Recueil de poésie et de citations ainsi que des proverbes.

Poème : L'ami fidèle, de Jules Canonge.

Titre : L'ami fidèle.

Recueil : Varia (1869)
À mesure que ma carrière
Tourne et penche vers le déclin,
Tant d'amis restent en arrière
Ou s'écartent de mon chemin ;

Dans la mienne toujours pressées
Avec la même affection
Tant de mains s'éloignent glacées
Et répondent par l'abandon ;

Lorsque, atteint d'une sombre flamme,
Sous mes tristesses je fléchit,
Je vois se fermer à mon âme
Tant de cœurs sépulcres blanchis,

Que, pour moi, retrouver si fraîche
Ta belle amitié de quinze ans,
Après la saison qui dessèche,
C'est la floraison du printemps ;

C'est un trésor sous les décombres,
Une source dans les déserts,
Un rayon à travers les ombres ;
C'est la perle au gouffre des mers !

De la force que tu m'envoies
Merci ! puisque, ensemble, ici-bas,
Nous restons dans les nobles voies,
Avançons-y du même pas.

Tu n'est point de ceux qu'effarouche
La Vérité fille du Ciel ;
Tu sais qu'elle n'a, sur la bouche,
Ni dans l'âme, jamais de fiel.

Rien entre nous, geste ou parole,
N'est amer, perfide ou moqueur ;
Nous différons par le symbole ;
Nous nous ressemblons par le cœur.

Chacun explique sa croyance
Et dans sa loi reste affermi,
Mais toujours ce que l'un encense
Pour l'autre est l'autel d'un ami.

Indulgent à ce qui t'effleure,
L'erreur d'un mot ou d'un moment
Ne te fait pas, en un quart d'heure,
Oublier un long dévouement.

Tu n'as d'oubli que pour toi-même ;
Ta poétique affection
Transfigure tout ce qu'elle aime
Et le revêt d'illusion.

Esprit changeant que le bien lasse,
Tu n'immoles pas sans pitié
Au premier ver-luisant qui passe
L'ancienne et modeste amitié.

Tu ne vas pas ouvrant l'oreille
Au bruit menteur que font en vain
Ces faux grands hommes de la veille
Qui n'auront pas de lendemain.

Fureurs d'envie ou cris de haine
Viennent expirer devant toi ;
Rien, quoi qu'on dise ou qu'il advienne,
Rien ne peut ébranler ta foi !

Puisque, surmontant nos faiblesses,
Triomphant de nos passions,
Nous secourant dans nos détresses
Et domptant nos ambitions,

En ce temps où rien n'est solide,
Nous avons laissé, sans trembler,
Autour de nous, sombre et rapide,
Le flot des discordes rouler,

Eprouvés par tant de tempête,
Nous pouvons, au bout du chemin,
Sans craindre que rien nous arrête,
Arriver la main dans la main.

Au passé l'avenir s'enchaîne ;
Espérons-y d'heureux moments,
Car Dieu qui réprouve la haine,
Bénit toujours les cœurs aimants !

Jules Canonge
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