Titre : La mort d'une mère.
Recueil : Mélanges (1840)
Elle n'est plus celle qu'on aime
Sans jalousie et sans chagrins,
Que nous trouvons toujours la même
Sous des cieux tristes ou sereins.
Celle vers qui l'on va répandre
Tout ce qu'on souffre de douleurs,
Qui les plaint, qui sait les comprendre
Et mêle ses pleurs à nos pleurs.
Celle dont le sein nous accueille,
Qui ne peut nous en repousser,
Et qui tremble comme une feuille
Au coup qui vient nous menacer.
Celle qui vit dans sa tendresse,
Qui n'existe que pour chérir,
Et dont le regard nous caresse
À l'instant qu'elle va mourir.
Celle qui depuis mon enfance
Veillait au repos de mes jours,
Qui fut ma première défense,
Dont j'étais les derniers amours.
Elle ne peut m'être rendue,
Je ne saurais la retrouver,
À moins qu'à ma mère perdue
Un ange me fasse rêver.
Où chercher autant d'obligeance ?
Cette bonté sans nulle aigreur ?
Où retrouver tant d'indulgence
Pour pardonner à mon erreur ?
Ô mère tendre et bien aimée,
Voilà qu'on ne me verra plus
Couronné de ta renommée
Et protégé par tes vertus.
Lorsqu'en ma pénible carrière
Je chancelais sur le chemin.
Pour me soutenir, bonne mère,
C'est toi qui me tendais la main.
Près de toi s'allégeait ma peine,
Tu savais la faire oublier ;
Contre l'injustice et la haine
Tu me servais de bouclier.
Car l'homme, en butte à la misère,
Peut tenir tête à ses revers
Alors que les bras d'une mère
À ses maux sont encore ouverts.
Mais la mienne quitte une scène
Dont Dieu vient de la retirer :
Sa mort est la première peine
Que sans elle je vais pleurer.
John Petit-Senn