Élève de l'École Normale Supérieure en 1889, où il est reçu troisième à l'agrégation de philosophie en 1892, Alain est nommé professeur dans différents lycées, dont le lycée Henri IV en 1909 où il marqua plusieurs générations d'élèves parmi lesquels André Maurois et Simone Weil, qui voyaient en lui « l'homme » : surnom qu'on lui donna et qu'il accepta. Dès 1903, il a publié dans La Dépêche de Rouen et de Normandie des chroniques hebdomadaires qu'il intitulait « Propos du dimanche », puis « Propos du lundi », avant de passer à la forme du Propos quotidien. Plus de 3 000 de ces « Propos » paraîtront de février 1906 à septembre 1914.
Le 2 juin 1951 il meurt à l'âge de 83 ans à Le Vésinet dans les Yvelines, Alain repose au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
L'homme qui constate est un homme qui doute ; qui doute en action, c'est-à-dire qui explore.
Il est pénible de craindre et de haïr, car c'est vivre petitement et en esclave, c'est se savoir faible.
La sagesse vulgaire, qui simplifie tout, veut qu'un homme soit tout bon ou tout mauvais. Mais l’homme réel fait voir tout à fait autre chose. Méchant dès qu'il a peur, et bon à l'ordinaire. Scrupuleux au jeu, mais rusé et trompeur dans le commerce, ou bien tout au contraire. Paresseux aux actions faciles, diligent aux difficiles ; brutal un jour, et l'autre jour héroïque. Menteur jusqu'à l'impudence s'il s'y met ; franc jusqu'à l'imprudence en une autre occasion. Tel prendra dans votre bourse à qui pourtant vous pourriez confier votre bourse.
L'envieux ne s'aime pas lui-même, au contraire, il est triste en face de lui-même il voudrait être autre. Ambition exactement vaine, c'est-à-dire sans substance, sans pouvoir, sans espoir. Aussi l'envie est peut-être un désespoir.
J'ai appris à nommer égoïstes et tyrans ceux qui ne peuvent se supporter eux-mêmes, et que ronge l'envie, l'envie qui est la plus folle des passions.
L'homme qui sait vendre sait aussi persuader et aime persuader ; il est comme revêtu d'une naturelle politesse ; il montre de la patience dans la conversation ; mais c'est qu'aussi il s'y plaît.
On doit user d'un homme selon ce qu'il est, et de ne jamais reprocher au poirier de ne pas produire de prunes.
Retenez cette maxime : le geste gouverne l'humeur. Il est donc sage de rechercher toute occasion de politesse.
Sur le visage d'un homme méchant on peut y suivre une vieille rancune comme on y suivrait un accès de foie.
Haïr, quand ce serait haïr l'injuste ou le méchant, c'est toujours premièrement et profondément se retenir de vivre.
J'ai vu des scènes entre père et fils inavouables, toujours oubliées et pardonnées, toujours recommencées. Il y a une grande partie de l'éducation que la famille ne sait pas donner ; c'est le monde indifférent qui la donne, ou bien le maître d'école, qui n'est pas payé pour aimer.
Qui choisit d'aimer, il fait un grand et beau choix ; car il choisit de conduire ce qu'il aime à la plus haute perfection ; il faut vouloir l'autre libre et heureux, c'est-à-dire se développant selon sa nature, agissant et non subissant.
Il n'est rien de plus commun que de prendre pour sa propre pensée ce qu'on a dit d'abord sans y penser.
L'avarice, souvent mal comprise, parce qu'on la prend pour un vice propre à quelques-uns, au lieu qu'elle est, d'abord, une disposition à la prudence physiologique, et que l'âge la donne à tous. Un vieux mendiant est avare de sa vie et de ses mouvements. Il sera avare de richesses s'il a des richesses, et ennemi de toute dépense parce que toute dépense est dépense de vie.
Tous les arbres sont soumis à l'automne, mais chacun se colore selon sa nature ; ainsi les âges préparent tout homme pour une passion nouvelle, mais chacun la reçoit selon sa nature.
Le serment est le langage propre à l'amour véritable, et ce serait une sorte d'injure que de refuser le serment.
Le privilège de l'amour partagé est qu'il éclaire la beauté. L'amour fait fête.
L'amour est riche de ce qu'il donne, généreux essentiellement ; non pas forcé. Qu'il soit approuvé par le plus haut de l'esprit, voilà sa condition.
Un des malheurs du jaloux est qu'il se rend haïssable, et qu'il le sait, et que ses résolutions n'y changent rien.
La jalousie peut se montrer, et se montre souvent, sans que l'on ait de rival, avant qu'on le connaisse, avant même qu'on soupçonne qu'il est. C'est parce que l'on est jaloux d'abord que l'on trouve le rival, et que souvent on l'invente.
La beauté est une énigme si on la prend comme un bien étranger et que l'on voudrait conquérir. Heureux celui qui la voit fleurir !
Si l'on juge trop lourde la charge d'admirer, on peut trouver une sorte de soulagement à mépriser.
Nous nommons pressentiments les pensées que nous admirons après coup ; et nous les admirons parce qu'elles se sont trouvées vérifiées.
S'efforcer de ne pas penser à quelqu'un c'est y penser encore ; c'est graver en soi-même la pensée que l'on s'interdit d'avoir.
La grande nuit de Noël nous invite à adorer l'enfance ; l'enfance en elle et l'enfance en nous.
La mère n'attend pas que l'enfant mérite, elle ose espérer ; et oser espérer de quelqu'un, c'est aimer.
L'homme est variable, secret, incertain pour l'homme. Je n'attends rien de bon que de son bon vouloir.
Il est périlleux de raisonner sur ce qui est, au lieu d'y aller voir.
Le fanatisme redevient un fait humain de première importance devant qui les problèmes de la justice, de la sagesse, et de l'humaine destinée ne pèsent plus rien.
Rien n'est plus dangereux qu'une idée, quand on n'a qu'une idée.
L'homme est médiocre dès qu'il se croit, dès que sa propre importance le comble, dès qu'il n'est plus rien hors de ce qu'il fait.
Comprendre c'est toujours dépasser ; le temps nous y aide, mais il faut aider aussi le temps.
Le bonheur de la vie c'est apprendre, et l'on apprend toujours. Plus on sait, et plus on est capable d'apprendre. D'où le plaisir d'être latiniste, qui n'a point de fin, mais qui plutôt s'augmente par le progrès.
Faire et non pas subir, tel est le fond de l'agréable.
L'homme qui ne fait rien n'aime rien. Apportez-lui des bonheurs tout faits, il détourne la tête. Le difficile est ce qui plaît. Toutes les fois qu'il y a quelque obstacle sur la route, cela fouette le sang et ravive le feu. Qui voudrait d'une couronne olympique si on la gagnait sans peine ? Personne n'en voudrait.
Le bonheur suppose toujours quelque inquiétude, quelque passion, une pointe de douleur qui nous éveille à nous-même. Il est ordinaire que l'on ait plus de bonheur par l'imagination que par les biens réels. Cela vient de ce que, lorsque l'on a les biens réels, on croit que tout est dit, et l'on s'assied au lieu de courir.
L'égoïste manque à sa destinée par une erreur de jugement. Il ne veut avancer un doigt que s'il aperçoit un beau plaisir à prendre ; mais dans ce calcul les vrais plaisirs sont toujours oubliés, car les vrais plaisirs veulent d'abord peine.
Les plaisirs de l’amour font oublier l’amour du plaisir.
Il n'y a de redoutable au monde que l'homme qui s'ennuie.
Nous nous donnons bien du mal pour fabriquer nos regrets et nos craintes.
Toute l'enfance se passe à oublier l'enfant qu'on était la veille.
Dans tout contrat et dans tout échange, mets-toi à la place de l'autre, mais avec tout ce que tu sais, et, te supposant aussi libre des nécessités qu'un homme peut l'être, vois si, à sa place, tu approuverais cet échange ou ce contrat.
L'esprit juste est celui qui ne met point trop d'importance aux petites choses ni aux petits malheurs, ni aux flatteries, ni au tumulte humain, ni à la plainte, ni même au mépris, ce que l'esprit droit ne sait pas toujours faire.
La vie est toujours triste, si chacun attend le bonheur comme quelque chose qui lui est dû.
Ce qu'on appelle la première impression, c'est souvent une somme de préjugés.
Qui n'arrive pas à aimer ses ennemis est celui qui attend un mouvement d'amitié ou de compassion.
Il faut s'appliquer à se consoler, au lieu de se jeter au malheur comme au gouffre. Et ceux qui s'y appliqueront de bonne foi seront bien plus vite consolés qu'ils ne pensent.
Le travail a des exigences étonnantes, et que l'on ne comprend jamais assez. Il ne souffre point que l'esprit considère des fins lointaines ; il veut toute l'attention. Le faucheur ne regarde pas au bout du champ.
On demande pourquoi la facilité ne plaît pas ; c'est qu'elle persuade trop ; et, surtout, c'est qu'elle ne persuade que la partie souple. Il est trop ordinaire que le comprendre ne change rien à l'homme, et n'y remue rien.
Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit.
Quand on se demande ce qu'on va faire, sans y mettre du sien : c'est l'état des fous.
Le bonheur est une récompense qui vient à ceux qui ne l'ont pas cherchée.
Ce n'est pas grand-chose d'avoir des idées, le tout est de les appliquer, c'est-à-dire de penser par elles les dernières différences.
Voir, c'est vouloir voir ; vivre, c'est vouloir vivre : toute vie est un chant d'allégresse.
Qu'est-ce qu'un poème, sinon l'insoutenable soutenu ?
Les vrais problèmes sont d'abord amers à goûter ; le plaisir viendra à ceux qui auront vaincu l'amertume.
Il n'y a de bonheur possible pour personne sans le soutien du courage.
Un travail réglé et des victoires après des victoires, voilà la formule du bonheur.
Pour être libre par rapport à l'argent, il faut n'en point désirer au-delà du nécessaire.
Le génie, c'est l'action aisée, sans délibération, sans erreur et imprévisible.