La parenté n'est rien, ce sont les faits qui comptent ! et l'on aime plus justement son père, s'il a été bon et dévoué pour vous, que simplement parce qu'il est votre père.
Il paraît qu'il est immoral de parler de soi. Moi, je ne sais guère que parler de moi. Alors, je me suis plu à ce moyen. Se dédoubler, c'est le don suprême.
Je le répète à chaque instant, à qui veut l'entendre : Le vrai talent littéraire, c'est d'écrire des livres comme on écrit des lettres, absolument. Tout ce qui n'est pas cela n'est que pathos, pose, rhétorique, enflure. Se laisser aller, ne pas chercher ses phrases, se moquer des négligences de style même, le ton de sincérité et de naturel y gagnera.
Le caractère d'un homme se voit dans sa démarche.
Le bailli, qui n'a jamais fait grand-chose dans la vie, disait toujours : « À quoi bon ? On n'a le temps de rien. La vie est trop courte. » Je lui dis : « Mais pourquoi vous êtes-vous marié ? — Pour qu'elle paraisse plus longue », me répondit-il.
Il est curieux que ce soit toujours la femme qui « accorde ses faveurs » à l'homme. Ce n'est pourtant qu'un échange de bons procédés ?
Il ne faut pas avoir peur de ses propres idées, ni peur de les exprimer, quand même elles vont à l'encontre des idées admises, surtout si elles vont à l'encontre des idées admises.
Je tiens la littérature alimentaire pour méprisable. C'est pourquoi toute ma vie j'ai été employé. Pour assurer ma liberté et n'écrire que lorsque j'y avais plaisir. Je suis au reste arrivé à cette opinion que la littérature, comme tous les arts, sont des fariboles, qu'il n'y a rien d'admirable. Le mot admiration me fait pouffer. Il arrive qu'on intéresse, qu'on distraye, qu'on plaise, rien de plus. Je ne suis pas plus porté à l'admiration qu'au respect. On peut dire : Tant pis pour moi. Je m'en fiche.
Il est dangereux pour soi-même d'arracher quiconque à la mort, cela est surtout criminel.
Comme tu m'aimerais si tu m'aimais comme je t'aime.
Dans l'art comme dans la vie, la tromperie n'a qu'un temps.
Il faut être un imbécile pour ne pas savoir, ou ne pas découvrir, que votre femme vous trompe. Je pense fermement qu'il faut être un sot pour avoir confiance à l'égard d'une femme.
Pourquoi me gêner pour quelqu'un qui ne se gêne en rien ?
Ne pas être amusant, ne pas être spirituel, ne pas être hardi, ne pas attirer l'attention, se taire ou ne parler que comme les autres, ressembler à son voisin par l'esprit comme on lui ressemble par le costume, être grave, fade, sérieux, moral, ennuyeux, pédant, prudent, soumis, bête comme tout le monde, ménager les gens, se taire sur ceux-ci, dire du bien de ceux-là, écrire pour ne rien dire, voilà le talent aujourd'hui. Que de gens que je connais n'en ont jamais montré d'autre !
L'enseignement pédagogique est fait pour les paresseux, pour les esprits sans curiosité, pour les individus qui resteraient complètement ignares si on ne leur apprenait pas quelque chose de force, pour ainsi dire. II n'y a que l'élite qui compte, et l'élite ne se constitue pas avec des diplômes. Elle tient à la nature même de certains individus, supérieurs aux autres de naissance, et qui développent cette supériorité par eux-mêmes, sans avoir besoin de l'aide d'aucuns pédagogues, gens, le plus souvent, fort bornés et fort nuisibles.
Quand on ne connaît rien, on trouve tout admirable.
Dans les liaisons, qui sont les plus quittés : Les hommes ? Les femmes ? À en juger par ce que j'ai pu voir, entendre, apprendre : Les femmes.
Que de choses m'ont apprises, jusque sur moi-même, mes deux grands amours. Que de choses j'apprendrais encore si j'avais l'âge d'en avoir un troisième.
Ne dites pas qu'une femme est laide tant que vous ne l'avez pas vue dans le plaisir de l'amour. La moins jolie peut l'y devenir.
À quoi bon avoir plusieurs maîtresses ? Pour se les représenter chacune, avec d'autres, dans les mêmes postures qu'elles ont avec soi ? Une seule suffit.
De tous les livres de Stendhal, celui que j'ai certainement le moins lu est De l'Amour. C'est pour moi beaucoup d'abstractions dans un domaine qui n'en comporte pas tant. Lui-même était extrêmement physique en amour. Gros sanguin, jouisseur sensuel, souvent « hussard », rien d'un amant au clair de lune. Il a idéalisé plus tard (Brulard, Souvenirs d'Égotisme), la faculté amoureuse éteinte (impuissant à quarante-neuf ans), sous l'effet du regret, qui embellit tout, comme le désir.
À soixante ans passés, je ne suis blasé en rien sur les plaisirs de l'amour. Je me moque moi-même : Vieille jeunesse !
Les plaisirs de l'amour n'ont toute leur saveur que dans la maturité. Ce n'est pas à vingt ans qu'un homme sait jouir pleinement du sexe d'une femme, ni une femme du sexe d'un homme.
La jalousie, les soupçons, les explications ? Merveilleux exercice intellectuel qui délie, assouplit l'esprit à examiner les pour, les contre, les coïncidences, les feintes, les contradictions, les vues justes ou fausses, le bon ou le mauvais, les chances d'erreur ou les risques de certitude.
À soixante ans passés, je n'ai pas encore fini de réfléchir sur cette maxime de La Rochefoucauld : On a bien de la peine à rompre quand on ne s'aime plus.
Je disais à une femme, dans un rendez-vous que j'avais avec elle, pour lui marquer mon ardeur : « J'attends cette soirée depuis trois jours. — Je vous en sais gré », me répondit-elle. Voilà la passion qu'elles ont, ou qu'elles laissent voir.
C'est curieux comme j'ai toujours été volé dans mes amours. Je veux dire que j'ai toujours donné plus que je ne recevais, que j'ai toujours montré plus de presse, de goût, d'ardeur qu'on ne m'en montrait. Cela vient sans doute que je portais partout la passion, la spontanéité, ce que j'appelais le franc-jeu, quand les femmes n'y mettent que calcul, prudence, dissimulation et diplomatie.
C'est en quittant de faire l'amour, dans la chaleur et la rêverie que me laissait le plaisir, également en m'y rendant, dans la passion qui m'animait, que souvent j'ai trouvé les meilleurs traits de mes écrits.
Un amant très épris disait à sa maîtresse, prénommée Marie, jouisseuse inépuisable : Je vous salue, Marie, pleine de f...
Aimer, c'est préférer un autre à soi-même.
Je m'en aperçois de plus en plus, une seule chose m'intéresse : Moi.
Le plaisir de ma partenaire m'a toujours plus intéressé que le mien propre. Moi qui ne suis guère aimable de manières, je me conduis là comme un homme du monde : Vous d'abord, Madame. Moi, après.
Mes écrits m'ont souvent gâté mes amours. Par ce sang-froid toujours gardé, ce manque de « cristallisation », cette faculté d'observation restée intacte. Tant pis ! me suis-je dit chaque fois. Écrire d'abord. J'y sacrifierais l'univers.
Nous avons tous, homme ou femme, notre partenaire pour le plaisir de l'amour. On ne le trouve souvent que tard. Certains ne le trouvent jamais.
Le secret, surcroît de plaisir. Être l'amant d'une femme, être la maîtresse d'un homme, sans que personne s'en doute.
Il n'y a que les gens qui écrivent qui sachent lire.
On ne saura jamais combien la timidité peut rendre vertueux, et niais.
L'amour, c'est le physique, c'est l'attrait charnel, c'est le plaisir reçu et donné.
Il y a une « cristallisation » physique : une maîtresse absente, dont on est privé, qu'on pare, sous l'effet du désir, de plus de beautés (physiques) qu'elle n'a.
L'amour n'a que faire des qualités morales.
L'avantage du matérialiste en amour, c'est de ne pas donner dans la « cristallisation » et parer celle qu'il aime, sous l'influence de sa passion, de mérites et qualités qu'elle n'a pas. Son jugement reste entier. Il la voit telle qu'elle est. S'il lui vient des déceptions, elles ne seront pas de cet ordre.
Un voisinage mortuaire, une action équivoque partagée, un risque auquel on vient d'échapper, la présence la plus proche de celui qu'on trompe, si c'est le cas, peuvent être des excitants au plaisir.
Je n'ai jamais eu de goût pour l'amour passade ni mis les pieds au bordel.
J'aime mieux rêver que je fais l'amour avec la femme que j'aime que de faire l'amour avec une femme que je n'aime pas.
Quand on fait la cour à une femme, dont le visage vous séduit, il faudrait ne pas voir que son visage. Il faudrait voir sa peau, son ton et la sensation au toucher, connaître son odeur, ses parties pileuses : soyeuses ou rêches, sa conformation sexuelle : maigre ou charnue, confortable ou étriquée, facilement émotive ou lente ou insensible. Tout le plaisir, — et par suite l'amour, — selon les goûts, peut tenir à l'un de ces détails.
Je ne suis pas pour le changement, la nouveauté. Il me faut l'intimité, la liberté physiques les plus grandes. Au contraire de tant d'autres, l'habitude est une condition de mon plaisir. Plus j'ai de souvenirs, d'images de mes plaisirs passés, plus grand est mon plaisir du moment.
L'amour est gai, vif, sans retenue. C'est l'esprit pendant le plaisir, et le rire quand on en sort. Piètres amants, les muets, les graves, les figés, les cérémonieux. Misère d'une partenaire de ce genre.
La jalousie est une affreuse maladie.
C'est une singulière manie qu'ont la plupart des gens de se voir les uns les autres, d'aller faire des visites, d'en recevoir, de se retrouver sans cesse dans tels ou tels endroits, de se faire des protestations de sympathie ou d'amitié, pour échanger des propos niais sur des sujets sans intérêts.
De s'écrire des lettres de six pages — de se téléphoner à propos de rien. Faut-il que ces gens s'ennuient, n'aient rien à faire, ne puissent rien tirer d'eux-mêmes, soient aussi vides d'esprit que de cœur, car aimer tant de gens et se plaire avec tant de gens, c'est, au fond, n'aimer personne et ne se plaire vraiment avec personne.
La trahison est la seconde nature des femmes.
Il y a des moments, trop fréquent, hélas ! où j'aime mieux rêver sur ce que j'ai à écrire ou sur ce que j'écrirais, que d'écrire.
Il y a, dans certaines voix, des nuances, des sortes de déchirures délicieuses, qui éveillent en moi une grande tendresse.
Quelle difficulté à écrire me prend dès que je commence. Ce soir encore, à ce point malheureux de cette difficulté, j'ai tout quitté, et je suis sorti, me désoler au hasard des rues. J'ai pourtant écrit deux ou trois bonnes pages. Je possède de plus en plus la connaissance du style. Et j'ai encore un peu de sentiment. Et j'ai aussi en moi une certaine harmonie même, parfois, ma chambre est trop étroite pour l'excitation que me donnent mes idées. Qu'est-ce donc qui me manque ? Sans doute, je me suis trop amusé avec moi-même, j'ai trop joué avec mon cerveau, avec ma sensibilité, et je n'ai pas assez gardé d'illusion. À côté de moi qui travaille, il y a trop souvent un autre moi qui examine, raisonne, critique, et trouve toujours tout mauvais. Et puis, pourquoi tant chercher ? Et quel jeu dangereux que trop chercher !
Il faut écrire avec feu — et pour écrire avec feu, il ne faut pas que ce qu'on écrit soit plus ou moins une besogne — et pour que ce ne soit pas plus ou moins une besogne il faut l'écrire dès que l'idée vous en vient, dans la chaleur, l'excitation, la vivacité d'esprit, le plaisir enfin que produit, chez l'écrivain, l'idée de telles ou telles pages.
Comme la vie pèse, quelquefois Et que de fois aussi je l'aurai senti, qu'on ne réussit à la supporter qu'à force de se monter le coup. Seulement, de temps en temps, quelque chose crève, et alors, adieu l'illusion.
J'ai commencé à avoir de l'esprit le jour où j'ai commencé à être moi.
Pour être heureux en amour, il faut être un imbécile.
Ce qui console de vieillir, c'est de voir autour de soi les choses vieillir aussi.
La douceur, la générosité, l'amour valent mieux dans ce monde que la cruauté, la vengeance et la haine.