Les 114 pensées et citations d'Edmond Thiaudière :
La morale n'est que le règlement des bonnes mœurs dans un pays et dans un temps déterminés, pas autre chose. Mais, comme ce règlement varie peu d'un siècle à l'autre, comme il est à peu près le même pour tous les pays également civilisés, on dit qu'il est universel et on le croit préétabli.
Nous dépendons du hasard jusque dans notre propre volonté qu'il suggère, alors même qu'il devrait ensuite la contrecarrer. Notre prétendu libre-arbitre n'est donc qu'un arbitre serf du hasard.
Au fur et à mesure que le corps la distille, notre âme est bue par le mouvement de la vie.
Le plus grand art de la vie est peut-être de se contenter du peu qu'on a ou qu'on peut avoir, de se fabriquer de la joie avec des riens.
Il est dommage que l'infini, d'ailleurs bientôt fini de l'amour, résulte d'une opération qui, pour douce et savoureuse qu'elle soit, n'en est pas moins abjecte et ridicule.
Les choses de ce monde n'ont qu'un pivot : la conjonction des sexes.
L'Infini lui-même n'est qu'une bagatelle pour nous autres humains qui sommes si vite finis.
On doit, en toute circonstance, compter avec la bêtise humaine.
De ce qui n'est rien en soi l'illusion fait notre tout.
Une angoisse entre deux néants : Telle est la vie !
Impérieux par tempérament, servile par intérêt : voilà l'homme !
On ne saurait évaluer ce que perd la Société à négliger des forces pour employer des faiblesses, à fouler de ses pieds bêtes des philosophes qui régleraient supérieurement sa marche, pour se laisser conduire par des aventuriers n'ayant le plus souvent ni tête, ni cœur.
Quand on aime réellement, on aime jusqu'aux infirmités de l'objet aimé.
L'homme reste toute sa vie enfant, mais avec l'âge il va toujours changeant d'enfantillages.
Les vaniteux n'ont qu'un objectif : Faire du plus de gens qu'ils peuvent des supports de leur personnalité insupportable.
L'âme ne commence à être grande que quand la tient le désir de disséminer sa vaine personnalité dans la conscience impersonnelle.
Il n'y a rien de plus significatif que la Mort, soit qu'elle ferme l'horizon de l'homme, soit qu'elle le rouvre. C'est pourquoi ceux qui, sans la craindre, ne s'en préoccupent pas, au point même d'y tout rapporter, eussent-ils la réputation de gens d'esprit, sont des imbéciles.
En parlant de la raison vous parlez de la vôtre, sans doute ? Mais il existe quelque part et même partout une autre raison qui lui fait contrepoids. Que dis-je ? La contradiction a lieu au sein de votre propre raison, car, quel que soit l'argument qu'elle soulève en elle-même, un autre argument le fait retomber.
Moralement nous ressentons beaucoup de tangage et de roulis dans toute la traversée de la vie, et c'est le plus clair de nos impressions.
À prendre les choses au mieux, à les envisager du point de vue spiritualiste, ou plus spécialement, du point de vue chrétien, la douleur serait donc le véhicule nécessaire de l'âme allant vers Dieu. Cela suffit à établir que notre pessimisme, inébranlablement fondé sur l'incroyance, s'étayerait au besoin sur la foi.
Il est doux d'être courtisé, dur d'être courtisan, et tantôt l'un, tantôt l'autre, d'être courtisane.
Une âme souple se plie au contour des autres âmes, ne fût-ce que pour en prendre l'empreinte.
Quoique les roses aient des épines destinées à les défendre contre les profanateurs, elles n'en sont pas moins profanées. C'est-à-dire cueillies... Il faudrait qu'elles en eussent dont la piqûre serait mortelle pour le moins.
À la supposer isolable du corps, où elle est infuse, et réversible sur tout un ensemble d'êtres, sans perdre de son entité, l'âme humaine trouverait assurément son paradis dans une participation constante et exclusive à toutes les joies, et son enfer dans la même participation à toutes les peines que donne la nature à ce qu'elle anime sur la terre.
Des bourgeons qui s'épanouissent après coup très pâles, sur des branches séparées de leur tronc au moment où la sève commençait d'y monter, quel douloureux et inquiétant spectacle !
Ce qu'il faut à la Nature, c'est de la vie, incessamment de la vie, et la mort des individus ne compte en rien pour elle dans la permanence des espèces.
Quand on n'a plus la vue obscurcie par cette fumée de la chair, qu'on nomme la passion génésique, comme tout change d'aspect !
La transformation de notre moi d'une vie à l'autre constituerait une sorte d'immortalité larvée équivalente à une complète mortalité.
Nulle avidité, sinon celle de l'élagage et de la simplification n'entre plus au cœur de l'homme dont la vie est obstruée de tracas.
Jamais de verbosité ; à peine du verbe, juste ce qu'il en faut pour revêtir une pensée.