Quoique les roses aient des épines destinées à les défendre contre les profanateurs, elles n'en sont pas moins profanées. C'est-à-dire cueillies... Il faudrait qu'elles en eussent dont la piqûre serait mortelle pour le moins.
À la supposer isolable du corps, où elle est infuse, et réversible sur tout un ensemble d'êtres, sans perdre de son entité, l'âme humaine trouverait assurément son paradis dans une participation constante et exclusive à toutes les joies, et son enfer dans la même participation à toutes les peines que donne la nature à ce qu'elle anime sur la terre.
Des bourgeons qui s'épanouissent après coup très pâles, sur des branches séparées de leur tronc au moment où la sève commençait d'y monter, quel douloureux et inquiétant spectacle !
Quand on a la réputation d'insulter tout le monde on n'offense plus personne.
Ce qu'il faut à la Nature, c'est de la vie, incessamment de la vie, et la mort des individus ne compte en rien pour elle dans la permanence des espèces.
Quand on n'a plus la vue obscurcie par cette fumée de la chair, qu'on nomme la passion génésique, comme tout change d'aspect !
La transformation de notre moi d'une vie à l'autre constituerait une sorte d'immortalité larvée équivalente à une complète mortalité.
Nulle avidité, sinon celle de l'élagage et de la simplification n'entre plus au cœur de l'homme dont la vie est obstruée de tracas.
Jamais de verbosité ; à peine du verbe, juste ce qu'il en faut pour revêtir une pensée.
Saisir dans les méandres de son cerveau la pensée qu'on y craignait insaisissable, oh ! quelle joie !
Le tragique, le grotesque et l'immonde se partagent presque entièrement la vie humaine et le peu qui en reste est pour le tendre et le sublime.
On aspire à être amoureux, on soupire pendant qu'on l'est, mais comme on respire, quand on ne l'est plus !
Il y a deux sortes de vaniteux, ceux qui sont les dupes de leur propre vanité et ceux qui ne cherchent qu'à en tremper les autres ; les premiers sont des imbéciles, les seconds sont des malins.
L'équilibre moral est si différent d'un sexe à l'autre que l'homme et la femme se choqueraient sans cessé par l'opposition de leurs instincts, sans le moelleux tampon de l'attrait sexuel.
La tombe seule étouffe notre vanité, à moins qu'elle ne la monumente.
La femme aspire l'homme par tous ses pores. Elle le mange physiquement et intellectuellement, de la même façon que les dionées mangent les insectes qui viennent sur elles pour s'y nourrir.
Même ceux d'entre nous, qui ont le triste bon sens de comprendre que leur vie ne saurait être dans l'avenir comme par le passé qu'une succession d'angoisses et de tracas, sont pressés de la dérouler. Serait-ce qu'ils aspirent inconsciemment à la mort délivrante ?
L'esprit de l'homme est ballotté comme une épave sur des flots d'incertitude.
Oh ! la rougeur gauche et charmante qu'un regard de femme allume sur les joues de l'adolescent dont le cœur déborde d'idéal !
À y regarder de près, il n'y a souvent pires coquins que les honnêtes gens.
Il y a souvent plus d'esprit à paraître dupe qu'à montrer qu'on ne l'est pas.
La nation, soi-disant la plus libre, porte encore la camisole de force de la tyrannie, et elle ne s'en aperçoit même pas, et la carmagnole de la démagogie la gênerait beaucoup plus.
De quelque côté que l'homme se tourne, il fait face à l'erreur.
Rien ne fait souffrir le penseur humanitaire autant que de voir la désastreuse inintelligences des peuples !
Le Hasard engendre et la Logique conçoit la destinée de tout ce qui vit ou végète.
Passé la trentaine, l'amour qui ne veut pas être ridicule doit être positif, réciproque et donnant donnant.
En général, ce qu'on fait ne vaut pas qu'on vive. Aussi, le sage vieillard renonce-t-il volontiers à une existence creuse et qui d'ailleurs, bon gré, mal gré, va lui échapper.
Plus fragile que le verre, notre pensée est fusible comme lui, et, au feu de la lampe incandescente du Soleil ou mieux à la simple tiédeur lunaire, elle se file en toutes les formes.
Il faut s'imboire de l'idée qu'on est supérieur pour le paraître aux autres.
L'opinion publique ? Elle est faite le plus souvent par des brouillons, des astucieux ou même des gredins, à qui leur audace sert de panache.
L'amour, qui fait notre tourment bien plus que notre délice, n'est pas autre chose que l'impôt de la fleur de notre sang levé par la Nature contre nous.
Absorber toute la douleur ambiante et rétracter de la joie, tel est l'office d'un grand cœur !
La moralité est si nécessaire à la statique sociale que les gens les plus immoraux doivent pour ainsi dire moraliser leur immoralité même, pour garder quelque équilibre.
S'il était seulement encore possible de fuir le relatif à qui doit renoncer à chercher l'absolu ! mais sans le relatif il n'y a plus d'homme.
Pour être le moins malheureux possible, en ce monde, quand on a du cœur, il n'est encore rien de tel que de le porter au-devant de tout ce qui est bel et bon et de l'en laisser hypnotiser.
Il n'est rien de tel que la connaissance intime de la vie pour nous faire tomber du cœur toute passion et nous la montrer ridicule dans le cœur d'autrui.
Le sage doit aimer la mort. Il doit l'aimer simplement, s'il n'en attend que le débarras de cette vie ; doublement, s'il en espère une vie meilleure.
Sous prétexte que l'Art doit être novateur, les pires excentriques se targuent de génie.
À mesure que nous vieillissons, l'âme nous tombe par morceaux invisibles ; quelquefois, vivants il ne nous en reste plus rien. — Et l'on prétend que, morts, nous la gardons tout entière !
L'homme qui aime une femme est capable de dévouement à son égard, mais, celui qui aime les femmes ne fait qu'extérioriser l'amour de soi-même pour le colporter en elles.
Dans le duel de l'amour c'est parfois l'homme qui blesse la femme, mais c'est toujours la femme qui tue l'homme.
Que de peines prend l'homme pour échafauder des riens qui lui semblent de structure colossale et qui pèsent effectivement beaucoup à ses mains débiles !
Selon l'instinct qu'on y apporte, le rite de l'amour est immonde ou sublime.
Mieux vaut aimer à tort que haïr à raison.
L'adultère donne généralement plus de peine qu'il ne cause de plaisir.
Malheur à celui qui ne hurle pas précisément dans le ton de la bête populaire, quand elle est déchaînée : elle ne lui trouve nulle grâce et ne lui en fait aucune.
L'équivoque en politique est le meilleur frein du progrès.
L'amour, si vrai et si profond qu'il soit, qu'un homme a pour une femme ou une femme pour un homme, n'est que le reflet de son égoïsme sur une créature déterminée.
Nous ne sommes que des squelettes travestis en chair pour un instant.
À peine inscrits sur le grand livre du Destin, nous y sommes effacés.
Plus on réalisera l'égalité matérielle entre les hommes, plus éclatera la supériorité morale absolument incompressible des uns sur les autres.
L'homme a un beau et un vilain côté. Les philanthropes le regardent du beau côté, les misanthropes du vilain, mais ceux qui veulent réellement le connaître et témoigner de lui le regardent de face.
Bien malin qui peut dire de quoi sera fait demain !
Si peu de choses valent la peine d'être dites que ceux-là qui se taisent sont presque toujours les mieux inspirés.
Ce n'est pas seulement notre chair usée à la longue ou brisée tout à coup que la Nature met au rancart, comme nous y mettons nous-mêmes une loque hors d'usage, c'est notre cœur et notre esprit, c'est notre individualité, c'est notre moi.
Il n'y a guère d'immortel en ce monde que la mort.
II y a tels jougs dont la délivrance nous est moins supportable que le poids.
Le jugement est la pierre d'assise de tout l'être moral.
II y a quelquefois plus de fierté véritable à céder le pas qu'à le disputer.
La modestie chez l'homme de mérite n'est que la fine fleur de l'orgueil.
Hormis le cas où notre instinct est manifestement mauvais, il vaut toujours mieux agir avec lui que réagir contre lui.
Le meilleur préservatif contre la vanité, c'est l'orgueil.
Il y a des coquins sans le savoir qui se prennent pour d'honnêtes gens.
Faire du bien aux autres, c'est s'en faire à soi-même.
Ce n'est que demi-mal quand nous n'aimons pas ceux qui nous font souffrir.
À l'extrême limite de la désespérance on retrouve la sérénité.
C'est une pudeur de cacher son vrai mérite à ceux qui ne le peuvent apprécier.
II est aussi rare d'avoir le désir qu'on pourrait satisfaire que de pouvoir satisfaire le désir qu'on a.
Quand on a mis le pied dans l'indélicatesse, on ne tarde point à y courir à toutes jambes.
Le malfaiteur n'est qu'un sot ; il croit travailler à son profit ; il travaille à sa perte.
II y a des fautes d'un homme qui lui sont moins imputables à lui-même qu'à la condition humaine ; aussi est-il juste de les passer par profits et pertes sur le Grand Livre du Destin.
La vanité prend le vice pour souteneur ; l'orgueil entretient l'honnêteté.
On se désole vite ; on se console plus vite encore.
Avoir de l'humanité, c'est pratiquer dans leur plus raffinée délicatesse les devoirs de l'homme envers l'homme. Un homme qui a réellement de l'humanité s'étudie à ne rien prétendre qui puisse entraîner non seulement un malheur, mais une incommodité pour les autres.
Il n'y a rien de plus navrant que l'incertitude du jugement de l'homme.
Le chant de l'oiseau, le parfum de la fleur, la noblesse de l'âme : autant de gaietés de la Nature, mais ni chant, ni parfum, ni noblesse n'empêchent l'oiseau, la fleur et l'âme de périr.
Il n'est pas de difficultés inextricables.
Quelle lutte inégale celle de notre pauvre petite volonté contre la fatalité géante !
Les abus dont nous profitons nous paraissent d'excellents us.
La justice divine n'est peut-être qu'un rêve sublime de l'homme.
Le sentiment que doivent nous inspirer les hommes, c'est une sorte de mépris bienveillant.
On a défini l'homme un animal raisonnable. On s'est trompé. II fallait dire : Un animal raisonneur.
La vie n'est qu'un prêt que nous fait la Nature à nous tous les tirés du néant, et pour ce prêt remboursable d'un instant à l'autre, elle exige ces gros intérêts, dont elle a sans doute besoin : nos souffrances physiques et morales.
S'oublier au profit des autres, quel bon calcul ! c'est le moyen de ne plus sentir ses peines.
Les gens dont l'amour-propre est bien réglé craignent autant de paraître plus qu'ils ne sont que moins qu'ils n'auraient souhaité d'être. C'est pourquoi ils fuient le monde, où l'on est toujours jugé sur les apparences.
L'occupation dominante pour un garçon de vingt ans, sain de corps et d'âme, c'est l'amour.
On est jamais content de son sort !
Ce qui fait de l'amour s'accomplissant quelque chose de vraiment divin, c'est qu'il y a quasi transsubstantiation de l'homme à la femme et de la femme à l'homme. Durant les quelques secondes d'extase, il semble à Lui qu'il devient Elle et à Elle qu'elle devient Lui.
Le penseur a quelquefois des entrevisions vaporeuses de l'Infini qui lui causent plus de jouissances que ses visions absolument nettes du Fini.
Il faut croire qu'il existe un fisc éternel et infini auquel nous payons la taxe de tout manquement au devoir, taxe directe quand nous sommes conscients et indirecte quand nous ne le sommes pas.