Tous les hommes sont mortels, mais chacun pour soi-même, n'y croit pas.
À force de compliquer notre vie, nous ne savons plus jouir de la vie.
Le rêveur, impatient de progrès, met à l'avance les aiguilles de l'horloge ; mais l'événement, brusquement, les ramène à l'heure.
Il importe peu de détester le passé, mais beaucoup de préparer l'avenir.
Je suis, à chaque moment, tout ce que j'ai été, plus ce que je suis en l'instant rapide qui s'écoule et me fait déjà ce que je serai.
La mélancolie des jeunes gens n'est que l'appétit du bonheur.
Il ne faut pas trop regarder dans les coins avec les personnes que l'on fréquente.
On ne fait pas l'éducation d'un enfant avec le savoir qu'on a, mais avec son caractère.
Reconnaître n'est pas seulement se souvenir, c'est encore, et surtout, commencer à comprendre.
L'art vit d'inventions, non de répétitions ; l'art vit d'audaces et non de timidités.
On a tort, à mon avis, de coiffer du même bonnet le pessimiste qui souffre et le pessimiste qui raisonne. Celui-là juge peut-être que la vie est mauvaise ; mais celui-ci a l'ambition puérile de prouver qu'il est plus fâcheux de vivre que de mourir.
La vie du cœur tient entre ces deux moments : attendre, se souvenir.
Je ne suis pas homme qui juge seulement avec sa raison, mais qui voit avec ses yeux, et qui entend avec ses oreilles.
L'esprit et la bêtise sont de proches voisins, mais des voisins qui ne se fréquentent pas.
On ne jette pas en l'air une bêtise qu'un badaud ne la rattrape.
Le vaniteux a soif de louanges ; l'orgueilleux a soif de domination.
Mon sentiment, mon instinct, n'est pas si muable que ma raison. Le jugement que j'énonce peut changer, mon opinion, ma croyance, mais non pas au même degré ma manière de sentir. Il semble que l'un soit plus profondément situé en moi que l'autre, et plus moi-même que l'autre.
L'homme peut entreprendre quoi que ce soit, mais il revient toujours dans le chemin que la nature lui a d'abord désigné.
Parmi nos hommes célèbres combien il s'en trouve qui n'ont jamais pensé à rien !
Plus d'une fois la secrète indifférence prend le vêtement d'un chaud discours.
Un vice, a-t-on dit, c'est de la vertu mal employée.
Nos défauts et nos qualités se tiennent, affaire de degré et de moment.
Ce qui est un défaut dans la pensée peut aussi être une qualité dans l'action.
Tous les hommes sont mortels : nul ne le conteste, mais chacun, pour soi-même, n'y croit pas.
On se flatte de laisser sa faute derrière soi, mais on la retrouve devant soi.
J'entends parler d'arts qu'on ne pourrait dépasser ni rajeunir. Mais où donc finit la perfection ?
Ce que la langue dépense, l'action ou la réflexion le perd.
On ne dispute guère pour s'entendre, on s'accorde pour disputer.
L'art, quel qu'il soit, transfigure le sentiment qu'il exprime ; et c'est par là que les divers arts restent voisins l'un de l'autre, tandis qu'ils semblent si différents, par leurs moyens d'expression, par leur langage.
L'injustice est cruelle et amère pour le cœur d'un jeune homme !
Tout en me laissant bercer au son des mots, je ne suis pas fâché de les comprendre.
La pire des ignorances est d'ignorer ses compétences.
Il est vain d'accuser le temps où l'on vit, puisqu'on n'en peut pas sortir.
Les émotions me laissent une trace profonde. Je me rappelle les événements pénibles, les heures cruelles, plus vivement encore que les moments heureux ; le rappel soudain d'une tristesse passée me gâtera une joie présente, plutôt que l'évocation d'une joie ne me fera oublier une tristesse.
L'intelligence est capable de suppléer, jusqu'à un certain point, les dons spontanés, mais elle ne saurait toutefois les remplacer entièrement ; rien n'est donc plus vain que de demander à l'étude ce qu'elle ne pourrait jamais fournir ; l'application ne mène pas loin, quand la nature n'a pas fait les premiers frais.
Du pain et de la justice, voilà le premier besoin du peuple.
« Je ne sais pas. » Une phrase que ne connaissent pas les imbéciles.
Divorcer est plus facile que discuter.
J'ai toujours été partagé entre un être raisonnable, positif, disposé à un optimisme confiant, et un être sentimental teinté de pessimisme. Après un assez long temps d'union parfaite, chacun de ces Moi a commencé de vivre sa propre vie, tantôt se prêtant secours et tantôt se contrariant, sans que jamais l'un ait réussi à évincer l'autre.
La philosophie passe moins aisément dans les faits, que les faits ne passent dans la philosophie.
J'accorde peu de valeur aux jugements qui se fondent sur des comparaisons insuffisantes entre un passé que l'on déprécie et un présent que l'on surestime. Qui ne sait pas voir l'âme d'une époque en ignore tout.
Mieux vaut mourir que de vivre dans la douleur.
Mieux vaut faire un emprunt volontaire qu'un emprunt forcé.
En politique, il n'est point de gens plus pressés de marcher que ceux qui ne savent où ils vont.
Un paysage a ses senteurs comme il a ses couleurs et ses contours. Il suffit d'une sensation retrouvée en passant pour nous rappeler un lieu, une personne, un événement. On n'oublie guère une odeur dont on a eu, même fugitivement, la nausée ou le plaisir.
Le plaisir des yeux est le point de départ du sentiment.
Trop de sagesse empêche parfois de faire de grandes choses.
Charmantes fleurs de l'illusion, à qui trancherait le fil léger qui vous lie à notre terre il ne resterait bientôt plus, dans le voyage de la vie, qu'une obscurité morne et la lourde fatigue du chemin.
Pour qui a bien placé son orgueil, mieux vaut rompre que plier.
On ne désire pas une chose parce qu'elle est bonne, mais une chose est bonne parce qu'on la désire. Et cela est vrai de toutes nos préférences. Elles viennent de nos dispositions naturelles ou acquises, de notre tempérament, de nos habitudes et de nos expériences passées. La meilleure raison de préférer est toujours que l'on préfère.
Les destinées malheureuses de certaines familles composeraient un triste récit. La ruine d'une maison autrefois vivante m'afflige toujours ; il me semble qu'une force sociale s'est éteinte, ou qu'une eau pure s'est perdue par quelque fissure secrète du réservoir dans la fange du chemin.
Le génie en ce monde est une exception, et le véritable savoir ne sera jamais dans la main du plus grand nombre ; mais la santé de l'esprit, la réserve dans le jugement et la conduite peuvent s'acquérir par un enseignement bien entendu, et en seraient, à mon avis, pour la majorité des hommes le fruit le plus précieux.
Le genre d'immortalité que je souhaiterais de posséder serait de revivre une année par siècle et de venir passer la tête à la fenêtre de notre petit monde pour y voir la suite de toutes les choses commencées. Notre histoire est un vrai roman en feuilleton, le plus intéressant qu'on puisse écrire ; il est dommage que chacun manque à tour de rôle à en lire le plus prochain numéro.
Toutes les classes d'une société ne s'élèvent pas à un même niveau ; la haute pensée de quelques-uns ne sera jamais celle de tous les hommes.
On rencontre ici et là, dans nos sociétés, des illettrés qui sont des héros du cœur, des personnes honnêtes et bienveillantes, et je les préfère à tous les habiles de ce monde. Nous paraissons avoir oublié ce que vaut l'honnêteté, l'abnégation ; ou du moins nous ne les estimons pas leur juste prix.
La sensation visuelle a chez moi un rôle aussi important que la sensation auditive dans la réminiscence des sons. La lecture d'un motif que j'ai entendu le grave dans ma mémoire. Je ne suis donc pas un pur « auditif », et des images accessoires sont nécessaires à ma mémoire musicale. De même, je retiens assez vite les vers que j'ai lus et plus difficilement les vers que j'ai entendu seulement réciter. Dans l'étude d'une langue étrangère, les yeux me servent surtout. Un mot que j'entends prononcer ne reste pas dans ma mémoire, si je n'en connais pas l'orthographe et si je ne peux me le représenter visuellement. C'est pourquoi peut-être le livre de classe m'a toujours été indispensable ; la parole du professeur n'aurait pu le remplacer.
Condamner la vie parce qu'on est fâché de sa vie, quel excès de vanité ! Bien fous sont les doctrinaires du non-être de crier après le moulin à vent pour l'empêcher de tourner. Le même vent qui les fait crier continue à faire aller le moulin, et c'est là l'éternelle histoire de ce monde.
Il y a tout profit à entrer bravement dans la science, à faire effort ; les premiers succès encouragent, et l'on estime l'étude à la peine qu'elle coûte. Les livres faciles, ces jolis livres roses, les paresseux en usent comme font des dragées les enfants gourmands, qui sucent le sucre et jettent l'amande ; mais, pour les appétits sains, l'amande fraîche est toujours la plus savoureuse. Il n'importe pas tant de rendre la science « amusante » et de la mettre en pilules comme trop amère à goûter, que d'enseigner avec mesure et méthode, avec clarté et simplicité. Il faut saisir le taureau aux cornes, prendre peine ; le savoir solide est à ce prix.
Le courage est une monnaie d'argent, le sang-froid une monnaie d'or.
Croire est peut-être une naïveté, douter une faiblesse, mais c'est la marque assurée d'un esprit inquiet d'être incapable de la foi comme du doute.
Vice ou défaut, l'habitude du mensonge emporte une diminution de soi.
Pitié banale, celle que fait naître la vue d'une plaie saignante. Pitié plus rare, celle qui s'emploie à garder autrui d'une souffrance.
Compte sur la pitié qui vient de la raison, celle qui vient du sentiment est plus variable.