Il n'y a ici-bas que des moribonds dont les moins avancés se targuent de vivre, et même de bien vivre, surtout quand ils vivent mal.
On perd encore plus à être privé de l'idéal qu'à l'être du réel.
Les gens qui ne se contredisent jamais eux-mêmes sont bien mesquinement particuliers. Qu'ils remarquent donc que l'Univers est tissu de contradictions !
Il pourrait être cruel, mais il ne serait certes pas inutile que nous revécussions plusieurs fois de suite sur cette terre, et sous la forme humaine, à la condition que chaque vie nouvelle profitât des conquêtes de la vie précédente, car, même en prenant pour type l'âme la plus consciente des choses intéressant l'Humanité, l'on est effrayé de soupçonner ce qu'elle en ignore et ce que seule une longue série d'existences pourrait lui en apprendre, d'avatar en avatar.
Un homme très petit trouve grand un homme de taille médiocre, et même il se demande si lui, en se tenant bien droit, il ne serait pas aussi grand.
Depuis que les petits enfants ne craignent plus Croquemitaine, les grands enfants se sont mis à ne plus craindre Dieu. Croquemitaine avait du bon, et Dieu aussi, ma foi !
Toute la moralité de beaucoup de gens, et c'est la plus sévère, consiste à ne vouloir d'immoralité que pour eux seuls.
Nous sommes d'essence tellement volatile que si par hasard notre vie ne s'évapore que lentement elle nous fatigue.
Pour des gens qui passent à fond de train, il importe beaucoup que la route soit plane, mais peu qu'elle soit pittoresque.
Jouet douloureux de la Nature, le cœur de l'homme sensible pleure sur elle qui se rit de lui.
La bonté devrait être toujours embusquée derrière chacun de nos mouvements et toujours prête à faire feu, à sa manière, sur le pauvre monde.
On est toujours, non seulement à la veille, mais à la minute même de commettre une sottise.
Un esprit n'est supérieur que par son élévation, sa profondeur ou son étendue. Un esprit élevé est la caractéristique du poète ; un esprit profond, celle du philosophe ; un esprit étendu, celle du savant. Il y a, en outre, l'esprit abondant qui joue tantôt l'élévation, tantôt la profondeur, tantôt l'étendue, et qui est la caractéristique de l'orateur !
La morale n'est que le règlement des bonnes mœurs dans un pays et dans un temps déterminés, pas autre chose. Mais, comme ce règlement varie peu d'un siècle à l'autre, comme il est à peu près le même pour tous les pays également civilisés, on dit qu'il est universel et on le croit préétabli.
S'intéresser à tout ou se désintéresser de tout, ce sont là deux manières de pratiquer la vie. La première la fait mieux passer ; la seconde, la fait moins regretter. Quelle est la plus raisonnable ? Celle qui convient le mieux à notre tempérament.
Nous dépendons du hasard jusque dans notre propre volonté qu'il suggère, alors même qu'il devrait ensuite la contrecarrer. Notre prétendu libre-arbitre n'est donc qu'un arbitre serf du hasard.
Être arrogant, c'est révéler sottement son infériorité en s'imaginant paraître supérieur.
Au fur et à mesure que le corps la distille, notre âme est bue par le mouvement de la vie.
Le plus grand art de la vie est peut-être de se contenter du peu qu'on a ou qu'on peut avoir, de se fabriquer de la joie avec des riens.
L'amour est au vrai la possession réciproque, toujours constante et paisible, mais momentanément avivée par les sens, d'un homme et d'une femme qui s'estiment et se satisfont de tout leur être. Le reste usurpe le nom d'amour.
Il est dommage que l'infini, d'ailleurs bientôt fini de l'amour, résulte d'une opération qui, pour douce et savoureuse qu'elle soit, n'en est pas moins abjecte et ridicule.
Les misères de la vie sont les circonstances atténuantes de la mort.
Les choses de ce monde n'ont qu'un pivot : la conjonction des sexes.
L'Infini lui-même n'est qu'une bagatelle pour nous autres humains qui sommes si vite finis.
On est parfois tout étonné de trouver, chez les gens qu'on estime le plus, des côtés gredins.
L'homme a un beau et un vilain côté. Les philanthropes le regardent du beau côté, les misanthropes du vilain, mais ceux qui veulent réellement le connaître et témoigner de lui le regardent de face.
Les conditions dans lesquelles les hommes accomplissent leur évolution respective sont le plus souvent si différentes, les unes étant fort douces et les autres très dures, qu'il serait souverainement injuste de juger du mérite d'aucun d'eux par son succès, et voilà pourtant ce que fait le monde.
On doit, en toute circonstance, compter avec la bêtise humaine.
Les gens d'esprit doivent pratiquer l'ésotérisme le plus hermétique à l'égard des imbéciles.
De ce qui n'est rien en soi l'illusion fait notre tout.
Une angoisse entre deux néants : Telle est la vie !
Impérieux par tempérament, servile par intérêt : voilà l'homme !
On ne saurait évaluer ce que perd la Société à négliger des forces pour employer des faiblesses, à fouler de ses pieds bêtes des philosophes qui régleraient supérieurement sa marche, pour se laisser conduire par des aventuriers n'ayant le plus souvent ni tête, ni cœur.
L'instinct est presque toujours la boussole qui dirige notre volonté sur l'océan de la vie.
Bien malin qui peut dire de quoi sera fait demain !
Ce n'est pas seulement notre chair usée à la longue ou brisée tout à coup que la Nature met au rancart, comme nous y mettons nous-mêmes une loque hors d'usage, c'est notre cœur et notre esprit, c'est notre individualité, c'est notre moi.
Quand on aime réellement, on aime jusqu'aux infirmités de l'objet aimé.
Il n'y a guère d'immortel en ce monde que la mort.
L'homme reste toute sa vie enfant, mais avec l'âge il va toujours changeant d'enfantillages.
II y a tels jougs dont la délivrance nous est moins supportable que le poids.
II y a quelquefois plus de fierté véritable à céder le pas qu'à le disputer.
La modestie chez l'homme de mérite n'est que la fine fleur de l'orgueil.
Hormis le cas où notre instinct est manifestement mauvais, il vaut toujours mieux agir avec lui que réagir contre lui.
Le meilleur préservatif contre la vanité, c'est l'orgueil.
Il y a des coquins sans le savoir qui se prennent pour d'honnêtes gens.
Faire du bien aux autres, c'est s'en faire à soi-même.
Ce n'est que demi-mal quand nous n'aimons pas ceux qui nous font souffrir.
À l'extrême limite de la désespérance on retrouve la sérénité.
C'est une pudeur de cacher son vrai mérite à ceux qui ne le peuvent apprécier.
II est aussi rare d'avoir le désir qu'on pourrait satisfaire que de pouvoir satisfaire le désir qu'on a.
Quand on a mis le pied dans l'indélicatesse, on ne tarde point à y courir à toutes jambes.
Le malfaiteur n'est qu'un sot ; il croit travailler à son profit ; il travaille à sa perte.
II y a des fautes d'un homme qui lui sont moins imputables à lui-même qu'à la condition humaine ; aussi est-il juste de les passer par profits et pertes sur le Grand Livre du Destin.
La vanité prend le vice pour souteneur ; l'orgueil entretient l'honnêteté.
On se désole vite ; on se console plus vite encore.
Avoir de l'humanité, c'est pratiquer dans leur plus raffinée délicatesse les devoirs de l'homme envers l'homme. Un homme qui a réellement de l'humanité s'étudie à ne rien prétendre qui puisse entraîner non seulement un malheur, mais une incommodité pour les autres.
Il n'y a rien de plus navrant que l'incertitude du jugement de l'homme.
Il ne faut pas s'étonner que dans le monde on aime tant la comédie et les comédiens. Le monde lui-même n'est qu'un vaste théâtre mutuel, où l'on n'est possible qu'à la condition de se créer sans cesse une personnalité factice, c'est-à-dire de renoncer à être soi pour jouer des rôles.
Si l'homme, au lieu d'être éphémère, selon l'apparence, est évolutif, selon la foi, la personnalité de l'altruiste doit croître à son insu, dans l'évolution, et celle de l'égoïste y diminuer, et c'est aussi bien la récompense du premier que le châtiment du second.
Ce qui constitue la personnalité de l'homme, c'est une mixture de son naturel avec l'emploi qu'en font les circonstances.