Les 76 pensées et citations de Robert Mauzi :
Toute la vie consiste en un déséquilibre permanent entre les douleurs et les joies, comme si l'on ne disposait jamais que de quelques parcelles d'onguent pour d'éternelles blessures, comme si le mal gardait toujours la même impitoyable avance sur toutes les consolations.
Le bonheur consiste à se gorger de tout avec la fièvre des grands appétits frustrés.
Les désirs de l'homme sont infinis, orientés, sans le savoir, vers l'absolu.
Le suprême bonheur peut se concevoir au sein d'une société dévote, où chacun jouirait à la fois de lui-même et de la réunion de tous : Ce serait sans doute un ciel anticipé !
De l'existence terrestre, il faut en extraire toutes les voluptés permises.
Le monde n'est pas le séjour d'une froide sagesse. Il faut aimer la joie, le rire, tous les étourdissements de la vie, et profiter de chaque jour qui ne reviendra plus.
Dieu a créé l'homme pour le monde, et celui-ci n'est pas conçu pour le perdre, mais pour l'aider à remplir sa vocation, qui est d'être heureux sur terre.
Dieu sait bien que les gens du monde ne sont pas gourmands de macérations, ni très doués pour le recueillement, la méditation, ou la prière. Aussi a-t-il mis à leur portée un certain nombre de vertus d'une application plus facile : c'est le cas de l'aumône, si bienfaisante à l'âme des riches, qu'il aurait fallu, pour eux seuls, inventer les pauvres.
Retrouver la paix après une tempête de l'âme est aussi délicieux pour l'homme affligé que, pour le riche goutteux, de « sucer un jarret de veau » après un long temps d'abstinence. Ni le bonheur, ni le jarret n'auraient, autrement, de saveur.
L'abus des femmes est une maladie du cœur ; le renoncement aux femmes, une maladie de l'esprit.
L'aisance ne consiste pas dans la facilité à satisfaire des besoins modérés, mais dans la facilité à les négliger, à se passer même du nécessaire. L'aisance devient cette suprême agilité de l'âme qui ne se meut jamais aussi libre que dans un total dépouillement.
L'aisance est accessible par le travail et l'économie, qui ont toujours vaincu la pauvreté.
Parmi les biens que le Ciel donne à ceux qu'il favorise, la médiocrité est un des plus grands.
En ce monde, il est deux classes de citoyens : l'une qui manque du nécessaire, l'autre qui regorge du superflu. Les uns s'épuisent à des besognes qui les empêchent de vivre, les autres se consument d'ennui et ne vivent pas davantage. Pour rendre tous les hommes heureux, il faudrait rapprocher ces deux catégories extrêmes, les fondre en une seule masse moyenne, où tous jouiraient d'une même aisance.
Le travail est ce qui avilit et dégrade l'homme, ce qui tue la vie. Toute notre énergie se dépense, non à organiser un bonheur dont on n'a même pas l'idée, mais à défendre notre droit de vivre, à disputer notre existence au travail.
Curieuse méprise dans la répartition des richesses qui donne tout à ceux qui ne font rien et n'ont besoin de rien, et qui refuse presque tout à ceux qui travaillent et sont dénués de tout.
Le travail est le bienfaisant antidote de l'ennui, il est son meilleur remède.
Une société harmonieuse englobe toujours un lot nécessaire de maudits.
Le bonheur est l'œuvre de l'esprit qui prend la nature comme simple modèle.
Le courtisan est le jouet d'un destin qui le fait voltiger comme un pantin fou, l'oblige à mille pirouettes, et l'épuise en un fourmillement d'agitations inutiles, tant et si bien que sa voluptueuse existence n'est, en définitive, qu'une longue chaîne de corvées.
Tout homme peut être heureux dans les limites de sa condition. À l'exception du Grand, qui doit fuir son palais, renoncer à ses fastes et à ses vertiges, opter pour le cloître ou le désert. Il n'est pas de bonheur pour lui sans cette rupture, ce renoncement. Il faut qu'il rejette dans le néant toute une partie de lui-même. L'homme atteint de ce mal qu'est la grandeur, doit tuer en lui la grandeur, s'il veut sauver l'homme.
Le bonheur des pauvres est dans leurs bras.
Le riche bienfaisant se nourrit de tout le bonheur qu'il donne.
Il existe une façon d'utiliser les richesses qui, bien loin de rendre l'homme malheureux, lui procure un état voisin de la béatitude. Le riche qui prodigue tous ses biens pour le bonheur des hommes savoure comme une apothéose. Par le biais de la bienfaisance, voilà donc le riche languissant, angoissé, ou frivole, devenu un être surnaturel.
On n'est pas heureux parce qu'on est riche. Mais on peut être heureux, tout en étant riche. Il n'est pas impensable qu'un homme riche aménage, à côté de sa richesse, un authentique bonheur. Celui-ci ne sera pas imputable à la condition exceptionnelle de cet homme, mais à ce qu'il possède de commun avec tous les autres.
Le malheur veut que le désir des richesses soit l'un des instincts les plus solidement rivés au cœur de l'homme, au point que le désenchantement même n'est jamais détachement. Déçu par l'expérience de l'argent, l'homme n'en reste pas moins fasciné et le convoite toujours. Cette magie s'exerce encore plus sur les pauvres que sur les riches. Le peuple ne conviendra jamais que la richesse n'apporte pas le bonheur. Lorsqu'un riche, désabusé, proclame publiquement son échec, chacun pense : À sa place, j'aurais su être heureux !
Seul est riche celui dont les besoins et les ressources s'équilibrent. Dès que les premiers l'emportent sur les secondes, on est pauvre. La richesse et la pauvreté produisent des effets semblables : les riches, comme les pauvres, ne sont pas en état de répondre à leurs besoins, les uns par excès de besoins, les autres par manque de ressources.
Les riches sont malheureux parce qu'ils manquent d'imagination. Pour les riches, la réalité se réduit à elle-même. Aucun prestige n'enveloppe l'objet de leurs jouissances. Leur âme n'est plus « secouée » par des plaisirs devenus habitudes. Surtout, elle n'est plus capable d'interposer entre elle et les choses ce voile magique, si nécessaire au bonheur. Posséder est le seul acte qui soit à la portée des riches. Or c'est le plus triste de tous, lorsque l'imagination ne le transfigure pas.
L'inégalité offre à chacun la possibilité de s'affirmer au sein de la société, en restant fidèle à lui-même. Mais en même temps, elle l'oblige à mettre en commun, pour le bien de tous, ce que la nature lui a donné en particulier. Ainsi, grâce à l'inégalité des conditions, la société est au service de l'individu, comme l'individu est au service de la société.
L'inégalité, à supposer qu'elle soit un mal, porte son remède en elle-même. Au lieu de diviser les hommes, elle les rapproche et les unit. Elle n'est que la face négative, ou plutôt la condition préalable, de l'entraide universelle.