Les 140 pensées et citations de Rémy de Gourmont :
Des gens ont besoin de beaucoup pour retenir un peu ; à moi, il me suffit d'un peu pour retenir beaucoup.
Mon bonheur à moi, c'est de lire en toi le divin poème que tu es.
En amitié comme en amour, sait-on jamais ce qu'est un sentiment ? Où il commence, où il finit, s'il finit jamais ? On l'éprouve, voilà tout. Ce sentiment est. Ne pas lui demander autre chose, ne pas l'interroger. Surtout ne pas le contrarier, laisser le sentiment vivre librement.
Je dois faire tant de choses qu'il y a des jours, du moins des heures, où je trouve préférable de ne rien faire du tout. Ce sont les moments où on sent le mieux la vie.
Aimez : l'amour vous met au cœur un peu de joie ; aimez, l'amour allège : aimez, car le bonheur est pétri dans l'amour comme un lys dans la neige !
On sait comment on aime, on ne sait jamais comment on est aimé.
Je passe pour insensible et dur, et j'aime qu'on le croie. J'ai tellement voulu refréner, et dominer ma sensibilité, que j'y suis parvenu, quelquefois trop bien. D'autres fois, cela m'échappe.
De près, je traite un peu les personnes comme un tableau ou une statue, auxquels on n'a pas l'idée de confier le plaisir que leur présence vous donne.
Il y a des hommes n'ayant pour mission parmi les autres que de servir d'intermédiaires : on les franchit comme des ponts, et l'on va plus loin.
Je suis difficile à séduire. Mon premier mouvement est de rentrer dans ma coquille. Pourtant, malgré cet instinct, je me souviens fort bien que je fus frappé, en te voyant, la première fois, par l'absence de coquetterie, que j'ai en horreur et qui me glace.
Le naturel est très rare chez une femme, il faut y être préparé.
L'amour est toujours triste, parce qu'il est toujours passé quand on s'en aperçoit : se souvenir, c'est la vie même.
La petite fille n'attend pas de sa poupée une déclaration de tendresse. Elle l'aime, et voilà tout. C'est ainsi qu'il faut aimer.
La maladie, la vieillesse, la mort, trois grandes humiliations pour l'homme.
Tout s'arrange très bien avec de l'amitié et de la confiance.
Le Sourire est un dieu charmant, un Dieu charmeur. Ah ! chère, il t'aime, il vient à toi, en roi. Il installe son charme et sa grâce en ton cœur : Il adore tes lèvres, tes yeux, tes dents, ta voix.
Le Sourire est un dieu charmant, mais si léger qu'il ne pèse pas plus qu'un oiseau sur la branche : Il voltige et s'envole, il déjoue les aguets ; quand on croit le tenir, il a fui comme un charme ; pas plus qu'une hirondelle on ne le prend au piège, et s'il était captif, il mourrait dans sa cage.
Tu me déplais avec ta face noire et borgne, je t'aimerais mieux aveugle.
Les trois quarts des divorces actuels ont pour mobiles la basse recherche des plaisirs sûrs, la peur d'une souffrance, la lâcheté, en un mot. Des facilités plus grandes pour divorcer y ajouteraient le goût du dévergondage, le plaisir du changement, le caprice.
Jadis, je partais après déjeuner à la chasse au bonheur. Je ne l'ai jamais rencontré et cela ne me décourageait pas, car j'avais vu son ombre passer et cela avait suffi pour me tendre les nerfs et me remuer le cœur. Quel jour me suis-je découragé, quel jour d'amertume et de désolation ? Ah ! je me souviens. Ce jour-là le grand oiseau m'avait frôlé la joue, et j'avais saisi son aile errante : une plume m'en resta aux doigts. C'est avec cela que j'écris quand je ne contemple pas les mouvements de mon chat et les joies que lui donnent les moineaux. Mais je la cache. Il ne faut pas qu'il apprenne que l'on peut parfois arracher une plume aux ailes du bonheur, une plume vaine, une plume morte et qui n'est bonne qu'à écrire l'histoire des rêves dont on a vu passer l'ombre ou les ailes au-dessus de la vie.
Tous les jours, après déjeuner, mon chat commence, comme un héros de Stendhal, sa chasse au bonheur. On a jeté du grain ou émietté du pain sur une corniche, vers laquelle trois fenêtres convergent et le voilà occupé à aller de l'une à l'autre au guet des moineaux. Il n'en a jamais pris un seul, jamais, parce que, de ces trois fenêtres, l'une est grillée et les autres toujours fermées. Cela ne le décourage pas et son émotion est toujours pareille, lorsqu'il aperçoit, à travers la vitre, ou à travers le lacis de fil de fer, l'oiseau de ses rêves. Il se tapit, puis il se dresse, les pattes crispées, un petit cri de concupiscence sort de sa gorge, toute sa fourrure frissonne. Quand les oiseaux s'envolent, il les suit des yeux, il court à la seconde fenêtre, à la troisième : il n'a pas un moment de répit. Enfin, lassé, non d'avoir en vain poursuivi son désir, mais d'avoir tant couru, il se pose sur un fauteuil, les pattes sous le ventre, la tête dans le cou et il s'endort.
C'est pour avoir voulu concilier l'amour et le mariage qu'on aboutit si souvent au mariage malheureux, au mariage dont la solution la moins tragique est encore le divorce. L'amour est passager, mais le mariage se présente sous des aspects d'éternité.
Il n'y a point d'abîme entre l'homme et l'animal, les deux domaines sont séparés par un tout petit ruisseau qu'enjamberait un enfant. Nous sommes des animaux ; nous vivons des animaux et des animaux vivent de nous. Nous sommes parasités et nous sommes parasites. Nous sommes prédateurs et nous sommes la proie vivante des prédateurs. Et quand nous faisons l'amour, c'est bien, selon l'expression des théologiens, more bestiarum. L'amour est profondément animal, c'est sa beauté.
Un livre sur l'amour est un livre d'aveux. C'est une confession psychologique et un rapport médical. Et ceci me semble d'autant plus véridique que l'on n'écrit jamais sur l'amour en état de santé parfaite. Il faut pour cela être malade de corps ou de sentiment, éprouver des troubles physiques ou psychologiques. Un homme parfaitement sain, jeune, fort et joyeux, fait l'amour et n'écrit pas sur l'amour.
Toute atteinte à la liberté de l'amour est une protection accordée au vice. Quand on barre un fleuve, il déborde ; quand on comprime une passion, elle déraille.
L'amour est un choix perpétuel. Il exige une liberté perpétuelle, car, sans liberté, il n'y a pas de choix. Il faut pouvoir s'en aller à tout instant.
On peut s'embrasser sans s'aimer ; les soldats se battent bien sans se haïr.
Le bonheur, c'est du plaisir à deux.
La beauté est une femme, et la femme est la beauté.
Dans le duel du chêne et du vent, c'est le roseau qui est balayé.
En amour le contraire de ce qui est vrai est vrai aussi.
Pour plaire, il faut prendre ce qui plaît à celles qui plaisent.
Il faut, en état de déréliction, regarder autour de soi : d'autres douleurs s'exhalent, et cela console.
En province les proverbes, cette archéologie grammaticale, sont encore monnaie courante de conversation : cela permet de ne rien dire du tout en ayant l'air de dire beaucoup.
Que celui qui veut parler avec moi apprenne ma langue.
Les hommes sont loquaces. Pourquoi parlent-ils, la plupart du temps ? Pour parler ! Ainsi chantent les oiseaux. Voyez un paon, c'est une bête calme, quoique vaniteuse. Elle exécute lentement son petit tour de l'éventail, replie ses plumes, paraît méditer, puis tout à coup s'élance en grinçant comme une barrière. Qui saura pourquoi ce paon soudain parle ? Et cet homme, pourquoi ?
Quand une femme s'endort la tête sur l'épaule de son amant, elle est toujours chaste.
Préférez toujours la finesse à la force, et la ruse à la violence.
Moi, je rêve si fortement, qu'il n'y a aucune lacune entre mes songes et ma vie.
Le savoir commence là où commence ce que le monde ignore.