Les 112 pensées et citations de Paul Léautaud :
L'amour tourmenté, soupçonneux, sans cesse traversé d'orages, est plus l'amour que l'amour heureux.
Je le répète à chaque instant, à qui veut l'entendre : Le vrai talent littéraire, c'est d'écrire des livres comme on écrit des lettres, absolument. Tout ce qui n'est pas cela n'est que pathos, pose, rhétorique, enflure. Se laisser aller, ne pas chercher ses phrases, se moquer des négligences de style même, le ton de sincérité et de naturel y gagnera.
Le caractère d'un homme se voit dans sa démarche.
Comme tu m'aimerais si tu m'aimais comme je t'aime.
Pourquoi me gêner pour quelqu'un qui ne se gêne en rien ?
Si j'avais un fils, je me garderais bien d'en faire une bête à concours. Je lui ferais tout bonnement apprendre à lire et à écrire. Je lui dirais ensuite : Fais comme moi. Fuis les examens, les examinateurs, les concours et les diplômes. Si tu as de l'esprit, ils te l'abîmeront. Si tu en es privé, ils ne t'en donneront pas. Imite-moi. Sorti de l'école communale à quinze ans, j'ai appris tout seul, par moi-même, sans personne, sans règles, sans direction arbitraire, ce qui me plaisait, ce qui me séduisait, ce qui correspondait à la nature de mon esprit (on n'apprend bien que ce qui plaît)
L'enseignement pédagogique est fait pour les paresseux, pour les esprits sans curiosité, pour les individus qui resteraient complètement ignares si on ne leur apprenait pas quelque chose de force, pour ainsi dire. II n'y a que l'élite qui compte, et l'élite ne se constitue pas avec des diplômes. Elle tient à la nature même de certains individus, supérieurs aux autres de naissance, et qui développent cette supériorité par eux-mêmes, sans avoir besoin de l'aide d'aucuns pédagogues, gens, le plus souvent, fort bornés et fort nuisibles.
Quand on ne connaît rien, on trouve tout admirable.
Que de choses m'ont apprises, jusque sur moi-même, mes deux grands amours. Que de choses j'apprendrais encore si j'avais l'âge d'en avoir un troisième.
Ne dites pas qu'une femme est laide tant que vous ne l'avez pas vue dans le plaisir de l'amour. La moins jolie peut l'y devenir.
À quoi bon avoir plusieurs maîtresses ? Pour se les représenter chacune, avec d'autres, dans les mêmes postures qu'elles ont avec soi ? Une seule suffit.
De tous les livres de Stendhal, celui que j'ai certainement le moins lu est De l'Amour. C'est pour moi beaucoup d'abstractions dans un domaine qui n'en comporte pas tant. Lui-même était extrêmement physique en amour. Gros sanguin, jouisseur sensuel, souvent « hussard », rien d'un amant au clair de lune. Il a idéalisé plus tard (Brulard, Souvenirs d'Égotisme), la faculté amoureuse éteinte (impuissant à quarante-neuf ans), sous l'effet du regret, qui embellit tout, comme le désir.
À soixante ans passés, je ne suis blasé en rien sur les plaisirs de l'amour. Je me moque moi-même : Vieille jeunesse !
Les plaisirs de l'amour n'ont toute leur saveur que dans la maturité. Ce n'est pas à vingt ans qu'un homme sait jouir pleinement du sexe d'une femme, ni une femme du sexe d'un homme.
La jalousie, les soupçons, les explications ? Merveilleux exercice intellectuel qui délie, assouplit l'esprit à examiner les pour, les contre, les coïncidences, les feintes, les contradictions, les vues justes ou fausses, le bon ou le mauvais, les chances d'erreur ou les risques de certitude.
À soixante ans passés, je n'ai pas encore fini de réfléchir sur cette maxime de La Rochefoucauld : On a bien de la peine à rompre quand on ne s'aime plus.
Je disais à une femme, dans un rendez-vous que j'avais avec elle, pour lui marquer mon ardeur : « J'attends cette soirée depuis trois jours. — Je vous en sais gré », me répondit-elle. Voilà la passion qu'elles ont, ou qu'elles laissent voir.
C'est curieux comme j'ai toujours été volé dans mes amours. Je veux dire que j'ai toujours donné plus que je ne recevais, que j'ai toujours montré plus de presse, de goût, d'ardeur qu'on ne m'en montrait. Cela vient sans doute que je portais partout la passion, la spontanéité, ce que j'appelais le franc-jeu, quand les femmes n'y mettent que calcul, prudence, dissimulation et diplomatie.
C'est en quittant de faire l'amour, dans la chaleur et la rêverie que me laissait le plaisir, également en m'y rendant, dans la passion qui m'animait, que souvent j'ai trouvé les meilleurs traits de mes écrits.
Un amant très épris disait à sa maîtresse, prénommée Marie, jouisseuse inépuisable : Je vous salue, Marie, pleine de f...
Aimer, c'est préférer un autre à soi-même.
Le plaisir de ma partenaire m'a toujours plus intéressé que le mien propre. Moi qui ne suis guère aimable de manières, je me conduis là comme un homme du monde : Vous d'abord, Madame. Moi, après.
Mes écrits m'ont souvent gâté mes amours. Par ce sang-froid toujours gardé, ce manque de « cristallisation », cette faculté d'observation restée intacte. Tant pis ! me suis-je dit chaque fois. Écrire d'abord. J'y sacrifierais l'univers.
Nous avons tous, homme ou femme, notre partenaire pour le plaisir de l'amour. On ne le trouve souvent que tard. Certains ne le trouvent jamais.
Le secret, surcroît de plaisir. Être l'amant d'une femme, être la maîtresse d'un homme, sans que personne s'en doute.
Il y a une « cristallisation » physique : une maîtresse absente, dont on est privé, qu'on pare, sous l'effet du désir, de plus de beautés (physiques) qu'elle n'a.
L'amour n'a que faire des qualités morales.
L'avantage du matérialiste en amour, c'est de ne pas donner dans la « cristallisation » et parer celle qu'il aime, sous l'influence de sa passion, de mérites et qualités qu'elle n'a pas. Son jugement reste entier. Il la voit telle qu'elle est. S'il lui vient des déceptions, elles ne seront pas de cet ordre.
Un voisinage mortuaire, une action équivoque partagée, un risque auquel on vient d'échapper, la présence la plus proche de celui qu'on trompe, si c'est le cas, peuvent être des excitants au plaisir.
Je n'ai jamais eu de goût pour l'amour passade ni mis les pieds au bordel.