La femme la plus sage a son vainqueur ; si elle n'est pas encore subjuguée, c'est qu'elle n'a pas encore rencontré cette moitié de soi-même qu'on cherche toujours et qui fait faire tant d'extravagances.
Les femmes font les mœurs, quand même elles les déferaient quelquefois ; il n'en est pas moins vrai que les hommes qui s'éloignent de leur société cessent d'être aimables et ne peuvent plus le devenir.
On doit compter pour bonheur tout ce qui n'est pas malheur. Être préparé à tout, n'être étonné de rien, se faire des préparatifs ou des curatifs, ou des conservatifs ou des préservatifs à tout supporter et ne rien craindre.
L'incrédulité est si bien un air que si on en avait la bonne foi, je ne sais pas pourquoi on ne se tuerait pas à la première douleur du corps ou de l'esprit. On ne sait pas assez ce que serait la vie humaine avec une irréligion positive. Les athées vivent à l'ombre de la religion.
La vie est un rondeau, elle finit à peu près comme elle a commencé ; les deux enfances en sont la preuve.
L'intérêt personnel le moins malhonnête est celui qui, examinant les choses sous les deux faces qu'elles ont presque toujours, ne prend le parti qui lui convient le mieux, qu'après s'être convaincu qu'il ne nuit pas trop aux autres. Cela prouve au moins qu'il a discuté la matière avec lui-même, et tant que les hommes se croient honnêtes gens ils le sont encore un peu.
J'aime l'esprit de ceux qu'on ne peut nommer précisément hommes d'esprit. Ils en ont souvent par leur manière juste de voir, de sentir et de l'exprimer. Du reste, ils ne savent rien, ne pourraient pas faire un vers, et ne sont pas fort aimables ; mais ils sont justes et clairs.
L'homme tel que je le désire, capable de grandes choses, ne peut pas avoir deux mois de raison par an. Je parie que César, Alexandre, le grand Condé, n'en ont jamais eu davantage.
Pourquoi peint-on toujours la justice avec une épée et avec une balance ? Je voudrais quelquefois lui mettre un voile. Il est souvent de la justice de ne pas faire justice.
Vilaines gens que nous sommes, comme nous sommes nés méchants et cruels ! L'enfant qui est au monde depuis quelques semaines frappe sa nourrice : à six semaines il bat tout ce qu'il rencontre, et tourmente ordinairement le petit chien de la maison. Le valet cherche un valet plus valet pour le tourmenter ; et puis c'est un postillon de la poste qu'il gronde ou qu'il bat, et puis un pauvre qu'il rebute. L'ouvrier de la ville, le savetier insultera à celui qui travaille au village ; et celui-ci cherchera peut-être encore quelqu'un plus petit à ses yeux pour le maltraiter. Nous sommes toujours opprimés ou opprimants.
Ce n'est pas à prendre un amant que les femmes se perdent de réputation, c'est à hésiter de le rendre heureux. Sans s'en douter, elles sont la fable du public qui les juge déjà avec rigueur. C'est devant lui que les premières scènes se passent ; et il en suppose de plus agréables dans le particulier.
On est bien plus brillant devant l'ennemi quand on est avec des gens dont on fait du cas, surtout quand on n'a pas encore été avec eux dans le feu. On fait alors des prodiges, que seul on ne ferait peut-être pas autant.
La jalousie dure plus longtemps que l'amour. On est déjà bien détaché l'un de l'autre ; on est même déjà attaché ailleurs, qu'on s'imagine encore avoir des droits sur l'autre. C'est que l'amour-propre est le dernier qui s'en va.
Le poltron ne calcule pas bien. L'incertitude d'un coup d'épée ou d'un coup de fusil devrait se comparer à la certitude du déshonneur, et à l'incertitude d'avoir vingt mauvaises affaires pour ne s'être pas bien présenté à la première. Ils finissent toujours par être tués.
L'amour-propre d'un sot est aussi dangereux que celui d'un homme d'esprit est utile. L'un a toujours peur qu'on dise qu'il se laisse conduire ; il fait un petit choix honteux et ténébreux pour qu'on ne le sache pas ; ou va réellement tout seul, et de travers. L'autre demande les avis des gens de mérite, et ne suit que les meilleurs. Le premier est en proie à des gens inconnus ; et le second ne craint pas qu'on l'accuse de se laisser mener.
C'est faire bien de l'honneur aux nobles que de s'en embarrasser. Ils tombent d'eux-mêmes, s'ils sont des gens sans valeur, et décréditent bien mieux la noblesse qu'un sot décret. Cela se voit tous les jours. Si l'on a quelque égard pour un grand nom, c'est comme on en a pour une vieille pièce de monnaie.
Il y a des enfants sérieux, et c'est la plus mauvaise espèce. Il y en a qui n'ont jamais ri, qui n'ont aucun goût, aucun plaisir dans le monde ; ils blâment celui des autres ; ils empêchent d'en prendre ; ils n'admirent rien ; ils rabaissent tout. Je sais mieux qu'eux que rien n'est parfait, et que le bon est rare : mais du moins je le cherche ; si j'en trouve un peu chez un homme, ou dans un livre, je suis content.
N'est-il pas déplorable qu'on ne se soit pas contenté de quelques progrès de la raison, et qu'on ait choisi le temps où elle avait le plus gagné, pour en abuser par le philosophisme, et la destruction de tout ce qu'il y a de plus sacré et de plus nécessaire ?
Si l'on ne me trouve pas assez de sensibilité qu'on me plaigne ou qu'on m'envie. Ce ne sont pas ceux qui en parlent le plus qui en ont davantage.
Il y a des gens à qui il va si mal d'avoir l'air de penser, qu'ils veulent le faire croire. Ils aiment à dire qu'ils ont des sujets de réflexion, même de tristesse ce jour-là. Il n'en est rien : ils sont comme toujours.
À force d'esprit, n'en ayons plus.
S'il y a beaucoup de coquins en ce monde, il y a aussi beaucoup de coquines.
Un sot du grand monde voit mieux sur tout plein d'objets qu'un homme de lettres : son imprimeur, un journaliste qu'il ménage, un financier qui lui donne à souper, une fille de Paris qui, voulant faire la savante, partage avec lui un poulet étique ; et toutes les académies dont il peut être, ne lui apprendront jamais à connaître les hommes.
Un original est souvent bon diable. Son originalité est fondée sur la certitude qu'il a de son caractère ; cela fait qu'il néglige les manières communes. Il pourra avoir beaucoup de défauts, mais il ne sera sûrement ni faux ni rampant.
La vigueur exempte de la rigueur.
La mauvaise humeur est comme une mauvaise herbe qui mange tout, et empêche tout ce qui est bon, en plantes et en semences de grandir, et par conséquent de se reproduire et de profiter.
Pour plaire, il faut savoir descendre de son piédestal et se mettre à la portée du plus grand nombre.
L'amour-propre et le défaut d'esprit gâtent souvent tout dans la société comme dans les affaires.
Les fourbes sont toujours sur leur garde, et les sots aussi ; les bons et les gens d'esprit jamais. Les fourbes croient lire dans les yeux d'autrui qu'ils sont découverts ; les sots, eux, se méfient de tous ceux à qui ils trouvent de la supériorité ; et les hommes bons ou spirituels, ont assez bonne opinion des autres pour s'en croire aimés.
Ceux qu'on soupçonne le moins sont bien souvent ceux dont on devrait le plus se méfier.
La générosité d'argent est bien trop facile, il n'y a qu'à être riche pour être généreux. Mais celle qui ne coûte pas un sou, la générosité de l'âme, est celle que j'estime. C'est une belle chose qu'un homme vraiment généreux, car il n'y a de grandeur sur la terre que dans le sacrifice de soi.
On est injuste envers la mort en la peignant comme on le fait : on devrait la représenter en vieille femme bien conservée, grande, belle, auguste, douce et calme, les bras ouverts pour nous recevoir et nous accueillir : La mort est l'emblème du repos éternel après la malheureuse vie inquiète et orageuse.
L'inquiétude bannit le sommeil.
Plus on a de courage, et plus on est sensible : en toutes choses, c'est l'émotion qui est sublime.
On fait bien des chutes avant d'attraper la raison, elle se sauve parce qu'elle croit valoir la peine qu'on coure après elle ; elle passe par les endroits les plus glissants et veut éprouver ses véritables amants : celui qui prétend l'avoir acquise tout de suite est un fat.
Je n'aime pas à parler de moi, et le Je m'est odieux quand je m'en sers.
La philosophie est l'arrière-garde des malheurs, des goûts et des passions.
Pour peu qu'on soit assez considéré dans le monde pour y jouer un rôle, on est lancé comme une boule qui ne reprend jamais sa tranquillité.
Un bon censeur est un don du ciel. S'il y a quelque chose d'un peu neuf, qui étonne le petit esprit, il en développe l'utile ou l'agréable, et le communique au public : donc, il est capable de faire lui-même un bon ouvrage. Le bon censeur est sensé et sensible, ne fait, ne dit, et ne voit pas le mal où il n'y en a pas ; le petit esprit le met à la place du bien qu'il ne peut point comprendre.
Il ne faut jamais se laisser dominer par ses affaires : un habile homme se met au-dessus. Quand même il manquerait d'exactitude, il se rattrape et se met au courant. Il faut de l'ordre sans doute, et de la méthode ; mais il faut n'en pas être esclave. La peur de faire des injustices en fera commettre. Le génie fait tout percer, tout deviner, tout réparer, et s'élever au-dessus des formes. L'absence du génie fait d'un ministre un commis, d'un général un major, d'un président un avocat, d'un intendant un subdélégué, d'un médecin un apothicaire, mais presque jamais un prêtre d'un évêque.
Il faut toujours être en garde contre soi ; il faut même s'abstenir des bonnes choses. Par exemple, la retraite est admirable pour faire des retours sur soi-même ; cependant on peut en abuser. Je m'y accoutume trop tous les jours ; et c'est par principe que je m'y arrache dans ce moment-ci, pour aller chercher un ennui à un bal superbe, ou je le trouverai sûrement au milieu de cent femmes dont aucune ne m'intéresse.
On ne réfléchit au passé et à l'avenir que pour gâter le présent.
L'amour-propre d'un sot est aussi dangereux que celui d'un homme d'esprit est utile.
La timidité allonge l'amour et lui donne de la vivacité.
L'audace fait quitter aussi aisément que l'audace a fait avoir.
L'indifférence pour la gloire est incompatible avec l'élan du génie qui fait voler à la victoire.
On croit que le persiflage rend ridicule. Oui, sûrement ; mais c'est la personne qui s'en sert, car plus le persiflé aura d'esprit, moins il aura l'air de croire qu'on emploie ce mauvais genre contre lui. Il y a beaucoup de choses qu'il faut déjouer en ne les remarquant pas.
Il y a beaucoup d'esprit dans la bonté, elle suppose plus de pénétration que le blâme.
Le temps passé est toujours regretté, c'est le présent qui le sert. On voit en bien tout ce qui n'est plus, et en mal tout ce qui est.
Malheur à celui qui veut des lauriers au milieu de gens qui n'en ont pas, il sera écrasé.
Il ne faut peut-être pas toujours avoir raison pour plaire ; il y a une manière d'avoir tort qui est faite pour réussir. Il y a même des travers fort agréables, quand ils ne sont pas joués.
Un original est souvent un bon diable : son originalité est fondée sur la certitude qu'il a de son caractère ; cela fait qu'il néglige les manières convenues ; il aura peut-être beaucoup de défauts, mais il ne sera sûrement ni faux, ni rampant.
Les sottises de ceux qui sont préférés aux gens de mérite, les vengent et couvrent de boue les protégés bien bas, les protecteurs bien bêtes et les plats intrigants qui se mêlent de tout ce qui est injuste.