Titre : Tes premiers pas mon fils.
Recueil : Les beaux jours de la vie (1914)
Ô mon fils bien-aimé, rayon de ma pensée,
Pour la première fois, dans l'espace, aujourd'hui,
Nous t'avons vu, quittant ta nourrice empressée,
T'élancer, courageux, et marcher sans appui !
Tu grandis, et déjà tu sens ta jeune force
Te pousser en avant à travers la maison !
Telle, au printemps, la sève apparaît sous l'écorce,
Et fait des rameaux verts sortir la floraison.
Enfant, ces premiers pas, inhabiles encore,
Ces timides essais, cet élan spontané,
C'est l'appel de la vie, en toi voulant éclore,
C'est le divin bonheur d'agir et d'être né !
La dure expérience avec eux se révèle ;
Elle va diriger tes frêles mouvements,
Te parer chaque jour d'une grâce nouvelle,
Et former tout ton être aux fiers enchantements !
Les mois, les ans verront s'en aller ta faiblesse,
Et croître la vigueur de ton bras plus hardi ;
Tes muscles acquerront la force et la souplesse,
Et, sous tes yeux charmés, l'horizon agrandi
Déploiera ses attraits, ses beautés, ses parures,
Grands bois mystérieux, champs féconds, verts coteaux,
Cités pleines d'éclat, de gloire et de murmures,
Mer immense roulant l'infini dans ses eaux !
À ton esprit, alors, sentant battre des ailes,
Filles de l'espérance et de l'illusion,
Tu voudras t'affranchir de toutes les tutelles,
Pour marcher, comme un roi, dans la création !
Le vin de la jeunesse empourprera ton verre,
La Liberté, l'Amour seront tes échansons ;
Et les fleurs du chemin, rose, œillet, primevère,
Lorsque tu passeras, te diront leurs chansons ?
Tu prendras les sentiers où j'ai passé moi-même,
Dans la fougueuse ardeur de mes vingt ans lointains ;
La lyre, chère aux Dieux, deviendra ton emblème,
Et portera bonheur à tes nouveaux destins !
Tu feras résonner ton pas ferme et prospère ;
Toi, si faible aujourd'hui, tu seras triomphant !
— Et, lisant ce poème, empli des vœux d'un père,
Tu souriras d'avoir été petit enfant !
Hippolyte Buffenoir (1847-1928)