'empare des traits et du nom de l'amour pour nous séduire. Il nous conduit à la porte du temple de la volupté, mais aussitôt qu'elle s'ouvre il éteint son flambeau, rit et s'envole. Heureux ! quand la raison vient nous donner la main, et qu'elle nous ramène au même endroit où le perfide nous avait pris.
On va voir comme une curiosité deux personnes qui s'aiment véritablement. On y va une fois, rarement on y retourne ; elles ennuient.
Un homme vertueux, une femme estimable, plus unis encore par le bonheur dont ils jouissent que par leurs serments, se séparent volontiers de la Société pour être entièrement l'un à l'autre ; mais ils ne sont pas perdus pour elle, ils peuvent y servir d'exemple.
Deux choses décèlent les amants, le désir et la jalousie ; car l'un et l'autre sont inséparables de l'amour. L'espèce d'indiscrétion qui en résulte se pardonne entre deux personnes qui s'aiment bien, parce qu'elles en sont également coupables.
Ceux qui ne connaissent pas l'amitié ne connaissent pas l'amour, car l'amour véritable n'est autre chose que l'amitié, plus le désir.
Dans la prospérité un ami est un préservatif qui en empêche l'ivresse ; dans l'adversité, c'est un trésor qui en arrête l'effet.
Qui dit, un tel est mon ami, et dit vrai, fait à la fois son éloge et celui de son ami. C'est comme s'il disait, un tel et moi sommes vertueux, nos caractères se convenaient, et nous nous sommes connus.
Le bon accueil que les Grands font aux petits est un tribut que la grandeur doit à l'humanité. Les Grands l'honorent quand ils s'en acquittent.
L'intérêt est un maître dont les leçons sont bien rapides. Ce serait un grand maître s'il ne s'aveuglait pas trop souvent sur lui-même.
La littérature a ses conquérants, ses héros, et ses grands hommes. Les premiers sont funestes à l'humanité, les seconds l'exposent, les derniers seuls la conduisent avec sagesse. On peut d'après cela, se choisir son modèle.
Je suis encore assez imbécile pour croire qu'il est des choses sur lesquelles il ne faut rien innover, et que plus on y a réfléchi, plus on doit garder le silence.
À force de nous inspirer de l'émulation, ne nous soumet-on pas trop à l'empire de l'exemple ou à celui de l'orgueil ? Car alors on ne fait plus le bien pour le bien même, ce n'est qu'un modèle que l'on fuit, ou que l'on veut donner.
On ne voit dans l'esclavage que de la faiblesse ou du désespoir, et dans l'indépendance que de l'aveuglement et de la férocité.
La déclamation est une musique vocale, comme la musique vocale est une déclamation. Chacune a son harmonie, toutes deux naissent des passions, et servent à les peindre.
Il y a bien des ouvrages qui sont comme les ordonnances des médecins, où les plantes les plus communes reçoivent des noms barbares.
Le vulgaire ne s'aperçoit guère qu'il vit qu'au moment où il va cesser de vivre, et ce vulgaire est de toute classe sociale.
Les âmes pieuses devraient regarder la mort comme le passage du mal au bien, et les prétendus esprits forts comme le passage du mouvement au repos.
Ceux qui disent qu'ils craignent la mort parce qu'ils craignent l'Éternité, feraient mieux de s'occuper de l'Éternité que de s'occuper de la mort.
Le grand usage du monde et la connaissance de ce qui s'y passe tiennent lieu souvent dans la société de talents, d'esprit, et même de vertus ; mais lorsqu'il faut causer avec soi-même, cette connaissance, cet usage ne tiennent plus lieu de rien.
Plus l'indignation est juste, plus la modération est admirable.
Haïr tous les hommes est une injustice pour quelques-uns, un excès de sévérité pour quelques autres, et toujours un malheur pour soi-même.
Le mérite ainsi que l'or a sa pierre de touche. Il y a bien autant de fripons sur l'un que sur l'autre.
Le sage ne méprise point les richesses, il les craint.
Ce n'est pas mépriser la vie que de lui préférer l'honneur, c'est l'apprécier tout ce qu'elle vaut.
L'existence est un malheur pour qui ne mérite que du mépris.
Pour tirer d'un bon esprit tout ce qu'il est capable de produire, il faudrait qu'il eût une mémoire parfaite, ou qu'il n'en eût point du tout.
Les méchants ont cela de commun avec les honnêtes gens qu'ils ne peuvent être trop connus.
La mémoire n'a pas perdu tout ce qu'on lui demande chaque jour, mais l'attention n'y grave pas tout ce qu'on voudrait qu'elle conservât.
Le luxe est la ruine des Républicains, l'appui du trône, si l'autorité le contient dans de justes bornes, et le dédommagement des esclaves qui végètent sous le joug du despote.