Le ressort de la vie n'est pas l'espérance, mais le plaisir d'exercer notre activité. Le monde n'a pas de but et n'en saurait avoir, puisqu'un but est une limite. L'homme croit en avoir un, et il ne l'atteint jamais ; ce qui n'a jamais découragé personne. On pourrait cependant dire que l'espérance, si elle n'est pas le ressort lui-même, est du moins la chaîne qui le tend et décuple sa force.
Le citoyen est un être admirable, dit-on, tous les traités vantent ses vertus et son abnégation, en ajoutant : « D'ailleurs, il ne fait que son devoir. » Avec ce mot Devoir, on fait danser le citoyen comme un ours avec une musette. Il danse, il crève d'avoir dansé le ventre vide et il clame, en expirant : « J'ai fait mon devoir ! » Ce pauvre animal, qui ne reçoit jamais rien que des coups de bâton quand il ne saute pas en mesure, est un débiteur éternel ; il doit toujours et il donne toujours, sans s'acquitter jamais. Sa dette est infinie ; la mort même ne l'éteint pas ; le fils la retrouve dans l'héritage de son père. Il vit sans espoir : il sait qu'il ne deviendra jamais un homme.
L'amour excessif et exclusif d'une patrie a pour immédiat corollaire l'horreur des patries étrangères. Non seulement on craint de quitter la jupe de sa maman, d'aller voir comment vivent les autres hommes, de se mêler à leurs luttes, de partager leurs travaux ; non seulement on reste chez soi, mais on finit par fermer sa porte. Nous en sommes arrivés, en France, à un état si aigu de crise nationaliste que les propositions tendant à expulser ou à affamer, en leur refusant du travail, les ouvriers étrangers sont sérieusement discutées dans la presse.
La beauté du monde est faite de diversité, il faut respecter les usages, les mœurs et la religion de tous les peuples, même inférieurs.
Les convictions sont tellement dominatrices dans certains cerveaux qu'elles dénaturent les perceptions à mesure que l'esprit en prend connaissance ; alors, si la conscience veut s'exprimer par le verbe, elle ment, mais avec une conviction épouvantable. L'homme désintéressé, qui veut faire usage de ces dépositions troubles se trouve en présence de faits sans valeur, décortiqués de toute leur exactitude primitive.
Des gens ont besoin de beaucoup pour retenir un peu ; à moi, il me suffit d'un peu pour retenir beaucoup.
Mon bonheur à moi, c'est de lire en toi le divin poème que tu es.
En amitié comme en amour, sait-on jamais ce qu'est un sentiment ? Où il commence, où il finit, s'il finit jamais ? On l'éprouve, voilà tout. Ce sentiment est. Ne pas lui demander autre chose, ne pas l'interroger. Surtout ne pas le contrarier, laisser le sentiment vivre librement.
Je dois faire tant de choses qu'il y a des jours, du moins des heures, où je trouve préférable de ne rien faire du tout. Ce sont les moments où on sent le mieux la vie.
Aimez : l'amour vous met au cœur un peu de joie ; aimez, l'amour allège : aimez, car le bonheur est pétri dans l'amour comme un lys dans la neige !
On sait comment on aime, on ne sait jamais comment on est aimé.
Je passe pour insensible et dur, et j'aime qu'on le croie. J'ai tellement voulu refréner, et dominer ma sensibilité, que j'y suis parvenu, quelquefois trop bien. D'autres fois, cela m'échappe.
De près, je traite un peu les personnes comme un tableau ou une statue, auxquels on n'a pas l'idée de confier le plaisir que leur présence vous donne.
Il y a des hommes n'ayant pour mission parmi les autres que de servir d'intermédiaires : on les franchit comme des ponts, et l'on va plus loin.
Je suis difficile à séduire. Mon premier mouvement est de rentrer dans ma coquille. Pourtant, malgré cet instinct, je me souviens fort bien que je fus frappé, en te voyant, la première fois, par l'absence de coquetterie, que j'ai en horreur et qui me glace.
Le naturel est très rare chez une femme, il faut y être préparé.
L'amour est toujours triste, parce qu'il est toujours passé quand on s'en aperçoit : se souvenir, c'est la vie même.
La petite fille n'attend pas de sa poupée une déclaration de tendresse. Elle l'aime, et voilà tout. C'est ainsi qu'il faut aimer.
L'esprit de contradiction fait de grands ravages dans les âmes orgueilleuses.
Qui veut faire pleurer doit pleurer le premier.
La maladie, la vieillesse, la mort, trois grandes humiliations pour l'homme.
Qui ne meurt pas une fois par jour ignore la vie.
Les gens, pour la plupart, sont des têtes dures. On doit s'estimer heureux d'y pouvoir enfoncer une idée, une seule idée. Et cette idée, encore, il faut la choisir très simple. Il faut de plus qu'elle flatte les préjugés de ceux auxquels on la destine.
Le contraire d'une erreur n'est pas nécessairement une vérité.
Les hommes sont très méchants, mais surtout très bêtes.
L'histoire est un vieux rideau que l'on tire sur le présent.
Le fidèle qui croit aller au ciel ne va nulle part, cela est bien certain, puisque les morts sont morts. Et que l'on en fasse, dans la suite, un saint, ou que l'on croie à sa damnation, ce sont des décisions ou des opinions sans aucune importance pour lui, puisqu'il n'est plus.
Devenir un grand homme, ou rien du tout, quand on est mort, qu'importe !
Tous les jours je me dis que je vais devenir optimiste et accepter joyeusement les coups du destin.
Il y a des jours où je voudrais réformer le monde, j'ai quelquefois des besoins de logique.
Le monde est bête ; cependant il faut lui plaire ; il faut donc, pour lui plaire, dire des bêtises : disons des bêtises.
Deux amants s'adorent, ils se mêlent, ils rient, pleurent, ou crient ensemble, mais ils ne se comprennent pas. Des sensibilités ne sont pas faites pour se comprendre, mais pour se sentir.
Le soupçon est plus tragique que le fait ; en s'affirmant, le fait se réalise, aboutit, achève son évolution ; le soupçon est une fleur qui reste toujours demi-ouverte et qui, destinée à ne jamais devenir une vraie fleur, ne deviendra non plus jamais la fleur morte, abolie, éparpillée dans les sentiers.
Il faut savoir composer avec la logique. Il n'est de vraie logique générale, d'ailleurs, que celle qui tient compte de toutes les logiques particulières.
L'essence de l'Art est la liberté. L'Art ne peut admettre aucun code ni même se soumettre à l'obligatoire expression du Beau. L'Art est libre de toute la liberté de la conscience ; il est son propre juge et son propre esthète ; il est personnel et individuel, comme l'âme, comme l'esprit.
Il n'y a plus besoin de bûchers pour les mauvais livres, les flammes de la cheminée suffisent.
La sincérité, comme un diamant, a plus d'une facette.
On se tire de toutes les difficultés au moyen d'un sourire, et parfois d'une grimace.
Tout n'est que grimace dans une figure, même une jolie figure de femme. Le rire est une grimace.
Malheur à celui qui est seul ; quand il tombe, il n'a personne pour le relever.
Une femme de caractère trouve toujours moyen de se débarrasser d'un mari jaloux.
Les vacances de l'amour ne vont pas sans quelque mélancolie.
La fête, c'est un dimanche un peu plus animé, voilà, tout.
L'espéranto, c'est à dégoûter de tous langages, c'est à rendre muet !
Perdre son temps à des riens, telle est la devise des hommes.
Tout s'arrange très bien avec de l'amitié et de la confiance.
La santé insulte à la maladie, comme la richesse insulte à la pauvreté.
Le soupir annonce la tempête comme un vol précipité d'oiseau.
L'amour n'est grand que dans l'inconscience de sa grandeur.
Une pensée n'est guère autre chose qu'une fleur desséchée, mais l'homme a péri et la fleur reste couchée dans son herbier. Ce n'est plus que le témoin d'une vie disparue, d'une sensibilité abolie.
Les amantes platoniques sont toujours un peu méprisables.
Le Sourire est un dieu charmant, un Dieu charmeur. Ah ! chère, il t'aime, il vient à toi, en roi. Il installe son charme et sa grâce en ton cœur : Il adore tes lèvres, tes yeux, tes dents, ta voix.
Le Sourire est un dieu charmant, mais si léger qu'il ne pèse pas plus qu'un oiseau sur la branche : Il voltige et s'envole, il déjoue les aguets ; quand on croit le tenir, il a fui comme un charme ; pas plus qu'une hirondelle on ne le prend au piège, et s'il était captif, il mourrait dans sa cage.
Tu me déplais avec ta face noire et borgne, je t'aimerais mieux aveugle.
Les trois quarts des divorces actuels ont pour mobiles la basse recherche des plaisirs sûrs, la peur d'une souffrance, la lâcheté, en un mot. Des facilités plus grandes pour divorcer y ajouteraient le goût du dévergondage, le plaisir du changement, le caprice.
Jadis, je partais après déjeuner à la chasse au bonheur. Je ne l'ai jamais rencontré et cela ne me décourageait pas, car j'avais vu son ombre passer et cela avait suffi pour me tendre les nerfs et me remuer le cœur. Quel jour me suis-je découragé, quel jour d'amertume et de désolation ? Ah ! je me souviens. Ce jour-là le grand oiseau m'avait frôlé la joue, et j'avais saisi son aile errante : une plume m'en resta aux doigts. C'est avec cela que j'écris quand je ne contemple pas les mouvements de mon chat et les joies que lui donnent les moineaux. Mais je la cache. Il ne faut pas qu'il apprenne que l'on peut parfois arracher une plume aux ailes du bonheur, une plume vaine, une plume morte et qui n'est bonne qu'à écrire l'histoire des rêves dont on a vu passer l'ombre ou les ailes au-dessus de la vie.
Tous les jours, après déjeuner, mon chat commence, comme un héros de Stendhal, sa chasse au bonheur. On a jeté du grain ou émietté du pain sur une corniche, vers laquelle trois fenêtres convergent et le voilà occupé à aller de l'une à l'autre au guet des moineaux. Il n'en a jamais pris un seul, jamais, parce que, de ces trois fenêtres, l'une est grillée et les autres toujours fermées. Cela ne le décourage pas et son émotion est toujours pareille, lorsqu'il aperçoit, à travers la vitre, ou à travers le lacis de fil de fer, l'oiseau de ses rêves. Il se tapit, puis il se dresse, les pattes crispées, un petit cri de concupiscence sort de sa gorge, toute sa fourrure frissonne. Quand les oiseaux s'envolent, il les suit des yeux, il court à la seconde fenêtre, à la troisième : il n'a pas un moment de répit. Enfin, lassé, non d'avoir en vain poursuivi son désir, mais d'avoir tant couru, il se pose sur un fauteuil, les pattes sous le ventre, la tête dans le cou et il s'endort.
C'est pour avoir voulu concilier l'amour et le mariage qu'on aboutit si souvent au mariage malheureux, au mariage dont la solution la moins tragique est encore le divorce. L'amour est passager, mais le mariage se présente sous des aspects d'éternité.
Il n'y a point d'abîme entre l'homme et l'animal, les deux domaines sont séparés par un tout petit ruisseau qu'enjamberait un enfant. Nous sommes des animaux ; nous vivons des animaux et des animaux vivent de nous. Nous sommes parasités et nous sommes parasites. Nous sommes prédateurs et nous sommes la proie vivante des prédateurs. Et quand nous faisons l'amour, c'est bien, selon l'expression des théologiens, more bestiarum. L'amour est profondément animal, c'est sa beauté.
Un livre sur l'amour est un livre d'aveux. C'est une confession psychologique et un rapport médical. Et ceci me semble d'autant plus véridique que l'on n'écrit jamais sur l'amour en état de santé parfaite. Il faut pour cela être malade de corps ou de sentiment, éprouver des troubles physiques ou psychologiques. Un homme parfaitement sain, jeune, fort et joyeux, fait l'amour et n'écrit pas sur l'amour.
Toute atteinte à la liberté de l'amour est une protection accordée au vice. Quand on barre un fleuve, il déborde ; quand on comprime une passion, elle déraille.
L'amour est un choix perpétuel. Il exige une liberté perpétuelle, car, sans liberté, il n'y a pas de choix. Il faut pouvoir s'en aller à tout instant.
On peut s'embrasser sans s'aimer ; les soldats se battent bien sans se haïr.
Le bonheur, c'est du plaisir à deux.
La beauté est une femme, et la femme est la beauté.
Dans le duel du chêne et du vent, c'est le roseau qui est balayé.
En amour le contraire de ce qui est vrai est vrai aussi.
Pour plaire, il faut prendre ce qui plaît à celles qui plaisent.
Il faut, en état de déréliction, regarder autour de soi : d'autres douleurs s'exhalent, et cela console.
En province les proverbes, cette archéologie grammaticale, sont encore monnaie courante de conversation : cela permet de ne rien dire du tout en ayant l'air de dire beaucoup.