La vérité est si indépendante de ceux qui l'attaquent et de ceux qui la défendent que les auteurs qui en disputent devraient bien s'oublier réciproquement : cela épargnerait beaucoup de papier et d'encre.
La critique est une chose bien commode : on attaque avec un mot, et il faut des pages pour se défendre.
Le chef-d'œuvre d'une bonne éducation est de faire d'un enfant un homme raisonnable.
L'enfant qui n'a qu'à vouloir pour obtenir se croit le propriétaire de l'univers ; il regarde tous les hommes comme ses esclaves : et quand enfin l'on est forcé de lui refuser quelque chose, lui, croyant tout possible quand il commande, prend ce refus pour un acte de rébellion ; toutes les raisons qu'on lui donne dans un âge incapable de raisonnement ne sont à son gré que des prétextes ; il voit partout de la mauvaise volonté : le sentiment d'une injustice prétendue aigrissant son naturel, il prend tout le monde en haine, et, sans jamais savoir gré de la complaisance, il s'indigne de toute opposition.
J'ai beau vouloir arracher de mon cœur ton image chérie ; je l'y sens trop fortement attachée : je le déchire sans le dégager, et mes efforts pour en effacer un si doux souvenir ne font que l'y graver davantage.
Sitôt qu'il faut voir par les yeux des autres, il faut vouloir par leurs volontés.
Viens, homme infortuné, viens verser tes douleurs dans ce cœur qui t'aime. Viens, tu sentiras peut-être qu'on n'a pas tout perdu sur la terre quand on y retrouve un ami.
C'est le dernier degré de l'opprobre de perdre avec l'innocence le sentiment qui la fait aimer.
L'âme vile et rampante de l'hypocrite est semblable à un cadavre où l'on ne trouve plus ni feu, ni chaleur, ni retour à la vie.
Le ridicule, ce poison du bon sens et de l'honnêteté ; la satire, ennemie de la paix publique ; la mollesse, le faste arrogant et le luxe ne nous forment dans l'avenir qu'un peuple de petits plaisants, de bouffons, de baladins, de philosophes de ruelle et de beaux-esprits de comptoir.
Pour être coupable d'une faute on ne l'est pas de toutes. La justice consiste à mesurer exactement la peine à la faute ; et l'extrême justice elle-même est une injure lorsqu'elle n'a nul égard aux considérations raisonnables qui doivent tempérer la rigueur de la loi.
La recette contre le refroidissement de l'amour dans le mariage est simple et facile ; c'est de continuer d'être amants quand on est époux. Les nœuds qu'on veut trop serrer rompent. Voilà ce qui arrive à celui du mariage quand on veut lui donner plus de force qu'il n'en doit avoir.
On se croit dispensé d'être homme de bien pourvu qu'on soit un homme agréable.
L'esprit universel des lois de tous les pays est de favoriser toujours le fort contre le faible, et celui qui a, contre celui qui n'a rien. Cet inconvénient est inévitable et il est sans exception.
Soyez amant heureux, et toujours respectueux ; obtenez tout de l'amour sans rien exiger ; et que les moindres faveurs ne soient jamais pour vous des droits, mais des grâces ; souvenez-vous toujours que, même dans le mariage, le plaisir n'est légitime que quand le désir est partagé.
Il vaut infiniment mieux quelquefois avoir l'estime des hommes que leur admiration.
La gourmandise est le vice des coeurs qui n'ont pas d'étoffe ; l'âme d'un gourmand est toute dans son palais ; il n'est fait que pour manger ; dans sa stupide incapacité, il n'est qu'à table à sa place, il ne sait juger que des mets.
Quand les bras travaillent beaucoup, l'imagination se repose ; quand le corps est bien las, le cœur ne s'échauffe pas.
Les coups que je reçois ont beau blesser ma personne, pas un n'arrive jusqu'à mon cœur.
Qui voit faire un tort à autrui sans le dénoncer est plus coupable encore que celui qui l'a commis.
Les pays où les supplices sont le plus terribles sont aussi ceux où ils sont le plus fréquents ; de sorte que la cruauté des peines ne marque guère que la multitude des infracteurs, et qu'en punissant tout avec la même sévérité l'on force les coupables de commettre des crimes pour échapper à la punition de leurs fautes.
Tout ce qu'on dit ne signifie rien si l'on n'a préparé le moment de le dire. Avant de semer il faut labourer la terre : la semence de la vertu lève difficilement, il faut de longs apprêts pour lui faire prendre racine.
La terre ouvre son sein fertile et prodigue ses trésors aux heureux peuples qui la cultivent. Elle semble sourire et s'animer au doux spectacle de la liberté ; elle aime à nourrir des hommes. Au contraire, les tristes masures, la bruyère et les ronces qui couvrent une terre à demi déserte annoncent de loin qu'un maître absent y domine, et qu'elle donne à regret à des gens quelques maigres productions dont ils ne profitent pas.
C'est en vain qu'on cherche au loin son bonheur quand on néglige de le cultiver en soi-même, car il a beau venir du dehors, il ne peut se rendre sensible qu'autant qu'il trouve au-dedans une âme propre à le goûter.
Femmes ! ne vous enfermez jamais seules avec un homme, l'occupation la plus louable est suspecte dans le tête-à-tête.
Cent fois le jour, quand je suis seule, un tressaillement me saisit comme si je te sentais près de moi. Je m'imagine que tu tiens mon portrait, et je suis si folle que je crois sentir l'impression des caresses que tu lui fais et des baisers que tu lui donnes ; ma bouche croit les recevoir ; mon tendre cœur croit les goûter.
Je ne suis jamais moins seul que quand je suis seul, disait un ancien. Moi, je ne suis seul que dans la foule, où je ne puis être ni à toi ni aux autres.
Un jugement incertain et un cœur facile à séduire rendent les hommes faibles et petits. Pour être grand, il ne faut que se rendre maître de soi. C'est au-dedans de nous-mêmes que sont nos plus redoutables ennemis.
Un honnête homme n'aura jamais de meilleur ami que sa femme.
L'apparente facilité d'apprendre est cause de la perte des enfants. On ne voit pas que cette facilité même est la preuve qu'ils n'apprennent rien. Leur cerveau lisse et poli rend comme un miroir les objets qu'on lui présente ; mais rien ne reste, rien ne pénètre. L'enfant retient les mots, les idées se réfléchissent : ceux qui l'écoutent les entendent, lui seul ne les entend point.
Si l'amour est le plus délicieux sentiment qui puisse entrer dans le cœur humain, tout ce qui le prolonge et le fixe, même au prix de mille douleurs, est encore un bien.
Qu'est-ce qui rend les amitiés si tièdes et si peu durables entre les femmes ? Ce sont les intérêts de l'amour, c'est la jalousie des conquêtes.
La conscience est le plus éclairé des philosophes : on n'a pas besoin de savoir les offices de Cicéron pour être homme de bien ; et la femme du monde la plus honnête sait peut-être le moins ce que c'est que l'honnêteté.
À certain âge, tous les hommes sont à peu près le même homme, toutes les femmes la même femme ; toutes ces poupées sortent de chez la même marchande de modes, et il n'y a guère d'autre choix à faire que ce qui tombe le plus commodément sous la main.
La vie est un bien qu'on ne reçoit qu'à la charge de la transmettre ; quiconque eût un père est obligé de le devenir. Il est difficile que le célibat, si contraire à la nature, n'amène pas quelque désordre public ou caché. Comment pouvoir échapper toujours à l'ennemi qu'on porte sans cesse avec soi ?
Il y a des occasions où un fils qui manque de respect à son père, peut en quelque sorte, être excusé ; mais si, dans quelque occasion que ce fût, un enfant était assez dénaturé pour manquer à sa mère, à celle qui l'a porté dans son sein, qui l'a nourri de son lait, qui, durant des années, s'est oubliée pour ne s'occuper que de lui, on devrait se hâter d'étouffer ce misérable, comme un monstre indigne de voir le jour.
La véritable politesse consiste à marquer de la bienveillance aux hommes.
La force de l'âme éclaire l'esprit, étend le génie, et donne de l'énergie.
Un riche, un grand n'a de véritable ami que celui qui n'est pas la dupe des apparences, et qui le plaint plus qu'il ne l'envie, malgré sa prospérité.
Nul honnête homme ne peut jamais se vanter d'avoir du loisir tant qu'il y aura du bien à faire, une patrie à servir, des malheureux à soulager.
Un excès de délicatesse n'offense que les cœurs qui en manquent.
Trop souvent la raison nous trompe, mais la conscience ne nous trompe jamais ; elle est le vrai guide de l'homme ; elle est à l'âme ce que l'instinct est au corps.
La paix de l'âme consiste dans le mépris de tout ce qui peut la troubler.
Le véritable amour, toujours modeste, n'arrache pas ses faveurs avec audace, il les dérobe avec timidité. La décence et l'honnêteté l'accompagnent au sein de la volupté même, et lui seul sait tout accorder au désir sans rien ôter à la pudeur. Bien souvent l'erreur cruelle est de croire que l'amour heureux n'a plus de ménagements à garder avec la pudeur, et qu'on ne doit plus de respect à celle dont on n'a plus de rigueurs à craindre.
Plus le corps est faible, plus il commande ; plus il est fort, plus il obéit. Toutes les passions sensuelles logent dans des corps efféminés ; ils s'en irritent d'autant plus qu'ils peuvent moins les satisfaire.
La seule punition de s'être aimés est l'obligation de s'aimer à jamais.
La véritable politesse consiste à marquer de la bienveillance aux hommes, elle se montre sans peine quand on en a. C'est pour celui qui n'en a pas qu'on est forcé de réduire en art ses apparences. Qu'on nous inspire dans l'éducation l'humanité et la bienfaisance, nous aurons de la politesse ou nous n'en aurons pas besoin.
L'homme bon tire le bien qu'il fait de son cœur, et non de sa bourse. Il donne aux malheureux son temps, ses soins, ses affections, sa personne ; et, dans l'estimation de ses bienfaits, à peine ose-t-il compter pour quelque chose l'argent qu'il répand sur les indigents.
Employons à nous rendre bons et heureux le temps que perdent les philosophes à chercher comment on doit l'être, et proposons-nous de grands exemples à imiter, plutôt que de vains systèmes à suivre.
Une des erreurs de notre âme, est d'employer la raison trop nue, comme si les hommes n'étaient qu'esprit. En négligeant la langue des signes qui parlent à l'imagination, l'on a perdu le plus énergique des langages.
Dites ce qui est vrai, faites ce qui est bien. Ce qui importe à l'homme, est de remplir ses devoirs sur la terre. C'est en s'oubliant qu'on travaille pour soi.
Quiconque raille un homme qu'il dit aimer, est assurément un effronté menteur.
Si vous voulez corriger quelqu'un d'un défaut, ne l'en raillez jamais, vous le révolterez au lieu de l'instruire. La leçon ne profite pas quand on méprise celui qui la donne.
Pour faire écouter ce qu'on dit, il faut se mettre à la place de ceux à qui l'on parle ; il faut être homme pour savoir parler au cœur humain.
Ô parents ! l'exemple ! l'exemple ! sans cela on ne réussit à rien auprès des enfants.
Apprenez-moi à quel crime s'arrête celui qui n'a de lois que les vœux de son cœur, et ne sait résister à rien de ce qu'il désire. Il n'y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat. La force est la base de toute vertu. La vertu n'appartient qu'à un être sensible par sa nature, et fort par sa volonté. C'est en cela que consiste le mérite de l'homme juste.
Le désordre et la fantaisie n'ont point de bornes, et font plus de pauvres que les vrais besoins.
La vanité de l'homme est la source de ses plus grandes peines. Il n'y a personne de si parfait, de si fêté, à qui elle ne donne encore plus de chagrin que de plaisir, et si jamais la vanité fit quelque heureux sur la terre, à coup sûr cet heureux-là n'était qu'un sot.
Jamais les cœurs sensibles n'aimeront les plaisirs bruyants, vain et stérile bonheur des gens qui ne sentent rien, et qui croient qu'étourdir sa vie c'est en jouir.
Si nous nous contentions d'être ce que nous sommes, nous n'aurions point à déplorer notre sort, mais pour chercher un bien-être imaginaire, nous nous donnons mille maux réels. Qui ne sait pas supporter un peu de souffrance, doit s'attendre à beaucoup souffrir.
Les illusions de l'orgueil sont la source de nos plus grands maux, mais la contemplation de la misère humaine rend le sage toujours modéré.
La condition naturelle de l'homme est de cultiver la terre, de vivre de ses fruits.
Maître, apprenez à votre élève à aimer tous les hommes, et même ceux qui le déprisent ; faites en sorte qu'il ne se place dans aucune classe, mais qu'il se retrouve dans toutes. Parlez devant lui du genre humain avec attendrissement, avec pitié même ; mais jamais avec mépris : homme, ne déshonore point l'homme.
L'abus du savoir produit l'incrédulité. Tout savant dédaigne le sentiment vulgaire, chacun en veut avoir un à soi. L'orgueilleuse philosophie mène à l'esprit fort, comme l'aveugle dévotion mène au fanatisme. Évitez ces extrémités, restez toujours ferme dans la voix de la vérité, ou ce qui vous paraîtra l'être dans la simplicité de votre cœur, sans jamais vous en détourner par vanité ni par faiblesse. Osez confesser Dieu aux philosophes ; osez prêcher l'humanité aux intolérants.
Sois homme, retiens ton cœur dans les bornes de ta condition. Etudie et connais ces bornes ; quelque étroites qu'elles soient, on n'est point malheureux tant qu'on s'y renferme.
La première et la plus importante qualité d'une femme est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfait que l'homme, souvent si plein de vices, et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure à souffrir même l'injustice et à supporter les torts d'un mari sans se plaindre : ce n'est pas pour lui, c'est pour elle qu'elle doit être douce.
L'ami de la vérité n'est point attaché à telle opinion plutôt qu'à telle autre ; quoi qu'il dise, pourvu qu'il le pense, il tend à son but.
Qui ne fait pas ce qu'il dit ne le dit jamais bien.
Malheur à quiconque prêche une morale qu'il ne pratique pas !
Le premier prix de la justice est le sentiment qu'on la pratique.