La vertu est cette sagesse qui sait résister à l'entraînement des passions, qui discerne ce qui est vraiment utile, et qui marche sûrement au bonheur.
Faire du bien aux hommes, c'est le plus sûr moyen qu'ils nous en fassent ; et c'est aussi le moyen d'acquérir leur estime, leur bienveillance, leur sympathie, toujours agréables et souvent utiles.
La première chose sur laquelle je tombe nécessairement en essayant à connaître, c'est moi-même ; c'est moi qui suis l'instrument avec lequel je connais toute chose ; il faut donc que j'apprécie cet instrument avant de l'employer, sans quoi je ne sais, à proprement parler, ni ce que je fais, ni de quel droit je le fais.
Le champ de l'observation philosophique c'est la conscience ; il n'y en a pas d'autre, mais dans celui-là il n'y a rien à négliger : tout est important, car tout se tient, et une partie manquant, l'unité totale est insaisissable. Rentrer dans la conscience et en étudier scrupuleusement tous les phénomènes, leurs différences et leurs rapports, telle est la première étude du philosophe.
Tout homme ne se rend pas compte de ce qu'il sait. Savoir sans s'en rendre compte, savoir en s'en rendant compte, c'est là toute la différence possible de l'homme à l'homme, du peuple au philosophe.
Ce qu'il a plu à l'homme d'appeler la société naturelle n'est qu'un état de guerre où règne le droit du plus fort et où l'idée de la justice n'intervient guère que pour être foulée aux pieds par la passion.
La beauté de l'art est supérieure à la beauté naturelle de toute la supériorité de l'homme sur la nature.
La philosophie n'est d'aucun parti, elle ne fait l'apologie de rien, comme elle n'accuse rien ; elle aspire à comprendre tout.
Toute beauté réelle, quelle qu'elle soit, pâlit devant l'idéal de la beauté qu'elle révèle.
L'erreur toute seule est incompréhensible et inadmissible ; c'est par son rapport avec le vrai qu'elle se soutient.
Le charme des plaisirs de la conscience vient précisément de ce que l'on s'est oublié soi-même dans l'action qui les a fait naître.
Quoi que fasse l'homme, quoi qu'il sente, quoi qu'il pense, il pense à l'infini, il aime l'infini et tend à l'infini. Ce besoin de l'infini est le grand mobile de la curiosité scientifique, le principe de toutes les découvertes.
Le devoir d'un professeur est d'enseigner avec droiture tout ce qui dépend de son enseignement, et il doit, dédaignant à la fois et les périls et les honneurs de l'indépendance, ne fuir que l'erreur, mais aussi ne chercher que la vérité dans les limites et dans l'étendue des fonctions confiées à ses soins.
Dès qu'un homme écrit pour écrire, pour briller ou pour faire fortune, il écrit mal ou du moins il écrit sans grandeur, parce que la vraie grandeur ne peut sortir que d'une âme naturellement grande qui s'émeut pour une grande cause.
Le respect des droits d'autrui s'appelle la justice : toute violation d'un droit quelconque est une injustice.
Le mensonge, en rompant l'alliance naturelle de l'homme avec la vérité, lui ôte ce qui fait sa dignité. Voilà pourquoi il n'est pas d'insulte plus grave qu'un démenti, et pourquoi les vertus les plus honorées sont la sincérité et la franchise.
La fin de l'art est l'expression de la beauté morale à l'aide de la beauté physique ; celle-ci n'est pour lui qu'un symbole de celle-là. Dans la nature, ce symbole est souvent obscur ; l'art, en l'éclaircissant, atteint des effets que la nature ne produit pas toujours.
L'égoïsme est l'amour exclusif de soi-même, c'est la recherche réfléchie et permanente de son plaisir et de son bien-être.
Le cœur est insatiable parce qu'il aspire à l'infini. Ce sentiment, ce besoin de l'infini est au fond des grandes passions et des plus légers désirs. Un soupir de l'âme en présence du ciel étoilé : la mélancolie attachée à la passion de la gloire, à l'ambition, à tous les grands mouvements de l'âme l'exprime mieux sans doute, mais ne l'exprime pas davantage que le caprice et la mobilité de cet amour vulgaire errant d'objet en objet dans un cercle perpétuel d'ardents désirs, de poignantes inquiétudes, de désenchantements douloureux.
Le gouvernement doit aux citoyens, en une certaine mesure, de veiller à leur bien- être, de développer leur intelligence, de fortifier leur moralité, dans l'intérêt de la société et même dans l'intérêt de l'humanité.
La mission, la fin du gouvernement, c'est de faire régner la justice, protectrice de la liberté commune. D'où il suit que tant que la liberté d'un citoyen ne porte pas atteinte à la liberté d'un autre, elle échappe à toute répression.
L'homme ici-bas n'a pas pour destinée de faire régner la paix dans son âme ; le mot de sa mission est devoir et non bonheur. Maintenir la supériorité de la raison sur la liberté, de la liberté sur la sensibilité, telle est la loi en ce monde.
La souffrance est bonne, parce qu'elle tourne au profit de la vertu, et que tout ce qui donne à la liberté morale plus d'énergie, tout ce qui peut servir au plus grand développement moral de l'espèce humaine, est bon. La souffrance n'est pas la pire condition de l'homme sur la terre ; la pire condition est l'abrutissement moral qu'engendrerait l'absence du mal physique.
Un grand homme n'est en dernière analyse que l'instrument de la divine Providence. Aussi tous les grands hommes ont été plus ou moins fatalistes : l'erreur est dans la forme, non dans le fond de la pensée. Ils sentent qu'en effet ils ne sont pas là pour leur compte ; ils ont la conscience d'une force immense, et, ne pouvant s'en faire honneur à eux-mêmes, ils la rapportent à une puissance supérieure dont ils ne sont que les instruments, et qui se sert d'eux selon ses fins.
Dans le sentiment de sa misère l'homme conçoit obscurément et vaguement l'être tout parfait, et ne peut le concevoir sans se sentir soulagé et relevé, sans éprouver le désir de retrouver et de posséder encore, ne fût-ce que pendant le moment le plus fugitif, la puissance et la douceur de cette contemplation. La pauvre femme, dont Fénélon enviait la prière, ne prononçait pas de savantes paroles ; elle pleurait en silence, abîmée dans la pensée de l'Être parfait et infini, témoin invisible, et consolateur secret de ses misères. Nous ressemblons tous à cette pauvre femme.
Il n'est pas permis à l'homme d'abdiquer, sous aucun prétexte, ce qui le fait homme, ce qui le rend capable de comprendre Dieu et d'en exprimer en soi une parfaite image, c'est-à-dire la raison, la liberté, la conscience.
L'esprit souffle à son heure, on n'est pas tous les jours en veine d'enthousiasme.
Si les charlatans, les intrigants, les imposteurs de toutes les espèces surprennent quelque temps le suffrage public, il faut convenir qu'une honnêteté soutenue est le moyen le plus sûr, et à peu près infaillible, d'arriver à la bonne renommée.
Nul n'est juge impartial dans sa propre cause.
Le gouvernement représente les droits de tous et de chacun. C'est le droit de défense personnelle transporté des individus, souvent incapables de l'exercer ou l'exerçant mal, à une puissance prépondérante, chargée d'en faire un usage régulier dans l'intérêt de la liberté commune.
Le gouvernement, c'est la justice armée de la force.
L'autorité, c'est-à-dire l'autorité légitime et morale, n'est autre chose que la justice, et la justice n'est autre chose aussi que le respect de la liberté.
Le sentiment suit la raison à laquelle il est attaché ; il ne s'arrête, il ne se repose que dans l'amour de l'être infini.
L'amour réfléchi est sérieux, il est grand, jusque dans ses fautes.
Qu'est-ce que se dévouer ? C'est se donner librement et en toute connaissance. Voilà le sublime de l'amour, voilà l'amour digne d'une noble et généreuse créature, et non pas l'amour ignorant et aveugle.
Tout ce qu'il y a de grand, de beau, d'infini, d'éternel, c'est l'amour seul qui nous le révèle.
L'industrie est le triomphe de l'homme sur la nature qui tendait à l'envahir et à la détruire, et qui elle-même recule devant lui et se métamorphose entre ses mains ; ce n'est pas moins que la création d'un nouveau monde par l'homme : elle n'a pas d'autres bornes que celles de la puissance de la pensée ; sa fin est l'entière absorption de la nature dans l'humanité.
L'autorité, dit-on, vient de Dieu. Sans doute, mais d'où vient la liberté ? C'est à Dieu qu'il faut rapporter tout ce qu'il y a de plus excellent sur la terre, et rien n'est plus excellent que la liberté. La raison, qui dans l'homme commande à la liberté, lui commande selon sa nature, et la première loi qu'elle lui impose est de se respecter elle-même.
La raison dans son essence pure est le critérium du vrai.
Ne fléchissez pas le genou devant la fortune, mais accoutumez-vous à vous incliner devant la vertu.
Si la Providence a attaché tant de tristesse à la solitude, tant de charme à la société, c'est que la société est indispensable à la conservation de l'homme et à son bonheur, à son développement intellectuel et moral.
La vraie adoration ne sépare pas l'amour et le respect, c'est le respect animé par l'amour.
L'opinion est notre propre conscience transportée dans le public, et là dégagée de toute complaisance et armée d'une sévérité inflexible.
Il n'y a qu'une seule chose qui puisse nous soutenir contre l'opinion, c'est le témoignage ferme et assuré de notre conscience.
Les passions ont leur raison dans les besoins de l'humanité. Supprimez les passions, plus d'excès, il est vrai ; mais plus de ressort : faute de vents, le vaisseau ne marche plus et s'enfonce bientôt dans l'abîme.
Toute œuvre d'art qui n'exprime pas une idée ne signifie rien ; il faut qu'en s'adressant à tel ou tel sens elle pénètre jusqu'à l'esprit, jusqu'à l'âme, et y porte une pensée, un sentiment capable de la toucher ou de l'élever.
Sans doute il faut savoir oser, mais c'est encore la prudence qui est, sinon le principe, au moins la règle du courage ; car le vrai courage n'est pas un emportement aveugle, c'est avant tout le sang-froid et la possession de soi-même dans le danger.
La plus belle des actions est de contribuer au bonheur des autres.
Les actions les plus généreuses n'ont souvent d'autre source que l'amour-propre.
L'inceste est un véritable crime.
La toute-puissance contraint, elle n'oblige jamais.
Le plaisir attaché à la bienveillance ne peut devenir l'objet d'un calcul égoïste, ce plaisir n'est attaché qu'à l'affection désintéressée.
La vraie générosité exclut tout regard au plaisir même qu'elle donne.
L'idiot loue un ennemi généreux dans le temps même qu'il lui cause tout le mal possible.
Il faut employer la torture avec un véritable ami pour le forcer à révéler le secret de ses amis.
Il n'est rien de pire que de payer d'ingratitude un homme qui nous a comblés de bienfaits.
Il en est des systèmes comme des hommes, les meilleurs sont les moins imparfaits.
Le raisonnement est en philosophie ce que le calcul est en physique.
En redoublant de vigilance et d'attention on diminue les chances d'erreur.
L'espérance est la sœur de la crainte.
L'immortalité toute seule ne vaut pas une heure de vertu.
La durée ne fait pas la vie, c'est la dignité qui en fait le prix.
Condamné à se battre toujours, l'homme se soutient qu'à force de vigilance et de courage.
Le plaisir d'avoir bien fait se dissipe vite dans le torrent des affaires qui nous emporte.
La plus belle de toutes les sciences est celle de l'éducation des hommes.
Il faut inculquer l'idée du devoir aux enfants en les soumettant de bonne heure à des règles inflexibles. Tel est le mérite de l'éducation publique : elle nous met tous de bonne heure sous l'empire d'une loi commune, qui ne fléchit ni devant la prière d'une mère, ni devant le crédit d'un père, et qui commande à la fois et aux maîtres et aux élèves.
Au lieu de prescrire le devoir il faut en insinuer le goût au moyen d'ouvrages agréables.
On n'est pas toujours en verve d'enthousiasme.
Approuver, c'est juger ; juger, ce n'est pas sentir.
Dieu est le foyer immortel de la justice dont un rayon éclaire notre esprit et notre cœur.
La justice est le rapport nécessaire qui unit non seulement l'homme à l'homme, mais l'homme à Dieu et Dieu à l'homme.
Dieu ne peut faire que deux nombres pairs composent un nombre impair.
Du calcul heureux ne sort jamais une jouissance intérieure qui accompagne une bonne action désintéressée.
Si vous faites une action vertueuse dans l'intention de jouir du plaisir qui la suit, ce plaisir vous échappe, on ne l'obtient qu'autant qu'on ne cherche pas à l'obtenir.
Faire une action parce qu'elle est suivie d'un plaisir intérieur, c'est pratiquer la vertu pour le plaisir ; cette morale ne détruit pas l'égoïsme, elle le perfectionne ; son seul mérite est de choisir mieux le plaisir.
Soyez vertueux, le prix ne vous manquera pas, il est au fond de votre cœur.
Être maître de soi, régler son âme et sa vie, surmonter l'orgueil, la volupté, le désespoir, sont des actes de vertu bien autrement héroïques qu'un mouvement de pitié, de générosité, de bonté même, bien qu'assurément la bonté, la générosité, la pitié soient des choses admirables.
Un trésor donné à un pauvre coûte mille fois moins au cœur et pèse moins dans la balance éternelle qu'un seul désir étouffé ou combattu.