Un solitaire aimé d'un chien, ou d'un animal quelconque, n'est plus un solitaire.
Le cœur est fait pour aimer ainsi que l'eau pour couler ; un cœur peut bien avoir ses hivers, ses cristallisations, ses léthargies, mais il se dilate, se fond et se remet en mouvement aux premières chaudes brises du printemps, au premier rayon de soleil.
Notre cœur est toujours à la hauteur de notre esprit, car l'amour est l'enfant de la pensée.
Le désir et le soin de plaire sont le propre des âmes belles et tendres en qui le besoin d'être aimées naquit un jour du besoin d'aimer.
Le meilleur livre de morale, pour un jeune homme, c'est une femme estimable et aimée. Une réprimande n'est alors qu'une légère égratignure. On ne se fait pas une idée de la douceur et de l'efficacité d'une réprimande placée entre deux baisers !
L'homme croit gouverner, c'est à peine s'il règne ; il se croit le maître quand il n'est que l'esclave ; partout et toujours l'homme s'agite, et la femme le mène.
Quoiqu'on en dise, une femme est plus capable qu'un homme de garder un secret, parce qu'elle en comprend mieux l'importance. La discrétion d'une femme est parfaite quand l'amour ou l'amitié en est le sceau.
Rendons justice aux femmes, elles pratiquent ordinairement les belles actions que les hommes se contentent de projeter.
Les femmes ont toutes beaucoup de cœur dans la cervelle ; les hommes ont, en général, beaucoup trop de cervelle dans le cœur. En d'autres termes, les hommes aiment avec la tête, les femmes pensent avec le cœur.
Les riches font l'aumône avec de l'argent ; les gens d'esprit avec de l'indulgence.
Si la fortune fuit et méprise tant les gens d'esprit, qui le lui rendent bien, n'est-ce point par jalousie de les savoir plus riches qu'elle ?
Riches et savants de la terre, sachez-le bien, c'est moins votre argent et votre science que les pauvres et les ignorants désirent que vos égards et votre estime. Le mépris des riches pour les pauvres fait plus de voleurs que le besoin.
L'illusion, comme l'espérance, s'attache opiniâtrement à l'homme et l'accompagne jusqu'au tombeau. La plus grande et la plus trompeuse des illusions est certainement celle de croire qu'on n'en a plus.
La vie est un rosaire de déceptions marmoté en jurant par le vulgaire, mais que le philosophe égrène en riant. Pour celui-ci, la déception même se change en plaisir par l'étude.
On peut arriver à son but par les deux contraires. Souvent, l'extrême audace est l'extrême prudence : l'homme prudent passe tard et sans être aperçu ; l'homme audacieux passe vite et sans qu'on ose l'apercevoir : cela revient au même.
Défie-toi de la générosité de ceux qui se plaignent des ingrats, et garde-toi de demander un service à qui s'étonne d'une belle action ; car, s'étonner du bien c'est s'avouer incapable de le faire.
Promettons peu afin de pouvoir tenir beaucoup.
Oblige tôt si tu veux obliger doublement ; obliger tard c'est avoir désobligé longtemps ; et tu donnes toujours trop tard quand tu t'es laissé demander.
Bien donner est une chose rare et difficile : aussi y a-t-il beaucoup moins d'hommes généreux et d'ingrats qu'on ne pense. Bien recevoir est aussi difficile que bien donner.
Si chacun s'occupait des autres, personne n'aurait à s'occuper de soi.
Laissons-nous désirer si nous ne voulons pas être importuns. Hélas, les malheureux en ce monde ne sont jamais désirés ! et les amis qui ont besoin d'argent non plus.
Défions-nous de ceux qui offrent de se lier par une signature ou par un serment, deux choses qui n'ont pu être inventées que par des parjures.
La flatterie est un poison de mensonge qui enivre et corrompt.
La modestie, quand elle est vraie, est la pudeur de l'esprit ; mais le plus souvent elle n'est qu'un voile dont nous couvrons notre amour-propre et notre vanité.
Si l'honneur est rarement le chemin des honneurs, les honneurs sont plus rarement encore le chemin de l'estime.
Pourquoi la morale et la politique ne peuvent-elles pas vivre ensemble ? Est-ce donc que la morale est nécessairement impolitique ? Et la politique, nécessairement immorale ?
La timidité tient plus de l'amour-propre que de la modestie. Le timide connaît son endroit faible et craint de le laisser apercevoir, un sot n'est jamais timide.
L'esprit de bien des gens consiste uniquement à savoir cacher celui qu'ils n'ont pas, et c'est là, vraiment, une plus grande preuve d'esprit qu'on ne pense.
Si tu veux connaître les défauts et les vices secrets d'un homme, prend le contrepied des qualités et des vertus dont il se vante.
Le cœur humain est une île escarpée où l'on aborde mais où l'on ne peut pénétrer ; c'est un livre mystérieux où il serait plus utile qu'agréable de savoir lire couramment.
Un cœur vertueux est un vase rempli d'une liqueur précieuse qu'il faut toujours tenir bien droit et tourné vers le ciel, car la vertu s'écoule, si peu que le cœur vienne à pencher vers la terre !
Comment distinguer sûrement les fous des sages ? On est sage tant que l'on court après la sagesse, et on est fou dès que l'on croit l'avoir attrapée.
Le plus sage des hommes marche entre deux maîtresses : l'erreur et la vérité, et celle qu'il caresse le plus souvent n'est pas celle qu'on pense.
Le moins ignorant d'entre les savants est celui qui, appréciant la science humaine à sa juste valeur, définit modestement la plupart des choses : un je ne sais quoi.
Les savants et les sots, comme les oies sauvages, aiment à se réunir et à voyager en troupes. Le philosophe, comme l'aigle, aime à s'élever solitaire dans les cieux d'où il plane au-dessus des préjugés des savants et des sots.
Affecter un air de supériorité dédaigneuse, c'est se montrer inférieur à ceux que l'on croit surpasser : on n'affecte que ce qu'on n'a pas.
Personne ne passe aujourd'hui pour ce qu'il est réellement, mais pour ce qu'il paraît être. On n'est point savant parce qu'on est académicien, mais parce qu'on en porte l'habit.
Les hommes se jugent à leurs chutes. Toute chute qui ne donne point à l'homme tombé un ressort pour remonter, ou pour s'élever plus haut, ne fait que le remettre à sa place.
Semons, mais ne plantons point les idées nouvelles. Plantées, elles donnent trop vite des fruits qui tombent et ne valent rien. Semées, au contraire, elles subissent la sage lenteur du temps qui ne respecte que ce qu'il fonde et développe.
Comportons-nous avec une idée nouvelle, comme avec une chaussure neuve : essayons-la ; prenons le temps de nous y accoutumer ; et nous verrons, souvent, que cette idée ne nous blessait, d'abord, que parce qu'elle était neuve.
Les sots seraient moins prompts à rire d'une proposition contraire à l'opinion reçue, d'une proposition extraordinaire mais vraie, dont la vérité leur échappe ; d'un paradoxe, en un mot, s'ils savaient qu'ils rient de leur propre ignorance.
Il est une règle sans exception, la voici : il n'y a point de règles sans exception.
On appelle législateurs des hommes qui font des règles pour les autres et des exceptions pour eux-mêmes.
En général, le temps employé à maximer la morale est un temps perdu pour la pratiquer. Bien des gens ne parlent tant, et si haut, et si sententieusement de la fraternité, de la charité, de la vertu, que pour s'étourdir de ne les point pratiquer en secret.
La théorie, quoiqu'on en dise, est le chemin le plus long pour arriver à un but : c'est une lumière allumée dans le vide des faits. La pratique, au contraire, renferme toujours la théorie qui sort naturellement de la pratique comme la flamme sort du feu.
L'égoïste exclusif, son objet c'est d'être heureux isolément en écartant de lui tout ce qui peut opposer le moindre obstacle à son bonheur.
On peut être beau de laideur et laid de beauté ; spirituel de bêtise et bête d'esprit ; fou de sagesse et sage de folie : les extrêmes se touchent et se valent.
La destinée humaine consiste dans la plénitude de l'être, résultant de l'universalisation de l'individu.
Les ruisseaux babillent beaucoup parce qu'ils manquent de profondeur ; les grands fleuves sont silencieux.