Souvent une nuance imperceptible dans leurs caractères sépare deux hommes beaucoup plus que des différences radicales.
Il en est de la vieillesse comme d'un reste de vin oublié au fond de la bouteille : l'un et l'autre tournent facilement à l'aigre.
Ce qui créera une éternelle inégalité sur la terre entre le plaisir et la douleur, c'est qu'une heure de plaisir s'enfuit comme une seconde, et qu'une seconde de douleur se traîne comme une heure.
Le mariage est une institution qui fait trop souvent deux victimes : le mari et l'amant.
Certaines qualités sont l'apanage d'un si petit nombre d'hommes qu'en mettant ces rares élus en conflit de chaque instant avec l'immense majorité qui ne les possède pas, elles finissent par leur nuire plus que des défauts.
Il n'est pas de si grande douleur dont ne puissent consoler une âme sœur.
Interrogez tous les écrivains : il n'en est pas un qui n'admette hautement l'utilité de la critique, et qui, dit-il, ne l'appelle de tous ses vœux. Malheureusement à l'application, aucun — ou à-peu-près — ne consentira à reconnaître dans autrui les qualités de jugement et de tact nécessaires pour exercer un contrôle salutaire.
La femme pardonnera cent fois plus aisément à un homme une critique, même vive, à son adresse, que l'éloge le plus insignifiant donné à une rivale.
Le double malheur des natures fines est de trop comprendre les autres et d'en être trop peu comprises elles-mêmes.
Le principal inconvénient des importuns, c'est qu'ils ne laissent souvent à l'homme le mieux élevé, pour se défaire d'eux, que la ressource d'une flagrante impolitesse.
Enterrez-vous les uns les autres : C'est encore la devise qui résume le mieux la vie.
Une femme qui, livrée à elle-même, s'arrêterait peut-être à temps avant de commettre une faute, est perdue si elle se croit assez sûre d'une autre femme pour lui confier ses hésitations.
Se connaître, c'est se repentir.
Rien de plus funeste que le décousu dans la vie. A de brusques soubresauts entre d'excellentes et de détestables résolutions, il faut préférer encore la suite dans une certaine médiocrité d'esprit de conduite.
Jusqu'à quarante ans on vit par plaisir ; de quarante à soixante ans, par curiosité ; de soixante à soixante-dix, par habitude.
Si les femmes qui ont la manie de cacher leur âge savaient que tout ce qu'elles y gagnent c'est de se faire attribuer cinq à six ans de plus qu'elles ne comptent en réalité, comme elles renonceraient à ce jeu !
Si vous avez deux observations, même des plus fondées, à adresser à un subalterne, ne les lui faites pas à la fois. Gardez-en une pour le lendemain, quand la légère blessure d'amour-propre causée par la première sera guérie.
Si dans le cours de votre vie vous avez été bien connu et compris par un seul homme, tenez-vous pour satisfait.
On dit qu'à Paris il y a beaucoup de femmes à prendre. Il y en a encore plus à laisser.
De par l'incohérence des rêves, l'homme le plus sain d'esprit est fou pendant la durée de son sommeil, c'est-à-dire à peu près pendant le tiers de sa vie.
Combien de gens qui se croient modestes, et qui ne sont que timides !
De ces deux contraires, vanité et modestie, le premier est peut-être encore celui qui offre le moins d'inconvénients. Comme les autres ne sont que trop portés à rabattre de vos mérites, le vaniteux qui se grandit est vite réduit à sa vraie taille. Le modeste qui se diminue est toujours cru sur parole.
Avez-vous remarqué, lorsque vous voyagez en train, que les compagnons de route les plus agréables descendent toujours à la première station, tandis que les importuns vous suivent jusqu'à la fin de votre course ? C'est là une parfaite image du plaisir et de la douleur, ces deux compagnons de route de l'homme dans son voyage sur la terre.
A tout prendre, il y a encore plus de tristesse réelle à évoquer le souvenir des jours de bonheur passés que celui des jours d'adversité. Les premiers laissent le sentiment amer de joies qui ne peuvent être ressaisies. Les autres vous donnent, au contraire, l'impression de soulagement d'un mauvais passage franchi pour toujours.
De son fils une mère seule peut tout savoir, parce que seule une mère peut tout pardonner.
La grande prétention des viveurs, de tous ceux qui jettent l'argent par les fenêtres, est de connaître la vie à fond mieux que personne. Rien de plus faux. La clef d'or ouvre bien les portes des salons et des alcôves, mais le cœur humain lui reste fermé.
Le renom de bien des grands hommes est fait, plus souvent qu'on ne croit, d'emprunts au bagage ignoré des petits.
L'homme dans la traversée de la vie est semblable à un voyageur en mer. Tant qu'il n'est pas trop éloigné du point de départ, que les frais souvenirs de l'enfance sont encore bien présents à sa mémoire, qu'il se voit entouré des personnes aimées qui ont souri à sa naissance, il fait bonne contenance. Mais à mesure qu'il avance en âge, que les douces figures familières lui ont dit adieu pour toujours, alors, pareil au voyageur en mer qui a perdu de vue la rive, qui n'aperçoit plus sur sa tête que le ciel, sous ses pieds que l'abîme, et autour de lui que des passagers indifférents, alors, le voyageur de la vie sent une angoisse poignante étreindre son cœur.
Ce qui tue l'homme plus sûrement encore que les excès dans la satisfaction de ses passions, c'est le sentiment de son impuissance à les assouvir entièrement.
L'homme, quelque esclave qu'il soit d'une passion, aime à se persuader jusqu'à la fin qu'il peut encore la régler. Un buveur endurci, devant un de ces flacons gradués, usités dans les cafés, où l'on peut suivre sur le cristal la quantité de liqueur que l'on boit, ne manque jamais, à chaque rasade, d'examiner attentivement la marque, bien décidé qu'il est à ne pas dépasser un certain point. Et pourtant aucune force humaine ne l'empêchera de vider le flacon jusqu'à la dernière goutte.
L'évocation du passé, presque chez nous tous, c'est une blessure qui se rouvre.
Pour l'agrément d'une réunion bien réglée, un sot authentique est aussi nécessaire qu'un homme d'élite. Entre ces deux points extrêmes, les esprits moyens marquent plus nettement leur niveau, comme entre le zéro et le cent d'un thermomètre.
Une perfidie où surtout la femme excelle, consiste à glisser, au milieu d'éloges, le trait méchant qu'elle veut décocher, comme un adroit filou fait passer plus sûrement une pièce fausse en la mêlant à d'autres de bon aloi.
Le savoir-faire, c'est le levier avec lequel un homme faible peut soulever des millions d'hommes forts.
Qu'il entre une seule Parisienne au ciel, et je parie qu'elle ne met pas huit jours à obtenir de Dieu une amnistie générale pour l'enfer.
En vieillissant on arrive à douter de tout, même de son orthographe.
On compare souvent la femme à la chatte, mais bien à tort. La chatte égratigne, mord la main qui la caresse, et s'enfuit, la petite bête ! Au contraire, la femme s'agenouille et soigne la blessure. C'est bien plus fort.
Entre deux femmes qui se valent un homme hésitera dans son choix ; mais entre deux hommes d'égale mérite une femme n'hésite jamais, elle les prend tous deux.
Il en est de l'amour comme du potage : les premières cuillerées sont toujours trop chaudes, les dernières trop froides.
C'est une enseigne souvent menteuse que le visage de la femme. Que de femmes commencent en camée et finissent en bâton !
Il est un jour bien triste dans la vie, celui où l'on s'aperçoit que tout ce que nous poursuivons, gloire, honneur, amour, ne vaut pas un bon cigare. Mais il en est un plus triste encore, celui où l'on arrive à trouver que le meilleur cigare lui-même ne vaut rien.
Il y a des hommes de beaucoup de talent qui manqueront toujours de la mise de fonds préalable des cinq ou six premiers admirateurs influents qu'il faut à Paris pour lancer une réputation.
Il est certes très bon de mêler de la poésie aux réalités de la vie, mais à la même dose où le gourmet jette du sucre dans son café : assez pour en corriger l'amertume, pas assez pour en dénaturer le goût.
Messieurs, ne vous flattez jamais d'avoir prévenu la trahison de votre maîtresse.
Chez beaucoup de femmes, dominées d'abord par les sens et les nerfs, le « cœur » est un fruit tardif de l'automne : il n'y a guère de vraiment aimantes que celles que nous ne pouvons plus guère aimer.
L'argent est rond, il est fait pour rouler, dit le proverbe. L'argent est plat, il est fait pour être empilé, dit l'avare. C'est ainsi que nos passions sont ingénieuses à trouver des arguments pour leurs besoins !
Le tact, c'est la grâce des hommes.
Il en est des consciences comme des estomacs : les unes se soulèvent plus ou moins facilement que les autres.
A Paris, où tout le monde se serre la main, il y a des abîmes entre la tendre le premier à quelqu'un, se la laisser tendre par lui, ou l'avancer en même temps.
Certains hommes sont voués si fatalement à l'obscurité que tous leurs efforts désespérés pour sortir de l'oubli ne servent qu'à les y enfoncer plus profondément, comme ceux d'un malheureux qui s'agite au milieu de sables mouvants.
Il est encore plus facile à un sot de cacher sa sottise qu'à un homme d'esprit de s'abstenir dans certains cas de ne pas faire montre, mal à propos, de son esprit.
La modestie de la plupart des gens qui se disent modestes consiste à douter non de leur mérite, mais de l'aptitude des autres à l'apprécier.
Pauvre, ne maudis pas le riche qui passe devant toi sans te faire l'aumône. Qui te dit qu'il ne vient pas de vider sa bourse entre les mains d'un autre mendiant ?
Il y a deux biens réels en ce monde : dans l'ordre physique, la santé ; dans l'ordre moral, la liberté. Le reste est vain.
Le malheur ici-bas, c'est qu'un trop grand nombre d'hommes ne trouvent leurs plus vives jouissances que dans la haine.
La coquetterie, que l'on reproche tant à la femme, joue pourtant sur son cœur le rôle salutaire du vent, qui agite constamment la surface de l'eau, l'empêche en hiver de se prendre. La coquetterie sauve chaque jour autant de femmes que l'ingénuité, cette fausse vertu, en perd.
L'amitié, qui devrait être la mise en commun de deux dévouements, n'est trop souvent que le point de conjonction de deux égoïsmes.
L'eau-de-vie éteint l'ange …. Et allume la bête.
Ce qui manque généralement à la femme, c'est le sentiment intermédiaire entre l'amour et la haine. Elle ne connaît pas cette arme de l'homme fort, l'indifférence.
Le secret du bonheur de certaines existences engourdies est dans leur monotonie même. L'ennui joue dans la vie le rôle du chloroforme qui endort la douleur pendant une opération.
Une marque infaillible d'un petit esprit est de ne pas savoir supporter un seul instant la solitude. Le sot se rend justice en comprenant qu'il ne peut se suffire à lui-même.
A dix ans la femme aime sa poupée ; à seize ans, la toilette et le bal ; à vingt ans, son mari ; et à trente ans, souvent un ami de son mari.
Le plus grand malheur qui puisse arriver à un homme, c'est de penser et de sentir trop juste. Froissé à chaque instant dans sa délicatesse, il ressemble à un imprudent qui se serait hasardé sans souliers dans une foule.
Nous ne saurons jamais, pauvres hommes que nous sommes, ce qu'une femme peut faire entrer de convoitises, d'angoisses, de jalousies, de haines, dans ces deux mots si simples, qu'elle prononce si souvent : une toilette.
L'homme qui épouse une femme laide ressemble à un accusé qui renoncerait au bénéfice des circonstances atténuantes.
Une grande femme, c'est un poème ; une petite femme, c'est un sonnet. Beaucoup aiment mieux le sonnet, c'est le poème des paresseux.
On accuse souvent la langue française de pauvreté. Et pourtant on trouverait, dans un dictionnaire, assez de mots complètement délaissés pour former à eux seuls une langue, que je défie aucun Français de comprendre.
A côté d'un autre défaut, quel qu'il soit, la sottise joue le rôle du zéro en numération : elle le fait paraître dix fois plus grand.
Sénèque, un philosophe latin, écrivait un traité « Du mépris des richesses » sur une table d'or. De même de belles maximes de continence et de vertu qui font notre admiration ont été écrites sur les genoux d'une courtisane.
Ce qu'une femme laisse voir de sa jambe, en descendant de voiture, révèle ce que vaut cette femme, non seulement au physique, mais encore au moral.
Si vous êtes malheureux, ne vous en prenez pas aux hommes, accusez la vie.
Le malheureux qui cherche une première fois l'oubli d'un chagrin dans la boisson est un homme perdu. Le chagrin passe, l'ivrognerie reste.
Un mauvais argument, lancé avec aplomb, produit souvent plus d'effet que la meilleure des bonnes raisons, avancée timidement.
Quoi qu'en aient pu dire les médisants, le nombre des femmes qui jettent en passant des regards furtifs aux glaces des magasins, ou même s'arrêtent à s'y regarder quelques instants, n'est pas beaucoup plus grand à Paris que celui des hommes. Mais leur mobile n'est pas le même. La femme demande aux glaces des rues des consultations sur sa beauté, l'homme sur sa santé.
Quand, dans une discussion conjugale, une femme menace son mari de prendre un amant …. C’est déjà fait !
L'homme le plus fort, le plus persévérant, n'arrive pas dans le cours de sa vie à accomplir la millième partie de ce qu'il veut. Jugez par là des autres, les faibles et les irrésolus !
On assure que les époux modernes s'arrangent de façon à limiter leur progéniture. Encore un peu, et la somme d'enfants que les fiancés conviendront de s'apporter en mariage sera soigneusement stipulée dans le contrat, — au passif.
Certains hommes se déshabituent si bien d'avoir des opinions à eux, qu'ils finissent par ne plus oser avoir chaud ou froid avant d'avoir consulté le thermomètre.
Tout ce qui est spirituel a été écrit mille fois, mais paraît toujours nouveau, la plupart des hommes ne retenant de leurs lectures que les sottises.
Les beaux esprits se rencontrent, dans une sottise, oui plus d'une fois.
Un goujat peut faire jaillir des saillies charmantes chez un homme d'esprit avec lequel il cause, exactement comme un pourceau déterre des truffes.
Jusque dans une conversation avec un sot on reconnaît un homme d'esprit, non plus aux choses brillantes qu'il dit, mais aux sottises qu'il fait éviter à l'autre.
La femme Anglaise, c'est du thé ; l'Allemande, de la bière ; la Française, du bordeaux. La Parisienne, c'est du champagne.
On s'habitue plus aisément aux défauts des gens qu'on aime qu'aux vertus mêmes de ceux qui vous sont antipathiques.
Un homme peut parvenir, quoi qu'on en dise, à bien connaître les femmes, mais comme Latude devait connaître les geôliers ... après trente-cinq ans de captivité.
La mort, l'éternité, l'immortalité de l'âme, diraient leur secret que le cœur de la femme garderait encore le sien.
Une fâcheuse inégalité dans la vie, c'est qu'un homme indifférent depuis longtemps à tout plaisir n'en reste pas moins tributaire de la douleur.
Comme des vins, il faut se méfier des hommes politiques trop chargés en couleur : la plupart du temps ils ne sont si colorés que parce qu'ils sont teints.
Comment tout l'esprit du monde ne préserve-t-il pas certains hommes de la vanité, qui en est toute la sottise ?
L'heure est longue, les années sont rapides.
Le souvenir, en descendant au fond de notre passé, ressemble à ces malfaiteurs qui violent des tombeaux, mais pour y trouver plus de cendres que de bijoux et de pierres précieuses.
La femme honnête s'habille pour son mari, la femme galante pour un amant ou une rivale contre laquelle elle est en lutte. La femme distinguée s'habille pour elle-même.
On dit souvent que la vie est une comédie. Je le veux bien, quoiqu'elle tourne plus d'une fois au drame. Mais enfin, drame ou comédie, le malheur, c'est qu'on nous enrôle dans la troupe sans nous consulter et sans s'inquiéter d'avance de savoir si nous avons, oui ou non, la vocation.
Ce qui me choque le plus dans la femme de lettres, ce sont moins ses bas bleus, — le bleu est une si jolie couleur ! — que les taches d'encre noircissant ses doigts roses.
Le vaniteux accommode son défaut à toutes les situations : riche il met son amour-propre à exagérer sa richesse ; devenu pauvre, il le met plus furieusement peut-être encore à exagérer sa misère.
Un crime encore plus grand que de voler le bagage littéraire d'un mort, c'est d'y ajouter, en lui prêtant des pensées ou des mots qui n'ont jamais été de lui.
C'est toujours un grand avantage pour un journaliste ou un littérateur que d'avoir une excellente mémoire. S'il est honnête, elle lui sert à éviter dans ses écrits les réminiscences de ses lectures ; s'il ne l'est pas, elle lui est plus utile encore, pour ses emprunts aux autres.
Prenez une demi-douzaine de journalistes, ou de boursiers, ou d'épiciers réunis en partie de plaisir. Ils commenceront par faire le serment solennel de ne pas dire un mot relatif à leur profession, et iront même jusqu'à proposer une amende pour celui qui enfreindra la consigne. Ce qui ne les empêchera pas, moins de cinq minutes après, de retomber, par une pente invincible, à leur épicerie, à leur Bourse, à leur journal. Un sujet de conversation — un seul — a pourtant le privilège d'arracher les hommes aux préoccupations du métier. Ce sujet, ai-je besoin de dire que c'est la femme ?
Les gens minutieux, qui font chaque jour la même chose exactement à la même heure, avec la régularité d'un chronomètre, ont peut-être trouvé le moyen le plus sûr d'allonger la vie. Une minute paraît bien longue, lorsqu'on la regarde s'écouler montre en main.
Quand je vois une jeune fille coquette, très entourée et à qui tout le monde fait la cour, trouver si difficilement un mari, je ne puis m'empêcher de penser au vin de Champagne, dont on boit avec grand plaisir un verre de temps à autre, mais dont personne ne voudrait pour son ordinaire.
L'arrogance qui nous choque tant chez certains hommes n'est souvent qu'un masque d'emprunt dont ils se servent pour cacher une excessive timidité.
Chaque fois que nous faisons une nouvelle connaissance, nous sommes tout de suite choqués par les contrastes de son caractère avec le nôtre, impression qui se traduit le plus souvent par ces mots : Un fameux original ! — Et, bien entendu, l'autre pense exactement de nous la même chose. La vérité, c'est que nous sommes si habitués à nous-mêmes, à notre manière d'être, que la différence la plus insignifiante prend à nos yeux, chez autrui, les proportions d'une monstruosité.
Entre l'instinct et la raison se laisse pressentir une faculté intermédiaire qu'aucun philosophe ni aucun moraliste n'a encore pu dégager. Le jour où ce je ne sais quoi sera fixé, on aura le secret de la femme.
A quelque hauteur qu'un homme soit parvenu à s'élever, il se trouve encore au-dessous de l'opinion.
Un grand avantage du théâtre sur le livre, c'est que de bons acteurs peuvent quelquefois, par la finesse de leur jeu, faire réussir une mauvaise pièce, chance de salut qui manque à un roman médiocre.
Une femme galante ressemble à une lettre de change en circulation plus elle est endossée, plus elle a de crédit.
Ne prenez pas votre maîtresse trop bas, elle peut devenir votre femme si facilement.
Les menus défauts d'un homme, en canalisant et soutirant ses humeurs, le préservent souvent d'un plus gros vice, comme les égouts préservent une ville du choléra.
Pour un homme qui n'est pas infatué de lui-même rien de plus ennuyeux que d'avoir trop souvent raison.
Les amis sont encore, quoi qu'on en puisse dire, la variété la moins désagréable connue des ennemis.
Les moralistes me semblent abuser un peu de l'ingratitude pour dénigrer l'espèce humaine. Après tout, autant d'ingrats supposent nécessairement autant de services rendus et autant d'hommes bienfaisants.
Les fréquents changements de la mode ne sont pas dus seulement au caprice ou à la tactique intéressée de quelques marchands. Il y a aussi cette raison que le mauvais goût de la majorité des femmes tue rapidement sur elles les modes qu'une élite de femmes élégantes s'épuise à créer.
Le plus grave inconvénient de l'inexactitude n'est pas dans la perte de temps que nous infligeons aux personnes que nous faisons attendre, mais bien dans le témoignage du peu d'estime en laquelle nous paraissons les tenir.
La vie est une comédie ; mais c'est lorsque nous commencerions seulement à la bien jouer qu'il nous faut disparaître de la scène.
La meilleure preuve que l'homme tient plus à son être physique qu'à son être moral, c'est qu'il cache soigneusement ses infirmités, tandis qu'il fait souvent parade de ses vices.
Tous, nous nous plaignons de ne pas être à notre place, et tous, nous sommes persuadés que nous n'y serions qu'en prenant la place occupée par un autre.
Certains hommes, d'une sensibilité exquise, ont le triste privilège de pressentir et de pouvoir prédire les prochains malheurs en pleine prospérité, comme un bon baromètre annonce déjà la pluie par un soleil éclatant.
Une chose plus malheureuse encore que de ne pas arriver à réaliser son idéal, c'est de ne pouvoir même s'en forger un, de ne pouvoir se faire au moins un bonheur en rêve, et ceci est le cas de maints esprits pessimistes ou désabusés.
Nos mots les plus offensants sont presque toujours des naïvetés qui nous ont échappé sans intention.
En amour, tout le secret du succès, c'est peut-être de traiter les duchesses comme des grisettes, et les grisettes comme des duchesses.
L'inégalité dans le faire, pouvant aller parfois jusqu'à la défaillance, est justement la marque distinctive d'un talent original. Il n'y a que les médiocres qui restent toujours égaux à eux-mêmes.
Le sentiment de l'égalité est un de ceux auxquels la femme se montre le plus réfractaire. Si elle ne peut dominer, elle se résignera encore plus facilement à être esclave qu'égale.
La femme ? — Un océan orageux, où se perd, à l'égal du novice, un vieux marin expert.
À vingt ans l'homme est gourmand de la femme ; à trente ans il en devient gourmet.
En France, c'est trop souvent l'emploi qui donne droit à acquérir les connaissances nécessaires pour l'occuper dignement, au lieu que ce soit ces connaissances spéciales qui le rendent accessible.
Le peintre de mœurs doit faire des portraits vrais, au risque de voir quelques individualités s'y reconnaître. La nature crée des types et ne fait pas d'allusions.
On peut trouver, en cherchant bien, des pensées, des traits, et des mots médiocres ... Mais les bons viennent seuls : ils jaillissent.
A qui n'est-il pas arrivé, une fois dans sa vie, de ressentir pour une femme un commencement de sentiment sympathique, indéfinissable, tenant de l'amour et de l'amitié, sans être pourtant ni l'un ni l'autre, et qui s'éteint d'ailleurs, avant que nous ayons pu lui donner un nom, comme un enfant qui meurt sans baptême ?
Aujourd'hui, non-seulement personne ne sait écouter celui qui parle, mais, ce qui est peut-être plus grave pour notre réputation de politesse, personne ne sait même faire semblant d'écouter.
L'amitié est une si belle chose qu'aucun de nous ne saurait se passer au moins d'un semblant d'ami, à défaut d'un vrai.
Chez la plupart des femmes, l'amour du plaisir est accompagné d'une profonde indifférence pour celui qui le donne ; et cela dans l'ordre des sentiments, aussi bien qu'en matière de sensations. La femme se passionnera pour un beau livre, pleurera à un drame attachant, admirera un tableau ou une statue, mais sans reporter sur son auteur le sentiment de reconnaissance émue qu'éprouve l'homme pour celui qui lui procure ces jouissances ; bien plus, sans même s'inquiéter de savoir son nom.
Tous nous nous enorgueillissons d'un éloge, et nous nous affligeons d'une critique. Et pourtant, l'éloge n'améliore rien, tandis qu'une critique juste et faite à propos peut nous corriger de quelque imperfection.
Une observation assez peu flatteuse pour l'espèce humaine, c'est que, si l'on regarde attentivement ces masques de carton, enluminés, difformes, grimaçants que viennent d'exposer les costumiers pour la rentrée du carnaval, on finit par y retrouver les visages de sa connaissance.
Il suffit parfois que nous ayons un dissentiment public avec autrui, pour qu'une foule de gens, absolument étrangers à la querelle, prennent passionnément parti contre nous, et deviennent à jamais nos ennemis.
Les hommages que les autres femmes reçoivent comme un don agréable, la Parisienne les lève comme un impôt.
Dans la lutte de la vie, il faut s'enduire d'indifférence, comme les athlètes antiques se frottaient le corps d'huile, pour se dérober plus aisément aux étreintes de leurs adversaires.
Le cerveau humain ressemble à un puits : plus on les creuse tous deux, plus la pensée afflue à l'un, comme l'eau à l'autre.
Eût-il vécu cent ans, l'homme qui se retourne pour regarder sa vie derrière lui, l'aperçoit plus courte que le sillon du laboureur.
Je fus courageux et lâche, charitable et égoïste, généreux et avare, bon et méchant, homme enfin. — Si nous étions sincères, cette épitaphe pourrait suffire à toutes les tombes de l'humanité.
C'est centupler le prix d'un service que d'aller au-devant de la demande de celui qui va devenir votre obligé.
Dès qu'il s'agit des choses d'au-delà de ce monde, il est aussi téméraire de rien affirmer que de rien nier.
Quoi qu'en disent les misanthropes, vous pouvez arriver à vous faire un ami, mais n'essayez pas d'en avoir deux. En quelques jours, chacun aura si bien détruit vos illusions sur le compte de l'autre, que vous ne voudrez plus d'aucun.
On a reproché sévèrement à quelques hommes de génie d'avoir pris pour compagnes, — épouses ou maîtresses —, des femmes acariâtres et laides. Mais était-ce de leur faute si les jolies femmes n'aiment généralement que les imbéciles ?
L'homme poursuit par vanité la femme d'autrui qui se donne à lui par désœuvrement. ― L'amour, prétexte justificatif de tous les adultères, n'est pas la raison véritable d'un sur cent.
La grâce, c'est le génie de la femme.
La vie, c'est ainsi que l'on appelle le temps que l'homme met à mourir.
La maladie à la mode parmi les écrivains est au jourd'hui la névrose, comme autrefois ce fut la phtisie. Malheureusement si, suivant un mot célèbre, « le génie est une névrose », toutes les névroses ne sont pas nécessairement du génie.
Que penser de ce Dieu tout-puissant, et qui, dans toute son éternité, n'a pas su trouver une seconde pour supprimer le mal ?
Nous sommes généralement ainsi : plus humiliés d'un service qu'on nous rend que d'une offense qu'on nous fait.
Comme nous nous trouverions malheureux, si entre parents, amis, collègues, connaissances, nous n'étions entourés que de gens parfaits, dont nous n'aurions aucun sujet de nous plaindre !
Il faut bien se résigner à compter avec les sots, comme avec un ennemi qui a l'avantage du nombre.
Quand je vois un grossier personnage faisant la cour à une femme jolie et distinguée, je ne puis m'empêcher de penser à un bœuf broutant des roses.
Paris, ville factice, ville peuplée d'enfants gâtés qui trépignent pour une tache de boue ou un flocon de neige oubliés sur le pavé, et qui, encore un peu, exigeraient, comme des rois orientaux, qu'on tendît des tapis sous leurs pas.
Entre deux hommes qui se causent, le suprême plaisir est de dire le plus de bien d'eux-mêmes ; entre deux femmes, c’est de dire le plus de mal possible d'une troisième.
De femme à femme, la « rivalité » a un tout autre sens que celui que nous lui attribuons généralement. Chaque femme est amenée à se trouver en opposition avec une autre femme de son monde, qu'elle veut surpasser à tout prix en beauté, en toilettes, en diamants ; mais l'amour n'y est presque jamais pour rien.
Le bonheur se sent à peine dans le présent et ne peut se promettre d'avenir. L'homme ne sait bien qu'il a été heureux que lorsqu'il erre sur les ruines de son bonheur écroulé.
Comme il n'est guère de pensée exprimée de nos jours qui ne se retrouve auparavant, il semble que les écrivains modernes ne puissent espérer que de donner une nouvelle forme à de vieilles idées. La littérature est donc comme un Hôtel des Monnaies, où les idées usées par le temps, démarquées, n'ayant plus cours, arrivent constamment, sont refondues et renvoyées, toutes luisantes, dans la circulation. Le métal est le même. L'effigie, la date et la marque ont seules changé.
Personne n'est indispensable en ce monde ; mais certaines gens poussent très loin l'art de faire croire qu'ils le sont.
La seule consolation réelle que vous puissiez apporter à quelqu'un qui souffre, c'est de lui laisser croire que vous souffrez vous-même, — serait-ce faux !
L'homme délicat regarde en toute chose de quel côté se trouve son intérêt, et fait presque toujours le contraire.
Les yeux de la femme qui pleure, la bouche de la femme qui rit, ô les délicieux écrins... à perles fausses !
Dans la lutte de la vie bien des personnes ont le désavantage, moins par faiblesse réelle que parce qu'elles méconnaissent leur propre force.
C'est témoigner une bien petite estime aux gens avec qui l'on cause, que de laisser passer toutes les idées qu'ils émettent sans leur faire jamais l'honneur d'une contradiction.
Le temps peut apaiser à la longue un chagrin ordinaire ; mais, quoi qu'on en dise, il ne fait qu'exaspérer les grandes douleurs.
La sottise s'allie mieux qu'on ne croit à certaines qualités intellectuelles : il y a des imbéciles de talent.
Si à la fin de votre vie vous pouvez vous rendre cette justice que le bien que vous avez fait l'emporte sur le mal, fût-ce d'une parcelle, ne regrettez rien.
Autant la gaieté française est simple et naturelle, autant la gaieté anglaise est amère et forcée. Un Anglais qui rit ressemble à un homme qui se pince fortement pour ne pas se laisser gagner par le sommeil.
Si se bien connaître soi-même est le dernier mot de la sagesse, se mal connaître est très probablement le premier mot du bonheur.
Si les hommes considéraient un service qu'ils rendent à son véritable point de vue, c'est-à-dire comme une sorte de monnaie toujours en circulation, que l'obligé est tenu de repasser, dès qu'il le peut, non à son propre bienfaiteur, mais à une autre personne qui a besoin à son tour d'être assistée, eh bien ! ils supprimeraient du même coup l'ingratitude.
Combien de femmes reculeraient avec horreur devant l'adultère, si elles pouvaient se douter que la plupart des hommes recherchent la femme mariée, non pour elle-même, mais à cause de l'attrait piquant que lui donne le mari ?
Si certains hommes, fort bien doués, ont le désavantage dans la vie, c'est qu'ils poussent la délicatesse jusqu'à s'interdire absolument d'influencer la chance en leur faveur. Même en employant les moyens les plus honnêtes, il leur semblerait encore qu'ils trichent.
Une légère dose de réalisme pratique dans un caractère sentimental en assure la force et la durée contre l'usure de la vie, de même que, pour obtenir une monnaie résistante, il faut allier un peu de cuivre à l'or pur.
De sa vie brisée par une catastrophe, ce que l'on regrette, ce sont moins les joies passées que tant d'angoisses et de souffrances désormais endurées pour rien.
Il n'y a de vraiment grand chez l'homme que la faculté de souffrir.
Beaucoup d'hommes, à l'esprit très libéral, hésitent sur la question de la peine de mort. Pourquoi ? Parce qu'ils craignent que l'abolir pour les assassins, ce ne soit la décréter pour un certain nombre d'honnêtes gens.
Pour une âme délicate, le plaisir est encore plus difficile à supporter seul que le malheur.
Trop souvent nous ne connaissons les côtés sympathiques d'un homme, ceux qui nous auraient le plus rapproché de lui, que par son oraison funèbre.
Il est heureux que l'homme ne connaisse pas d'avance son destin. S'il savait le sort qui l'attend, il s'y déroberait au début de la vie, comme un cheval chargé se couche et refuse obstinément d'avancer, au pied d'une côte trop escarpée à gravir.
Quand l'homme n'a plus aucune bonne raison de vivre, il cherche encore des prétextes.
Si l'amour est de toutes les saisons, comme l'affirme une chanson célèbre, l'amitié — ce qui vaut mieux — est de tous les âges.
Plus on voyage à l'étranger, plus on aime la France. Plus on voyage en France, plus on aime Paris.
Le bonheur est fait de mille riens qui deviennent tout lorsqu'on les a perdus.
L'homme, si infime pour tout le reste, peut souffrir comme un Dieu.
Un reproche que l'on peut faire au pessimiste, c'est de ne pas pousser jusqu'au bout sa doctrine. Puisqu'il professe l'inutilité de tout, pourquoi ne pas proclamer aussi l'inutilité de la tristesse ?
Il ne faut pas regretter qu'il y ait des ambitieux. S'ils venaient à manquer, on serait obligé de tirer les fonctions et les dignités au sort, chose très fâcheuse pour les gens modestes et simples sur lesquels tomberait le hasard.
Les âmes de cire deviennent aisément des âmes de boue.
De toutes les lacunes d'un caractère la plus grave est peut-être de ne pouvoir arriver à rien haïr.
Si le progrès matériel est indéniable, il est plus téméraire d'affirmer absolument le progrès moral. Quel est le crime, quel est le vice, quel est le travers même que l'Humanité a laissé en route, depuis six mille ans où nous pouvons la suivre dans sa marche ?
Une des plus étranges prétentions chez un homme est de croire qu'il peut se soustraire aux petites choses de la vie.
L'égoïste ne cesse de parler de lui que pour y penser encore avec plus de recueillement.
Le bonheur n'est ni bleu ni rose, comme le disent les poètes : il est gris, et voilà pourquoi tant de gens qui l'ont à leur portée le laissent s'échapper sans même le voir.
Le bonheur meurt de rien, le chagrin vit de tout. Tel grand malheur, s'abattant sur un homme, change à jamais pour lui l'odeur des roses et la couleur du soleil.
L'amour, c'est de l'égoïsme à deux, où chacun des amants place le sien sur la tête de l'autre.
En voyant certains jeunes hommes, de l'aspect le plus robuste en apparence, marqués déjà par la mort d'une blancheur livide au front, on éprouve le même sentiment de mélancolie que devant ces beaux et grands arbres qu'une croix désigne à la cognée du bûcheron.
Il suffit parfois dans une réunion d'un seul homme soutenant une erreur avec assurance, pour faire douter d'elles-mêmes des personnes qui, un instant auparavant, se croyaient en possession de la vérité.
Nous sommes souvent prêts à nous formaliser de l'insistance avec laquelle un homme fixe ses regards sur nous, dans une réunion ou dans la rue. Combien de fois pourtant ce prétendu indiscret n'est-il qu'un malheureux qui retrouve sur notre visage une ressemblance frappante avec celui d'un être aimé qu'il a perdu, et se donne ainsi l'illusion de le faire revivre un instant en nous ?
Un défaut commun rapproche plus deux hommes que vingt qualités pareilles.
La femme et l'enfant ont cela de commun, de considérer comme perdu tout le temps que l'on ne consacre pas à s'occuper de leurs petites personnes.
Il y a deux sortes d'amis, ceux qui vous trahissent et... ceux que l'on trahit.
L'homme vraiment supérieur est celui qui dirige non-seulement les actes, mais jusqu'aux pensées de ceux qu'il domine de manière qu'ils puissent se croire en possession de leur libre arbitre.