Philosopher, c'est se comporter vis-à-vis de l'univers comme si rien n'allait de soi.
L'aventure déblaye en plein réel des oasis de ferveur et d'intensité ; elle redonne vie à l'instant picaresque, exalte le délicieux décousu de l'existence.
La béquille du Temps fait plus de besogne que la massue de fer d'Hercule.
Le devoir n'est pas une besogne, il est une obligation.
Il y avait une fois un pauvre fonctionnaire qui se rendait toujours à son bureau en suivant le même itinéraire. Un beau jour, en suivant cet itinéraire de la vie sérieuse, il rencontre un sourire de femme ; il fait un crochet, ne change pas à la station de métro où il aurait dû changer, ne tourne pas au coin de la rue où il est habitué à tourner. Son aventure ressemble à celle des atomes d'Épicure qui tombaient parallèlement dans le vide. Si ces atomes avaient continué à tomber d'une chute sempiternelle les uns à côté des autres, il ne serait jamais rien arrivé. Pour que quelque chose advienne en général, il a donc fallu qu'un atome fasse un caprice, veuille vivre sa vie et s'écarte des autres. Il a fallu une rencontre.
L'aventure est une petite vie à l'intérieur de la grande ; encastrée dans la grande vie ennuyeuse, terne et morne, qui est notre quotidienneté, l'aventure ressemble alors à une oasis de romanesque où les hommes, recherchant la haute température de la passion, se sentent pour la première fois exister : quittant leur vie de fantômes pour la délicieuse illégalité, ils connaîtront enfin la condensation passionnée d'un vrai devenir.
Le courage est la vertu de l'action et le pouvoir de faire face en allant au-devant du futur et en affrontant le péril ; il ne s'agit plus d'attendre qu'advienne l'avenir, mais de solliciter, précipiter, hâter, guider la futurition.
La fortune, comme les femmes, ne cède qu'à la jeunesse, qui est hardie et entreprenante, car la fortune est femme.
Il y a beaucoup d'hommes qui ressemblent à des femmes, et réciproquement.
La femme attend l'aventure, mais l'homme court les aventures.
Le serment d'amour est une promesse de futurition.
L'aventure amoureuse ressemble à l'œuvre d'art. Mais en un autre sens, l'amour pousse des racines profondes au centre de l'existence et l'intéresse tout entière d'une manière tellement essentielle que la vie peut en être de fond en comble transformée.
Don Juan, cet aventureux qui est presque un aventurier, fait le tour des féminités successives ; sa vie aventurière est un périple de beauté en beauté, chaque merveille refoulant dans le passé la merveille précédente. Le pluriel polygamique des bonnes fortunes empêche l'enracinement tragique de l'amour au centre de l'existence, contrarie la totalisation destinale de la passionnette, entretient en somme le caractère frivole de chaque aventure.
Un Don Juan, collectionneur de femmes, est comme un Ulysse de la séduction répétée.
L'homme qui n'a eu dans sa vie qu'une seule aventure est celui dont la maîtresse est devenue la femme ; l'île joyeuse s'est rattachée à un continent des plus sérieux.
L'aventure d'amour est un jeu sérieux. Nous savons bien comment une intrigue commence, mais nous ne savons pas trop comment elle continue, et encore moins comment elle finira... Dieu seul sait jusqu'où peut aller une aventure qui commence en madrigal !
La vie est l'ensemble des chances qui nous soustraient journellement à la mort.
Les anges sont condamnés, hélas ! à l'immortalité et meurent peut-être de ne pas mourir !
Un ange, étant incapable de mourir, ne peut courir d'aventures : il aurait beau descendre dans les entrailles du sol, explorer les profondeurs de l'océan, monter en fusée jusqu'à l'étoile polaire... Rien n'y fait ! l'être immortel, avec son invisible cotte de mailles, ne peut courir de dangers puisqu'il ne peut pas mourir.
Le danger n'est dangereux que dans la mesure où il implique un risque de mort.
La mort est le dangereux en tout danger, le mal en toute maladie.
L'aventureux qui a quitté volontairement sa famille et ses occupations se trouve pris, sur les pentes de l'Everest, dans une tourmente de neige. À partir de ce moment il regrette sans doute d'être parti, mais il est trop tard pour regretter et revenir sur ses pas : à partir de ce moment, il se bat pour son tout-ou-rien, il se bat pour sa peau. Ce qui est en jeu désormais c'est sa destinée et son existence même ; c'est, comme on dit, une question de vie ou de mort.
Le seul jeu vraiment ludique est le jeu avec le sérieux : car un jeu qui ne serait que joueur, et d'aucune manière ne taquinerait le sérieux, ce jeu battrait tous les records de l'ennui ; ce jeu serait plus ennuyeux que le sérieux. Supprimez l'un des deux contraires, jeu ou sérieux, et l'aventure cesse d'être aventureuse : si vous supprimez l'élément ludique, l'aventure devient une tragédie, et si vous supprimez le sérieux, l'aventure devient une partie de cartes, un passe-temps dérisoire et une aventure pour faire semblant.
L'homme brûle de faire ce qu'il redoute le plus.
La « futurité » du futur n'est rien d'autre que notre temporalité destinale, c'est-à-dire notre pesant destin fermé par la mort.
Le futur sera-t-il un jour de lumière ou un jour de ténèbres ? Nul ne sait, sauf Dieu.
Le futur sera-t-il un jour de fête ou un jour de deuil ? Nul ne sait, sauf Dieu.
L'amour est ouverture et générosité. Ouvrez les portes, on se serrera, on s'arrangera. Ouvre, mon âme, les ouvertures de ta demeure pour qu'elle s'emplisse d'allégresse.
Les gourmands de flatterie aiment à entendre autour d'eux la musique mélodieuse des louanges, et reniflent à pleines narines les vapeurs de l'encens.
Le hasard peut être notre auxiliaire et notre bonne chance comme il peut être une entrave : l'occasion est un hasard qui nous fait des offres de services et nous apporte des chances inédites.
L'occasion n'est pas seulement une faveur dont il faut savoir profiter : elle est encore quelque chose que notre libre arbitre recherche, déclenche, et, au besoin, suscite.
Le meilleur des mondes n'est que le moins mauvais.
Un cœur aimant aime toujours, même s'il ne se sent pas aimer.
La complaisance, c'est le plaisir avec un exposant.
Je ne sais pas ce que je suis et je ne suis pas ce que je sais.
L'avenir est ambigu parce qu'il est à la fois certain et incertain. Ce qui est certain, c'est que le futur sera, qu'un avenir adviendra ; mais quel il sera, voilà qui demeure enveloppé dans les brumes de l'incertitude.
Tout peut devenir occasion pour une conscience en verve capable de féconder le hasard.
L'occasion est une grâce qu'il faut parfois aider sournoisement.
Il est parfois humble d'accepter avec simplicité un éloge flatteur.
Pour dire qu'il faut se taire, il faut déjà faire un peu de bruit.
Mieux vaut être déçu que mourir de bonheur et d'ennui !
Le proverbe dit : on ne peut être et avoir été ; ou plutôt le proverbe se trompe, car justement on le peut : je suis celui qui a été ; je suis, moi qui fus ; mais je ne peux me redoubler dans le présent, exister « deux fois à la fois », et l'unicité de la personne répond sur ce point à la finesse aiguë du présent.
Je ne sais pas mais je devine que je vais avoir su.
L'amour qui revient sur soi en refermant le cercle est un morne raté de l'amour !
La violence est une force faible.
Le fascisme est l'ennemi héréditaire de toute pensée, quelle qu'elle soit.
Si Dieu n'avait pas créé les hommes impurs, l'homme trop pur crèverait de gâtisme.
L'universitaire juif, le professeur juif, l'intellectuel juif ont été les souffre-douleur privilégiés du cannibalisme fasciste. D'abord parce que sur les hommes faibles l'athlète imbécile, sanguinaire et terrifiant remporte les plus faciles victoires ; l'humiliation la plus divertissante est celle dont on abreuve l'homme sans muscles, l'homme tourmenté par des idées.
Plutôt que d'être heureux sans le savoir mieux vaut goûter des souffrances de la vie.
Un don sans amour ne vaut guère mieux qu'un refus, quand bien même il donnerait tous les diamants de l'Asie.