Une morale trop sévère, en cherchant à redresser violemment certains penchants invincibles de l'homme, ne sert qu'à faire des déclassés et des révoltés.
De même qu'on voit la flamme de l'éclair avant d'entendre le coup de tonnerre, de même on voit d'abord briller dans l'œil de l'homme d'esprit une étincelle, signe précurseur du trait qu'il va lancer.
Aimez les vivants, plaignez les mourants, enviez les morts.
Méfiez-vous de votre interlocuteur lorsque dans une discussion il avoue loyalement avoir un défaut : c'est qu'il va vous en trouver deux.
La femme aimera toujours cent fois mieux avoir pour mari un homme médiocre qui passera sa vie à ses pieds qu'un homme de génie qui la négligera, fût-ce pour employer son temps à découvrir l'imprimerie, la vapeur ou le télégraphe. Voilà pourquoi les inventeurs ont toujours fait si mauvais ménage avec leurs femmes.
Les deux plus charmants animaux de la création sont certainement le cheval arabe et la Parisienne.
Comme en ce monde le mal arrive mille fois plus fréquemment que le bien, il suffit d'être pessimiste pour être presque à coup sûr bon prophète.
Nos pères savaient ce qu'ils faisaient en n'employant, pour désigner les femmes de mauvaises mœurs, que le terme grossier devant lequel n'a pas reculé Molière. Ne croit-on pas au contraire que les noms presque caressants de lorette, de cocotte, de belle-petite, contribuent à étendre la prostitution, en adoucissant cette ignominie aux yeux de beaucoup de femmes que le mot tout cru aurait peut-être retenues ? Méfions-nous des jolis mots quand ils sont appliqués à de vilaines choses.
Quand deux femmes ont passé une heure à dire du mal d'une troisième, elles s'imaginent sérieusement qu'elles sont amies jusqu'à la mort.
La même femme qui viendra de s'enfermer le plus austèrement dans sa dignité pour imposer le respect à un audacieux, ira ensuite jusqu'aux dernières limites de la coquetterie pour provoquer les hardiesses chez un timide. C'est que dans l'un et l'autre cas elle affirme sa domination sur l'homme, et c'est l'essentiel à ses yeux.
Il serait encore plus facile à l'homme de changer la forme de son nez que de modifier sérieusement son caractère.
Le côtoiement d'un homme d'esprit n'éclaire pas plus un sot sur sa sottise que la vue d'une jolie femme ne révèle à une femme laide sa laideur.
Si le temps apaise nos deuils, c'est moins par l'éloignement grandissant où il les met de nous qu'en épuisant une à une les sensations douloureuses amenées par le retour successif des saisons et des passages où nous nous sommes trouvés avec l'être regretté. Quand nous avons traversé le premier hiver, solitaire au coin du foyer, quand nous avons vu seul reverdir un printemps, alors seulement nous pouvons espérer de trouver un peu d'oubli.
Des vivants on voit surtout les défauts ; des morts on voit surtout les qualités.
Avoir combien, par le seul fait de leur union, un homme et une femme deviennent des êtres radicalement différents d'humeur de ce qu'ils étaient la veille, on ne peut s'empêcher de comparer le mariage à une de ces combinaisons chimiques après lesquelles il ne reste plus aux deux corps mis en contact une seule de leurs propriétés primitives.
Bien des gens se croient vertueux qui ne sont que maussades et grognons.
Ce qui diminue fâcheusement la portée du mépris qu'éprouve la femme honnête pour la femme galante, c'est qu'il perce toujours dans son expression comme une pointe de jalousie.
Par une singulière contradiction, les mêmes hommes qui donnent les pires exemples sont souvent ceux qui donnent les meilleurs conseils.
On est toujours célèbre trop tôt.
Faire exactement chaque jour la même chose à la même heure, telle est probablement la formule qui se rapproche le plus du bonheur.
Parvenu au déclin de sa carrière, l'homme comprend un jour qu'il n'y a en réalité qu'une femme, qu'un ami, qu'un livre, qu'un appartement qui aient compté dans sa vie. Heureux ceux qui ont pu trouver ces oiseaux rares sans trop de peine et qui ont su s'y tenir !
Presque toujours l'homme vit avec lui-même comme avec un étranger, à l'état de malentendu perpétuel.
L'homme qui s'ignore est doublement heureux, car il ignore en même temps les autres.
Beaucoup de malheureux préféreront encore l'indifférence des étrangers à la pitié humiliante de leurs amis.
Le jeune homme vit par goût, l'homme mûr par curiosité, le vieillard par habitude.
Le rêve tient lieu de tout dans une vie, il nous permet d'espérer des jours meilleurs.
L'amour du bavardage entre femmes, la passion du jeu entre hommes, en rapprochant les distances et les rangs, ont plus fait pour amener l'égalité que toutes les tirades des philosophes.
Les situations difficiles doivent être franchies en courant.
Il n'est point de pire haine que celle qui prend sa source dans une amitié offerte et dédaignée.
Ce que les femmes, dans leur exagération, prennent entre elles pour une vive amitié, correspond à peine à ce que les hommes appelleraient une indifférence polie.
L'homme, si infatué du rang qu'il s'imagine tenir dans la création, ne peut même se promettre la durée d'un inerte bloc de pierre.
Le sage s'attend à tout, même à la folie.
Le plus sûr résultat auquel parviennent généralement les philanthropes qui rêvent le bonheur de toute l'humanité, c'est de rendre leur femme très malheureuse.
A un certain âge, l'homme doit se résigner à ne plus être qu'un contribuable.
J'ai toujours remarqué que ce sont les ménages désunis qui célèbrent avec le plus d'exactitude les fêtes et les anniversaires. On y ressent davantage le besoin de ces trêves dans la bataille.
Souvent on va contre une observation juste par un secret dépit de ne pas l'avoir faite le premier.
Certains hommes vous donnent leur amitié comme ils feraient l'aumône à un pauvre, par une sorte de pitié bienveillante et sans se soucier le moins du monde de la vôtre en retour.
Une des formes du bon goût assez peu comprise est celle qui consiste à savoir acheter un cadeau de mauvais goût, selon le rang et l'éducation de la personne à qui on veut l'offrir.
Habitués à juger les autres sur nous-mêmes, nous les plaignons du fond du cœur pour des contrariétés qu'ils ne ressentent même pas, et nous les voyons avec indifférence, au contraire, en des traverses qui leur causent de cuisants soucis.
L'homme le mieux doué pour la vie est celui qui a des préférences, mais pas de répulsions.
Le rire est une mousse... qui tourne souvent en écume.
Le monde est ainsi fait qu'il vaut mieux encore, la plupart du temps, avoir tort avec la foule que raison tout seul.
Chaque femme a autant de confiance dans son pouvoir que si elle était seule au monde de son espèce.
Il n'est guère qu'un moyen de ne pas ressentir les petites misères de la vie, c'est d'être frappé par un grand malheur.
Si la nouvelle de telle ou telle mort surprend tant à Paris, c'est que, au milieu du tourbillon où nous vivons, la maladie, sa transition naturelle, y passe presque inaperçue.
Ne gardons jamais d'armes — lettres ou confidences — contre autrui : nous pourrions succomber un jour à la tentation de nous en servir.
Quand on songe à l'infiniment petit nombre de ses contemporains avec lequel celui d'entre nous qui a vécu le plus longtemps s'est trouvé en relations, même passagères et superficielles, on est vraiment effrayé de l'isolement de l'homme dans l'humanité.
Une privation que l'on a pu endurer pendant quinze jours n'est plus sensible. C'est là tout le secret des chastes, des ascètes.
L'homme raille volontiers la femme sur son goût de colifichets, sans réfléchir que, ruban pour ruban, la femme, en y trouvant un moyen de s'embellir, est encore plus raisonnable que lui, qui fait souvent des bassesses pour en attacher un nœud insignifiant et presque invisible à sa boutonnière.
Les malheurs, les maladies, la vieillesse, préparent insensiblement l'homme à la mort, bien mieux que toutes les exhortations des philosophes, et que tous les sermons des prédicateurs.
Le désir reste jeune et la force vieillit.
La flatterie, ce poison si funeste pour le vaniteux, peut, dans certains cas, et employée discrètement, être un réconfortant salutaire pour un timide.
Déçus par l'amitié, nous nous rejetons sur l'amour, et réciproquement nous demandons à l'amour de nous faire oublier les déboires de l'amitié. Et voilà pourquoi nos amours et nos amitiés ont si souvent l'amertume d'une vengeance.
Ce qu'il y a de plus triste dans la vie, c'est que nous comprenons très bien qu'elle pourrait être une meilleure chose, si nous étions davantage les maîtres de la diriger et de la corriger.
La douleur que nous ressentons de la trahison d'une femme se mesure bien moins à notre amour qu'à notre amour-propre.
Certains qui restent plongés toute leur vie dans une sorte d'engourdissement léthargique, que l'on ne voit pas remuer, ont l'air de ne pas faire du moins de sottises. Je le crois bien, ils font toujours la même.
Que de livres médiocres ont été sauvés par l'heureuse disposition d'esprit du lecteur !
Interrogez un parvenu, et, s'il est tant soit peu sincère, il vous avouera que le mal qu'il a eu pour arriver n'est rien à côté de celui qu'il se donne pour se maintenir.
Il se répète constamment qu'en peinture et en sculpture « le nu est chaste ». Est-ce bien sûr ? Le nu est surtout chaste, quand les gens qui le regardent le sont.
Il faut beaucoup aimer ses héritiers pour ne pas les haïr.
La vie se charge de nous apprendre la modestie. Voilà pourquoi il est aussi rare de voir des hommes modestes à vingt ans que d'en trouver qui ne le soient pas à quarante.
Plus nous connaissons les hommes, moins nous découvrons celui dans la peau duquel nous voudrions entrer.
Il est très heureux que notre impuissance à corriger le sort nous ait préservé de certaines tentations, comme, par exemple, d'allonger la vie des êtres qui nous sont chers, aux dépens des jours des gens que nous détestons.
Veiller, a dit Montaigne, ajoute aux offices de la vie. Oui, mais dormir ajoute aux offices de la mort, et je ne sais si cela ne vaut pas mieux.
L'homme est un champ de bataille.
La noblesse dans la douleur n'est pas incompatible avec l'humilité dans la condition. Un épicier en faillite, assis sur les sacs de denrées de sa boutique, peut être aussi grand et aussi tragique que Marius sur les ruines de Carthage.
L'homme supérieur a ce privilège de pouvoir choisir entre ses ennemis ceux qu'il veut bien accepter pour tels.
On se prend parfois à faire une bonne action, comme on tombe dans un piège.
Chose triste à dire ! on voit peut-être moins souvent encore des femmes galantes se repentir de ne pas avoir suivi le droit chemin, que d'honnêtes femmes éprouver un vague regret de ne pas les avoir imitées.
Il est certains jours dans la vie où tout son de cloche, fût-ce celle d'un mariage ou d'un baptême, résonne à notre oreille comme un glas.
Défions-nous des mémoires. S'ils ont été faits au jour le jour, au milieu de la mêlée, ils sentent le parti pris de plier les événements aux vues de l'auteur. Si au contraire ils ont été écrits dans les loisirs de la retraite par un homme désintéressé de tout, il est bien à craindre qu'ils ne pèchent par les défaillances du souvenir.
Telle femme se jettera au feu résolument pour un mari qu'elle trompe sans scrupule, et telle autre, qui se ferait tuer plutôt que de se laisser baiser le bout du doigt par un étranger, ne suivrait pas son mari en exil, de peur du mal de mer.
Rien de plus triste pour un homme que d'avoir le sentiment de sa valeur joint à celui de son impuissance à l'imposer.
La difficulté que nous éprouvons à nous débarrasser d'une maîtresse est généralement en raison directe de la difficulté que nous avons éprouvée à l'avoir.
L'amour dans l'adultère est encore beaucoup plus rare que l'amour dans le mariage.
Il est un jour bien triste dans la vie, celui où nous nous apercevons que nous ne sommes pas plus compris de nos semblables que si nous étions des animaux d'une espèce différente.
Les littérateurs, romanciers ou auteurs dramatiques en usent, avec les sujets et les idées, comme ces personnes peu aisées qui remettent un vieux vêtement à l'envers, pour lui faire faire encore un long service sous sa nouvelle face. Seulement, en littérature, ce sont les habits des autres que l'on retourne.
Si la parfaite amitié pouvait exister sur la terre, ce ne serait, quoi qu'on en dise, que dans l'amour d'homme à femme. Deux êtres ne se confieront jamais complètement, sans réserve, l'un à l'autre, qu'après certains échanges, certains contacts.
Parce que nous trouvons ridicules certaines conversations de famille entendues en wagon ou en omnibus, nous jugeons de ce que les autres doivent penser de nous, quand nous nous laissons aller trop haut en public à des épanchements intimes.
Le bonheur est encore plus facile à atteindre qu'à retenir.
On pardonnerait à certaines gens de regarder les chiens comme des hommes, s'ils ne regardaient pas les hommes comme des chiens.
La manière la plus délicate d'aimer quelqu'un, c'est d'aimer tout ce qu'il aime.
De ces deux extrêmes, trop d'indulgence ou trop de sévérité dans le jugement que nous portons sur nous-mêmes, celui qui nous est le plus nuisible n'est pas encore le premier.
Les grandes passions ne sont rien auprès des grandes manies.
L'habitude tue sûrement l'amour, quand ce n'est pas elle au contraire qui l'a engendré.
Si nous étions assez sincères pour reconnaître quelle grande part, plus grande que celle de notre mérite, a eu le hasard dans chacun de nos succès, nous serions plus indulgents pour ceux à qui la fortune n'a pas souri.
On finit par être heureux à Paris de rencontrer quelques femmes laides, c'est toujours autant de moins à désirer.
Ce qui prouve que l'instinct est parfois supérieur à la raison, c'est que nous faisons très bien certaines choses machinalement, et que nous ne savons plus les faire, dès que nous voulons les faire avec réflexion.
L'impassibilité de la nature est l'éternelle critique de notre agitation.
La vue des défauts et des ridicules des autres nous préserve le plus souvent de contracter les pareils, mais en nous enfonçant davantage dans les nôtres.
Hasard ou Dieu ? On discuterait là-dessus pendant des milliers de siècles, sans faire avancer la solution d'un pas. Le monde est une œuvre si imparfaite que son auteur a dédaigné de la signer.
Penser, écrire, parler, voilà comme il convient de ranger, par ordre de valeur décroissante, les trois formes de la manifestation intellectuelle.
Un enfer d'où nous serions chassés deviendrait aussitôt le paradis perdu.
Géographie morale : La terre est ronde. Le mal occupe les trois quarts de sa surface. Le reste appartient au bien.
L'optimisme est assurément une heureuse disposition de l'esprit pour celui qui en est doué, mais il ne prouve guère de clairvoyance. Le pessimiste voit tout trop en noir ; mais l'optimiste porte sur les yeux un joli bandeau rose.
L'amour, quoi qu'on en dise, cause encore beaucoup moins de déception que l'amitié, et c'est par esprit de corps que les hommes affirment le contraire.
L'homme le plus occupé sait toujours trouver du temps pour les choses qui l'intéressent réellement.
Dans les discussions, comme en escrime, il y a des mauvais joueurs qui ne veulent jamais convenir qu'ils sont touchés.
A la seule manière dont une vieille femme arrête son regard sur un homme, on peut reconstruire toute sa conduite passée.
La contradiction est assurément le meilleur marteau pour enfoncer profondément dans la tête d'un homme une idée, qui, comme un clou mal fixé, serait peut-être tombée d'elle-même.
Nous serions bien fâchés de voir certaines gens partager la moindre de nos opinions.
A l'ardeur avec laquelle nous défendons nos amis attaqués par des tiers, on voit bien que nous regardons le droit de médire d'eux comme notre monopole.
Psychologie du rêve : — 1° Les divagations de la folie pourraient passer pour de la haute raison auprès de certains de nos rêves. — 2° Par l'incohérence des rêves, le plus sage est fou pendant une grande partie de sa vie. — 3° Un avantage du rêve, c'est qu'il nous initie à des sensations qui, sans lui, nous seraient absolument inconnues. — 4° Un grand ennui du rêve, c'est qu'il nous force à nous préoccuper, parfois pendant des nuits entières, de gens à qui nous ne daignerions pas, éveillés, accorder une minute de notre attention. — 5° Chacun de nous connaît la déception que l'on éprouve à s'éveiller les mains vides, en venant de rêver qu'on y tenait un trésor. Mais il est une déception plus pénible encore : c'est de trouver en rêvant une pensée, un mot, un vers, une idée de roman ou de pièce de théâtre, qui nous ont paru merveilleux, tant qu'a duré notre sommeil, et qui au réveil ne sont plus rien.
Après quarante ans la vie n'est plus qu'une grande habitude, faite d'une foule d'habitudes plus petites.
S'il est arrivé une seule fois — ce qui est probable — qu'un homme a pu, avec le temps, perdre entièrement le souvenir d'un crime commis par lui, c'est là, il faut l'avouer, un argument bien grave contre l'idée de la conscience immanente.
La postérité pour un écrivain ? — Désormais, avec la formidable production de livres actuelle, elle durera tout juste le temps pendant lequel des dévouements d'amis ou de proches, ou bien encore des intérêts d'exploitation parviendront à empêcher l'oubli de pousser, comme l'herbe, sur son nom et sur son œuvre.
A qui n'est-il pas arrivé, dans un musée, de se sentir soudainement et violemment attiré par une œuvre dont personne ne parle, que personne ne regarde, et qui, par cela même, nous semble être à nous et rien qu'à nous ?
La banalité de la vie parisienne se peint à merveille dans ces rencontres de deux personnes sur le boulevard, où chacune s'esquive déjà du pied en se tendant la main.
Sur chacun de nous l'éducation jette son vernis, plus ou moins brillant ; mais c'est le tempérament qui fait la véritable couleur du caractère.
Nous pouvons souffrir longtemps, toujours, « à » un être chéri que la mort emporta, comme on dit que les gens amputés d'un bras ou d'une jambe souffrent encore au membre disparu.
Il faut prendre les grandes douleurs comme un bain froid. S'y enfoncer d'un seul bond jusqu'au cou, est encore la meilleure manière d'en moins souffrir.
Oublier, c'est rajeunir.
A chaque coup qui nous frappe, nous accusons amèrement la partialité du sort. Et pourtant, si nous songions à tous les malheurs, à tous les dangers qui sont passés à nos côtés, et que nous avons évités par une chance favorable, nous finirions par reconnaître qu'il est autant pour nous que contre nous.
La rudesse est, chez quelques hommes, une enveloppe superficielle qui recouvre un cœur délicat et généreux. Mais combien est plus grand le nombre de ceux chez lesquels, au contraire, c'est la bonté qui n'est qu'apparence !
Quoi qu'on puisse dire du pouvoir démoralisateur de l'or, la fortune retient dans l'honnêteté — moins de fait — encore plus de fripons qu'elle ne pervertit d'honnêtes gens.
Si l'amour a ses déboires, il faut convenir aussi qu'il offre des compensations que l'amitié la plus sûre ne saurait donner.
Le rêve est le seul Dieu qui ressuscite les morts.
Plus nous avons vécu longuement et avec intensité, plus nous mourrons.
Être atteint d'une douce manie constitue, je crois, le meilleur des préservatifs contre les atteintes de la folie véritable.
Ce qu'il y a de plus triste dans la vie, c'est qu'elle est une partie en « cinq sec », sans espoir de revanche pour le joueur malheureux.
Il n'y a de bon, chez beaucoup de personnes, que la bonne opinion qu'elles ont d'elles-mêmes.
La femme aime telle ou telle fleur, non pour la fleur elle-même, mais parce que c'est celle dont la couleur s'assortit le mieux à sa toilette ou à son teint.
Le vrai pessimiste devrait se réjouir d'un malheur qui lui arrive, puisque la mauvaise opinion qu'il a de la vie s'en trouve ainsi confirmée.
Certains hommes poussent si loin l'esprit de contradiction, qu'on ne les déterminerait jamais à exprimer leur opinion sur un point controversé entre des tiers, parce qu'ils se trouveraient fatalement du même avis que quelqu'un.
Les souvenirs, ce sont les cheveux blancs du cœur.
Personne n'est indispensable en ce monde ; mais certains hommes poussent très loin l'art de faire croire qu'ils le sont.
L'amour est le plus complet des sentiments, puis qu'il peut contenir en même temps l'amitié.
Après l'homme, je ne connais pas d'animal plus surfait que le chien.
Plus encore qu'un bon tableau, l'homme gagne à être vu d'un peu loin.
L'homme ne s'intéresse vraiment qu'aux choses dont il peut se flatter de jouir encore le lendemain ; c'est ce qui explique l'indifférence apathique des vieillards.
Les inconvénients de remettre à plus tard ce qui peut se faire immédiatement ont inspiré bien des aphorismes, mais ce dicton espagnol est peut-être celui qui les résume sous la forme la plus pittoresque : Par la grande route de demain, on arrive au château de rien du tout.
Le goût n'a pas d'ennemi plus cruel que la fantaisie.
Il y a deux sortes de pessimisme, celui qui accuse la vie et celui qui prend à partie les hommes. Le premier est le moins fâcheux à mon avis, parce qu'il n'exclut pas, du moins, la bienveillance pour nos semblables.
Chacun de nous, devant un homme remarquable auquel il a intérêt à plaire, s'efforce pour briller, pour donner toute sa mesure, et cependant, presque toujours, la meilleure impression que nous pouvons lui laisser est celle de notre flagrante infériorité vis-à-vis de lui.
La voix de la sottise sait dominer les bruits les plus perçants. C'est ainsi que dans un diner, par exemple, au milieu des conversations qui se croisent, bien des choses fines et spirituelles n'arrivent pas jusqu'aux oreilles des convives. Mais toutes les bêtises s'entendent.
Souvent personne ne nous tient aucun compte d'actions qui nous ont coûté un violent effort sur nous-mêmes, et nous sommes félicités chaudement pour des choses que nous avons faites sans y penser.
Le mépris est la meilleure des armes défensives.
On s'étonne souvent de voir les enfants ne pas profiter davantage de la bonne éducation qui leur est donnée ; mais comment en serait-il autrement ? Tant qu'on s'efforcera de redresser d'abord le caractère, qui n'est que l'effet, au lieu de s'attaquer au tempérament physique, qui est la cause ; tant, par exemple, qu'on ne s'attachera pas, pour commencer, à calmer les nerfs de l'enfant turbulent, à rafraîchir le sang de l'enfant violent, à dégager l'estomac de l'enfant maussade et triste, il ne sera pas permis d'espérer de meilleurs résultats. On s'épuisera vainement en conseils purement moraux, qu'il n'est pas au pouvoir de l'enfant de suivre. Tout le secret de l'éducation est là.
Avez-vous remarqué que tout nouveau remède lancé dans la circulation fait invariablement la réputation de deux médecins ? De celui d'abord qui l'a préconisé le premier comme un suprême bienfait, et plus tard d'un second, qui en prouve jusqu'à l'évidence les propriétés funestes.
Nos mots les plus cruels pour autrui sont généralement ceux qui nous échappent sans intention.
Parvenus à la vieillesse, notre vie passée est comme un livre familier que nous reprenons de temps en temps pour en relire quelques pages, et que nous pouvons sans inconvénient ouvrir au milieu, ou même reprendre à l'envers.
L'accession de la femme à toutes les carrières détruira certainement le plus grand charme des relations mondaines d'un sexe à l'autre, lequel découlait surtout jusqu'ici de l'absence de toute compétition d'intérêt et de toute rivalité de profession.
Dans le monde, il y a une « conversation de soirée » comme il y a une « tenue de soirée ». Voilà pourquoi il est aussi ridicule de prétendre connaître à fond le caractère d'un homme pour avoir été une fois son voisin de table, que de vouloir préjuger sa fortune ou sa position sociale d'après le lustre et la coupe de son habit noir.
Lorsqu'on a constaté quelquefois, par son expérience personnelle, combien l'homme est radicalement différent de lui-même selon qu'il a mangé ou non, ou encore selon ce qu'il a mangé, on n'est pas loin de se rallier au matérialisme.
On s'étonne de l'effrayante lucidité de certains esprits, lucidité qui semble aller parfois jusqu'à la divination. Rien de surnaturel à cela, cependant, et il n'y faut voir qu'un effet logique de la rapidité de leur pensée. Celui qui peut lancer mille flèches vers le but, dans le même laps de temps pendant lequel les autres tireurs arrivent à peine à en jeter dix, doit nécessairement mettre plus souvent dans le mille.
Dans tout ami de son mari la femme voit un ennemi, quand elle n'en fait pas un complice.
Les hommes peuvent se diviser en deux classes : ceux qui arrivent à tout par les femmes, et ceux qui manquent tout pour elles.
Les occupations quotidiennes ont entre autres avantages celui de nous faire retrouver, la journée faite, nos parents et nos amis avec plus de plaisir, comme si l'on s'était quitté pour un court voyage.
Quoique, dès qu'il s'agit des choses d'au-delà de ce monde, il soit aussi téméraire de rien affirmer absolument que de rien nier, encore faut-il reconnaître que la plus grande probabilité est en faveur du néant, parce que c'est là une solution simple, sans détails, d'une seule pièce. Toutes les autres conceptions, paradis, enfer, migrations dans d'autres planètes, passages successifs de l'âme dans plusieurs corps, ne sont que des romans aux complications laborieusement échafaudées, puériles.
Certains hommes sont ainsi faits qu'ils ne peuvent aimer un peu qu'une femme qui les trompe beaucoup.
Une fâcheuse conséquence de l'injustice de leurs contemporains à l'égard de certains écrivains dont la postérité a reconnu depuis la haute valeur, c'est qu'elle autorise aujourd'hui un tas de médiocres à se poser en génies méconnus.
Nous oublions bien vite le plaisir que nous cause un service qui nous fut rendu, pour nous souvenir seulement de l'ennui que nous eûmes à le demander.
Chez beaucoup de femmes les larmes ne sont pas amères : pleurer, pour la plupart d'entre elles, semble comme une autre manière de rire.
L'homme est tellement avide de se ressaisir dans le passé, qu'il en arrive à regretter de sa jeunesse jusqu'aux malheurs et aux chagrins.
Le chimiste qui analyse des eaux minérales trouve à peu près dans toutes des traces de mêmes corps, fer, arsenic, soude, lithine, etc., mais dans des proportions excessivement variables. De même, pas un homme qui n'offre au moraliste le tableau complet de toutes les qualités et tous les défauts communs à l'espèce humaine. Seulement, tandis que quelque vice ou quelque vertu domine, les autres ne s'y rencontrent que dans des proportions infinitésimales.
Un malheur supporté en commun fait plus pour cimenter l'union de deux êtres que cent plaisirs partagés.
Pour l'homme désabusé de tout la vie est fade, comme un aliment sans sel.
Les amis fanatiques des bêtes, qui attribuent au chien le monopole de la fidélité, ont le tort d'oublier qu'un certain nombre de cas de cette vertu ont été observés aussi chez la femme.
Ne vous diminuez pas trop par modestie, c'est un soin dont les autres s'acquitteront pour vous.
Dans une maison, lorsque le chien est mal élevé, c'est généralement que le maître l'est aussi.
Toutes les religions ont la même base : l'insuffisance des choses de cette vie.
Combien de femmes perdent tous leurs charmes, rien qu'en changeant de couturière.
La vanité que tire un père des qualités physiques et intellectuelles de son fils se mesure généralement au degré de ressemblance qu'il lui trouve avec lui-même.
Quand le don de l'observation — autrement dit, de cette clairvoyance qui fait lire dans les âmes — n'est pas accompagné d'une grande égalité d'humeur, c'est le présent le plus funeste qu'un homme puisse recevoir en naissant.
On est étonné de trouver parfois chez un sceptique la notion théorique la plus parfaite de certaines vertus, de même que l'idéal le plus élevé de la religion se rencontre souvent chez les gens qui ne pratiquent pas.
Nos maîtres passent vingt ans à nous apprendre les préceptes de la philosophie, et lorsqu'il se trouve un homme sur mille pour s'aviser de les prendre au sérieux et de régler sur eux sa vie, nous disons que c'est un original ou un fou.
Il est très rare, en revenant de l'amour, de pouvoir s'arrêter à l'amitié. On va presque toujours jusqu'à l'indifférence, sinon à la haine.
Ou personne n'est responsable en ce monde, ou c'est Dieu.
Certains hommes en vue ne peuvent rédiger un billet de deux lignes, une simple invitation à dîner, sans poser pour la postérité.
On peut tout pardonner au temps, excepté de nous faire subir certains chagrins.
On a souri quelquefois en songeant à l'étrange figure que feraient, en se retrouvant dans un autre monde éclairés et renseignés, bien des maris et des femmes qui sont parvenus ici-bas à se cacher leurs fredaines respectives. Il est certain qu'il y a là un argument contre la moralité d'une autre vie.
Les plus profondes méditations sur l'infini ne mettront jamais l'homme à un doigt plus près de la vérité d'au-delà de la tombe ; mais elles lui feront du moins sentir le néant, le vide absolu des hypothèses les plus accréditées. De chaque système, et par ce seul fait qu'il a été conçu dans un cerveau humain, l'homme de bonne foi dira : Ce ne doit pas être cela.
Avant, on se faisait un train de vie réglé sur sa situation et ses ressources. C'était sage. Aujourd'hui, chacun commence par vivre selon ses goûts, ses vices ou ses appétits ; puis il s'efforce de trouver, à tout prix les moyens d'équilibrer son budget. C'est fou.
Chose triste à dire ! nous sommes souvent appréciés avec plus de justice par nos ennemis que par nos amis.
Pour le monde la vérité n'est pas ce qui est : la vérité, c'est ce qui peut être prouvé.
Ce qui sauve de la femme, à Paris, c'est la femme elle-même. On se croit pris lorsqu'on trouve, un instant après, une femme plus désirable qui vous fait oublier l'autre.
Nous sommes plus séparés d'un homme dont nous ne comprenons pas la langue que d'un chien.
Dans la lutte de la vie, bien des personnes ont le désavantage, moins par faiblesse réelle que par méconnaissance de leur propre force.
Chaque fois que nous voyons un enfant trancher avec aplomb les questions les plus ardues, nous sommes tentés de nous demander en tremblant si nous n'avons pas été aussi ridicules que lui à son âge.
En littérature ou en art, savoir apprécier à sa juste valeur une belle œuvre est presque aussi méritoire que de savoir la créer.
Le suicide est une lâcheté ... à la portée de bien peu de gens.
Certains hommes semblent mettre, à se diminuer, la même affectation que la plupart à se grandir.
Certaines lois font des criminels, comme certaines médecines font des malades.
Les hauts sommets sont trop exposés aux vents et à la foudre. Les terrains bas courent le risque d'être submergés par les inondations. La sécurité — c'est-à-dire le bonheur — est à mi-côte.
L'homme qui ne hait rien n'aime rien.
Si l'homme avait deviné le secret de l'Univers, ce serait par l'effet d'un hasard aussi grand que celui qui, dans un sac contenant un milliard de boules noires, ferait tirer du premier coup la seule boule blanche qu'on y aurait jetée.
La vanité a tellement besoin du mensonge pour s'enfler, et en use si souvent, que les deux défauts se confondent jusqu'à paraître n'en faire qu'un.
Tout le monde redoute la mort : l'égoïste, parce qu'il tremble de se perdre lui-même ; l'homme aimant, parce qu'il craint de se séparer des êtres qui lui sont chers.
Certaines gens, à la décision lente, ne se décident à adopter une mode que lorsqu'elle est sur le point de passer.
L'intérêt chez le pauvre, la vanité chez le riche, voilà les deux grands leviers qui soulèvent l'humanité.
C'est moins encore au plaisir éprouvé près de l'être aimé qu'au vide douloureux causé par son absence que se reconnaît un amour profond.
Comme une liquidation sociale, il y aura assurément un jour une liquidation littéraire. On fera table rase, pour recommencer à vivre intellectuellement sur nouveaux frais. Aussi quel est le nom aujourd'hui illustre qui puisse se flatter de surnager dans ce naufrage ?
Souvent les hommes les plus ouverts aux grandes choses se montrent très mesquins dans les petites.
Une mauvaise opinion exagérée des hommes est souvent l'excuse que se donne à elle-même une conscience qui a des reproches à se faire.
Bien souvent il faut côtoyer plus d'un an un homme pour savoir s'il est véritablement bon ; mais le plus souvent encore il suffit de cinq minutes pour juger qu'il est foncièrement mauvais.
Certains hommes ont le rare privilège de conserver à un tel point, jusqu'à un âge très avancé, toutes les allures de la jeunesse, qu'à voir leurs cheveux blancs on les croirait plutôt déguisés en vieillards.
L'instinct de la vanité est si développé chez les hommes, que fort peu savent s'y soustraire. Celui qui, par hasard, ne se montre pas orgueilleux de ses qualités, fera volontiers parade de ses défauts.
Un fils pieux doit respecter de son père jusqu'aux manies.
Il est une chose plus triste encore que de ressentir de violentes passions, sans aucun moyen pécuniaire de les assouvir : c'est de regorger d'or, et de ne plus avoir aucune passion, de n'éprouver aucun désir.
Il y a des gens qui ne paraissent pas se douter qu'ils doivent mourir : d'autres, au contraire, qui ne paraissent pas se douter qu'ils vivent.
Il n'est pas de remède qui n'ait son mal pire souvent que celui qu'il prétend guérir.
Le bon et le mauvais de chaque vie, deux charges bien inégales, mais que la mort équilibre en un instant d'un coup de faux.
L'homme délicat ne va jamais jusqu'à l'extrême limite de son droit.
Il suffit de voir l'âge des gens qui accusent le plus amèrement la vie pour comprendre qu'en somme le fond de notre pessimisme, c'est notre acte de naissance.
La célébrité est un costume bien éclatant dont la foule revêt un homme, afin de pouvoir ensuite tirer sur lui plus sûrement.
Souvent nous n'arrivons à apprécier à sa complète valeur un écrivain ou un artiste de talent que lorsque nous pouvons le comparer aux maladroits imitateurs que sa réputation a fait surgir.
L'homme le plus fort, le plus persévérant, n'arrive pas, dans le cours de sa vie, à accomplir la millième partie de ce qu'il veut. Jugez par là des autres, les faibles et les irrésolus.
Les chagrins, les maladies, la vieillesse, préparent insensiblement l'homme à la mort... des autres.
En morale, en littérature, en tout, il y a de mauvais usages si répandus, de mauvaises locutions si enracinées, que ce sont ceux qui agissent et parlent correctement qui passent au contraire, aux yeux du vulgaire, pour mal faire et mal dire.
Il en est de l'amitié comme du crédit : l'homme avisé ne l'use pas pour de trop petites choses.
C'est souvent un avantage qu'un défaut très accentué. Les gens superficiels, dont il frappe fortement les yeux, s'imaginent aisément que vous n'avez que celui-là.
Nous ne pouvons que bien peu de chose contre nos petits penchants, mais nous ne pouvons rien du tout contre les grands.
Il faut pardonner aux riches de n'être pas toujours charitables : ils ont tant de besoins, les malheureux !
A vingt ans, l'amour est une passion. A quarante ans, c'est un art. A soixante, un vice.
La vertu de beaucoup de gens est toute passive : ils ne font aucun bien, et se bornent à fuir le remords, comme on évite une indigestion.
Les grands malheurs sont toujours d'hier.
Le vrai sage est l'homme qui est revenu de tout, sans être jamais allé à rien.
Ce n'est pas le mérite, c'est le moment, qui a valu à grand nombre de gens leur petite place dans l'histoire.
Un seul malheur fait oublier mille joies.
Si le Midi a le bleu implacable de son ciel, le Nord peut lui opposer le vert intense de ses prairies. Aussi, dans le Midi, faut-il regarder au-dessus de sa tête ; dans le Nord, le vert se trouve à ses pieds. Peut-être est-ce là seulement qu'on doit chercher le secret de la différence du génie. L'homme du Midi, artiste, poète, rêveur, épris d'infini et d'idéal. L'homme du Nord, savant, plus positif, plus pratique, plus terre-à-terre.
Dans notre égoïsme, nous voudrions que le soleil se voilât et s'obscurcît pendant nos deuils, sans songer qu'au même moment il doit, ailleurs, éclairer des fêtes et des joies.
On peut être très généreux avec fort peu d'argent à sa disposition, et très ladre tout en dépensant des millions.
La femme pleure si souvent, et avec une satisfaction de soulagement si évidente, qu'on est tenté de se demander s'il n'est pas charitable de lui fournir de temps en temps une occasion de pleurer.
Si tout paraît grand dans la nature, c'est que l'homme y est bien petit.
Pour venir jusqu'à nous, les mauvais propos tenus sur notre compte ont des ailes : les bons ont, au contraire, un boulet à chaque pied.
Le mal est peut-être un levain nécessaire dans la pâte humaine.
Contre les grandes passions, personne ne peut se flatter d'avoir le dernier mot.
Infidèles parchemins, la plupart des femmes ne savent garder aucun des mots foi, amour, dévouement, que nous traçons sur elles. Le plaisir passe, et d'un souffle efface tout.
Le bûcher sur lequel montent les veuves parisiennes, c'est le second lit nuptial.
Qu'il s'agisse d'œuvres artistiques ou littéraires, de monuments, d'esthétique féminine même, comme le laid l'emporte de beaucoup en ce monde sur le beau, il arrive que le bon goût, pour celui qui a le malheur de l'avoir reçu en partage, est une source de souffrances bien plus que d'agrément.
Dans certains malheurs, la fortune, au lieu d'être un soulagement, est une aggravation.
Tel, qui ne pense même pas à complimenter ses amis sur les succès mondains qui leur arrivent, comme un gros héritage, la décoration, la députation, et cela, parce que ce sont à ses yeux de vains et méprisables hochets dont il fait fi lui-même, tel passe pour un envieux, lorsqu'il est, au contraire, un vrai philosophe détaché de tout.
Ce qui est le bon goût pour les uns est le mauvais goût pour les autres.
Il est bon de fréquenter un peu les autres hommes, ne serait-ce que pour mieux s'estimer soi-même.
Presque toutes les personnes qui prétendent se bien connaître elles-mêmes pourraient ajouter, si elles étaient sincères : — Et j'ai là une triste connaissance.
Même lorsqu'on l'a prêté à un indigne, un serment doit être tenu pour sacré.
Prenez du café et du lait, deux choses excellentes, prises séparément ; mélangez-les, et vous obtenez le café au lait, aliment pernicieux au dire de la plupart des hygiénistes. C'est ainsi qu'un homme et une femme, très bons chacun à part, peuvent fort souvent faire un détestable ménage.
On dit que Dieu a fait le monde en six jours ; il aurait bien dû en prendre douze, et le mieux faire.
Certains de nos rêves nous font plus souffrir que la plus cruelle des réalités.
L'ongle du temps efface de nos mémoires le souvenir de nos morts les plus chers, aussi aisément que si c'était du pastel.
Les défauts des autres nous offusquent généralement bien moins que leurs qualités.
Que de choses on aimerait à ne pas connaître, afin de retrouver l'impression délicieuse que nous goûtâmes, quand elles nous furent révélées pour la première fois !
Qui de nous n'a rêvé souvent de recommencer une seconde vie, en profitant de l'expérience acquise au cours de la première ? Et pourtant il est bien probable que, si nous ne commettions pas les mêmes fautes, nous en referions d'autres, et de plus grosses peut-être.
Le même homme qui a résisté à un coup de massue succombe à une piqûre d'épingle.
Nous sommes toujours portés à exagérer les défauts dont nous sommes parvenus à nous corriger, comme les maladies dont nous nous sommes guéris, parce que nous pensons que cela fait mieux ressortir notre vigueur physique et notre énergie morale.
Quand nous franchissons, vieillis et désabusés, le seuil d'une maison où nous fûmes jeunes et heureux, nous nous faisons à nous-mêmes l'effet de notre propre fantôme.
L'homme change tellement avec le temps, qu'il finit par évoquer avec une parfaite indifférence le souvenir des malheurs qui l'ont atteint le plus cruellement, comme si ces choses étaient survenues à tout autre qu'à lui-même.
Le bonheur est semblable à ces génies ailés dont parlent les contes, qui vous enlèvent quelques instants avec eux dans l'azur, mais pour vous laisser presque aussitôt retomber lourdement à terre.
Non seulement l'homme délicat dissimulera son bonheur auprès d'un malheureux, mais il feindra d'être malheureux aussi.
Grattez la femme brune, et vous retrouverez la blonde.
La femme excelle à se partager entre plusieurs hommes, sans rien donner d'elle-même que le strict nécessaire.
Comme beaucoup de fleurs, beaucoup de femmes n'ont de réellement agréable que le nom.
Non seulement certaines femmes se vendent, mais elles se marchandent, ce qui est encore pire.
Pour bien des femmes, la vertu n'est qu'un avantage qu'il est habile de se donner sur les autres, pour se ménager une supériorité.
Ce qui rend, en amour ou en amitié, l'absence de l'être qui nous est cher encore plus douloureuse à supporter, c'est que par un singulier mirage, à travers la distance, les gens nous apparaissent parfaits.
Nous raillons souvent les vieillards, nous accordons à peine aux malades une pitié méprisante, et nous voyons avec une suprême indifférence la mort des autres, comme si nous ne devions jamais nous-mêmes devenir vieux, infirmes, et mourir !
A un certain âge l'homme, voyant tout lui échapper, est heureux de retrouver, engourdie dans un coin de son cœur, quelque passion secondaire, qui n'a joué jusque-là qu'un rôle tout à fait insignifiant dans son existence, de la réveiller, de la cultiver, et de vivre sur elle, faute de mieux.
La bienfaisance, voilà la seule distraction permise aux vieillards.
Certaines gens, qui sont lâches devant le plus insignifiant malaise, mettent, en revanche, un courage héroïque à supporter des remèdes mille fois plus douloureux que le petit mal dont ils veulent guérir.
L'homme a souvent plus de résistance contre les grands malheurs de la vie que contre les petites contrariétés.
Certaine générosité qui se débarrasse de toutes les obligations morales et sociales avec de l'argent, qui ouvre la bourse sans ouvrir le cœur, n'est qu'une des pires formes de l'égoïsme.
Les épreuves les plus délicates pour un homme sont celles qui le mettent en demeure d'exercer son libre arbitre.
La femme qu'un homme a fait une fois pleurer injustement est désormais bien forte contre lui.
Dans la douleur que nous cause la mort de nos proches, il entre, comme dans tous les sentiments humains, et sans que nous nous en rendions compte nous-mêmes, une certaine dose d'égoïsme. C'est ainsi que nous souffrons de la perte d'un père et d'une mère, non seulement à cause de l'amour que nous leur portons, mais aussi parce qu'il semble que leur disparition nous laisse plus à découvert devant la mort, de même que le soldat se trouve plus exposé aux coups de l'ennemi, quand le premier rang de camarades qui le couvrait est tombé dans la bataille.
L'homme habile est celui qui sait marcher à son but en lui tournant le dos, comme font les rameurs pour gagner le rivage.
Nos violences contre autrui ne proviennent bien souvent que d'un grand mécontentement contre nous-mêmes.
Entre gens civilisés, une nuance est un abîme.
S'il est déjà très difficile, entre homme et femme, de s'élever à l'amour après avoir commencé par l'amitié, il l'est encore plus de s'arrêter à l'amitié en revenant de l'amour. Après cette expérience, les deux désabusés se réfugient généralement dans l'indifférence, quand ils ne tombent pas jusqu'à la haine.
A un certain âge, après d'innombrables lectures, nous nous apercevons que nous consentirions à peine à sauver six ouvrages d'un naufrage général, et encore que ce que nous voudrions retenir réellement de cette petite phalange d'élite, tiendrait aisément dans un seul volume.
Sans la faculté de l'oubli, la vie serait insupportable.
Voulez-vous vous rendre compte de l'attrait qu'exerce sur nous le fruit défendu ? En passant, par exemple, dans une rue, du côté droit, imposez-vous d'arriver sans avoir jeté un seul coup-d'œil sur les maisons du côté gauche. Cela n'a l'air de rien, et pourtant telle est la puissance d'attraction de la chose interdite, qu'il faut un effort très réel de volonté pour se tenir parole.
Soyez homme, dit-on à quelqu'un qui verse des larmes dans un grand chagrin. Il pourrait répondre que c'est justement parce qu'il est homme qu'il pleure !
Malheureux en ce monde celui qui n'a pas le sentiment du devoir ! Pour les faibles, les timides, les nonchalants, le devoir est l'aiguillon qui les pousse en avant. Pour les forts, les hardis, les ambitieux, c'est, au contraire, un frein salutaire qui les retient et les empêche de verser dans les mauvais chemins. Pour tous, enfin, c'est un guide infaillible.
Il en est des consciences comme des estomacs ; les unes se soulèvent plus ou moins facilement que les autres.
Ce sont les amis les plus délicats qui passent souvent pour indifférents par leur discrétion même à laisser ignorer les services rendus.
L'amitié ne perd rien à être tenue à un peu de déférence.
Deux hommes qui commencent à se fréquenter n'échangent guère entre eux que des compliments ; ils ne sont encore que simples connaissances. C'est la première phase. Bientôt il se mêle quelques pointes de critique aux jugements qu'ils portent l'un sur l'autre. Deuxième phase : c'est la camaraderie. Enfin ils en arrivent à se permettre de se dire en face. les choses les plus désagréables. Plus de doute : C'est l'amitié.
La Nature, dont nous nous plaignons à chaque instant avec tant d'amertume, aurait pu cependant faire plus mal les choses. Que dirions-nous, par exemple, si la pluie, qui se borne à mouiller les vêtements, les tachait comme de l'encre ou les brûlait comme du vitriol ?
La femme qui est à vendre n'est jamais à acheter.
On peut avoir pour cent mille francs de succès sans avoir pour deux sous de talent.
Tandis que le fou s'agite, le sage rêve.
Ce n'est rien d'être mort, mais c'est tout de mourir !
L'homme délicat regarde en toute chose de quel côté se trouve son intérêt et il fait presque toujours le contraire.
Chose triste à dire, en ce monde nous sommes plus souvent malheureux par nos qualités que par nos défauts.
Il y a des hommes de beaucoup de talent qui manqueront toujours de la mise de fonds préalable des cinq ou six premiers admirateurs qu'il faut à Paris pour faire une réputation.
Le jeune homme cherche le bonheur dans l'imprévu ; le vieillard dans l'habitude.
Le sage ne cherche pas à se venger de ses ennemis ; il laisse ce soin à la vie.