Titre : Les rêveurs amoureux d'une étoile.
Recueil : Les sonnets et poésies choisies (1878)
I.
Ô rêveurs ! ô rêveurs ! Amoureux d'une étoile ;
D'une barque qui passe ouvrant sa blanche toile ;
Du murmure enchanteur que disent les forêts ;
Des épis, dont l'été couronne nos beaux guérets !
Tout vous sourit, vous charme : un oiseau qui s'envole ;
Les jeux si turbulents de l'enfance frivole ;
Le pâtre qui descend dans le creux des vallons ;
Le quadrille sonore animant les salons !
Vous coulez vos instants dans un vague délire,
Qui semble vous bercer des soupirs d'une lyre :
Quand au monde réel vos regards sont fermés,
Vous marchez en suivant vos rêves bien-aimés !
Vous touchez avec peine aux choses de la terre :
Rien ne vous plaît autant que l'ombre ; le mystère ;
Les chants du rossignol ; les plaintes des roseaux ;
Les échos du ravin ; les soupirs des ruisseaux ...
Ce qu'il vous faut, à vous, c'est la verte prairie ;
C'est le bruit du torrent ; c'est l'église où l'on prie ;
C'est la nuit où la lune est brillante à nos yeux ;
C'est le soleil en feu roulant au haut des cieux !
Votre âme se transporte aux doux souffles des brises ;
Au choc du flot amer qui bat les roches grises ;
Au passage du daim fuyant dans les halliers ;
À l'orage courbant bouleaux et peupliers !
Les airs sont pleins, pour vous, de sylphes et de fées.
Aux bois vous entendez les rondes des nymphées : —
L'erreur séduit vos sens, et vous ne voyez pas
Que la réalité partout, ici-bas, est sous vos pas !
II.
Vous ne connaissez point ce lourd fardeau que lève,
Sans fin, l'humanité... Nous le portons, sans trêve,
Sous le froid, sous les feux du zénith flamboyant.
Nous, la fatalité, nous pousse et nous emporte ;
Et le malheur se tient assis à notre porte,
Comme un chien aboyant...
III.
Vous, vous vivez heureux et passez dans ce monde
Sans souiller votre cœur à cette boue immonde,
Qui couvre nos chemins :
Allez, allez, rêveurs ; poursuivez vos chimères :
Elles gardent pour vous des heures moins amères,
Et donnent à vos soirs de riants lendemains !
Allez, allez, rêveurs ! Votre âme de poète,
Que tout sait émouvoir, pour souffrir n'est point faite :
Vous trouverez toujours
Le calme des hameaux ; des bois l'épais feuillage ;
D'harmonieuses voix aux cloches du village,
Et des plaines d'azur, — pour embellir vos jours !
Clément Michaëls