La poésie française sur la peine.
1 - La peine en poèmes :

Des poétesses
Marie-Édouard Lenoir et
Louisa Siefert en passant par le « Prince des Poètes, »
Paul Verlaine, ou
Alfred de Musset, ce recueil de poésies contient 11 poèmes sur le thème de la peine. En 1797,
Charles-Gilbert Morel de Vindé, dans son petit traité de morale mis à la portée des enfants et exprimé en quatrains, intitulé
La Morale de l'enfance, disait :
Mes enfants, ne perdez jamais votre gaieté ; elle aide à supporter le travail et la peine. Fille de la vertu, mère de la santé, d'un cœur honnête et pur c'est la marque certaine.
2 - Les poèmes, quatrains et sonnets sur la peine :
Poème : Chagrin.
Recueil : L'adolescence et l'âge mûr (1882)
Me faudra-t-il toujours cacher
Le chagrin dont mon âme est pleine ?
Mon cœur, ne pouvant s'épancher,
Fléchit sous le poids de la peine.
D'un regard morne et désolé,
Je cherche vainement dans l'ombre
Le beau ciel jadis étoilé
Qui, désormais, restera sombre.
Pourquoi faut-il que le bonheur
Ait une aussi courte durée ?
Un instant brille sa lueur
Pour laisser l'âme déchirée.
On chante gaiement le matin ;
Le soir on pleure, on se lamente :
Souffrir, ah ! voilà le destin
De toute créature aimante.
Marie-Édouard Lenoir (1845-1916)
Poème : De la tendre amitié.
Recueil : La morale de l'enfance (1797)
Enfants, quand à nos cœurs vous faites de la peine,
N'allez pas rechercher si c'est avec raison.
Ne voyez, ne sentez que notre affliction ;
Et, pour y mettre fin, que rien ne vous retienne.
Le méchant se complait dans le malheur des autres ;
Mais son propre malheur punit ses sentiments.
Si nous donnons à tous des peines, des tourments,
Personne ne plaindra, ni n'adoucira les nôtres.
Qui peut à faire mal prendre un plaisir funeste
En est bientôt puni par un vif repentir.
Mais quand pour faire bien on aurait à souffrir,
La peine en passe vite ; un long plaisir nous reste.
Il faut avoir connu soi-même la douleur
Pour savoir compatir aux peines de son frère.
Un bonheur trop constant gâte le caractère ;
Et la meilleure école est celle du malheur.
Charles-Gilbert Morel de Vindé (1759-1842)
Poème : La tristesse.
Recueil : Les échos du rivage (1857)
Pouvez-vous donc ainsi douce mer, beaux rivages,
Briller et parfumer ; et toi soleil joyeux,
Peux-tu si bien sourire à l'azur sans nuages,
Quand j'ai le cœur en deuil, et des pleurs dans les yeux.
Oiseaux ne pouvez-vous, taisant vos gais ramages,
Laisser pour un moment le bois silencieux,
Et toi brise qui vas chuchotant aux feuillages,
Peux-tu jouer ainsi sur mon front soucieux !
Quand la bise et l'autan amenaient l'hiver sombre
Qui, soleil, rive et flots vous voilaient de tant d'ombre,
Quand muets et pour eux, oiseaux vous fuyez tous :
Vous qui jetez de chants à ma mélancolie
Ou qui lui souriez ; votre enjouement oublie
Ingrats ! combien mon cœur s'attristait avec vous.
Albert Dabadie (1832-1866)
Poème : Une amère souffrance.
Recueil : Les poésies nouvelles (1852)
Non, quand bien même une amère souffrance
Dans ce cœur mort pourrait se ranimer ;
Non, quand bien même une fleur d'espérance
Sur mon chemin pourrait encore germer ;
Quand la pudeur, la grâce et l'innocence
Viendraient en toi me plaindre et me charmer,
Non, chère enfant, si belle d'ignorance,
Je ne saurais, je n'oserais t'aimer.
Un jour pourtant il faudra qu'il te vienne,
L'instant suprême où l'univers n'est rien.
De mon respect alors qu'il te souvienne !
Tu trouveras, dans la joie ou la peine,
Ma triste main pour soutenir la tienne,
Mon triste cœur pour écouter le tien.
Alfred de Musset (1810-1857)
Poème : Écoutez la chanson bien douce.
Recueil : Sagesse (1881)
Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !
La voix vous fut connue (et chère ?)
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile,
Qui palpite aux brises d'automne.
Cache et montre au cœur qui s'étonne
La vérité comme une étoile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D'être simple sans plus attendre,
Et de noces d'or et du tendre
Bonheur d'une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n'est meilleur à l'âme
Que de faire une âme moins triste !
Elle est en peine et de passage,
L'âme qui souffre sans colère,
Et comme sa morale est claire !...
Écoutez la chanson bien sage.
Paul Verlaine (1844-1896)
Poème : La peine d'autrui.
Recueil : Les échos du rivage (1857)
Du ciel le plus limpide et le plus radieux,
Un nuage parfois assombrit l'atmosphère ;
Ainsi quelque pensée inquiète ou sévère,
Voile parfois d'ennuis les fronts les plus joyeux.
Souvent ceux que le plus on envie ou révère,
Ceux-là dont le bonheur luit le plus et le mieux,
S'en vont portant au cœur, sur un brillant calvaire,
Leur couronne d'épine, invisible à nos yeux.
De la peine d'autrui nul ne sait la mesure,
Nul n'en approfondit la plaie et la torture,
Et n'en sait calculer l'amertume et le poids :
Mais tous ont bien leur part, que chacun s'y résigne,
Homme, fils des douleurs, chacun porte sa croix,
C'est de l'humanité l'inévitable signe.
Albert Dabadie (1832-1866)
Poème : Les deux rameurs.
Recueil : Jour à jour, les poésies intimes (1880)
La peine et mon cœur se connaissent bien,
Le jour et la nuit ils vivent ensemble.
Quand ma peine dort, mon cœur n'en sait rien ;
Quand elle s'éveille, hélas ! mon cœur tremble.
Ils rament à deux sur le même banc ;
Ils tirent d'ahan à la même chaîne ;
Comme deux forçats rivés par le flanc,
Iront jusqu'au bout mon cœur et ma peine.
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
Poème : Chez les souffrants.
Recueil : Jour à jour, les poésies intimes (1880)
Chez les souffrants tu crois que tout est peine,
Tu prends pitié de ce lot rigoureux.
Dieu fait pourtant quelque chose pour eux :
Ne plus souffrir, un peu reprendre haleine,
Est un bonheur ignoré des heureux.
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
Poème : Ce que je déteste.
Recueil : Jour à jour, les poésies intimes (1880)
Hélas ! quand la santé nous quitte,
Presque tout nous quitte à la fois.
Des appels dont le cœur palpite,
Nous ne connaissons plus la voix,
Pour l'âme empêchée et meurtrie,
Tous ces grands mots jadis puissants,
Science, honneur, devoir, patrie,
Cessent presque d'avoir un sens.
Notre horizon tant se resserre
Que le paysage est exclu.
Lorsqu'on n'a pas le nécessaire,
Comment songer au superflu ?
Quand respirer est une peine,
Exister n'est plus qu'un ennui ;
Quand notre corps n'est qu'une gêne,
Comment travailler pour autrui ?
Ainsi, perdant le feu céleste,
Nous semblons vivre et sommes morts :
Voilà pourquoi je vous déteste,
Maladie et langueur du corps.
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
Poème : Vivre, c'est se survivre.
Recueil : Jour à jour, les poésies intimes (1880)
Tout ce que nous avions : santé, gaieté, jeunesse,
Vaillance, espoir, amour, nous délaisse en chemin.
Vivre, c'est se survivre, et qu'on le reconnaisse
Ou non, pauvre à cette heure, on sera nu demain.
La tristesse nous mord, voici la maladie,
Les peines, les dégoûts, l'abandon et le deuil,
L'esprit moins vif, le cœur pesant, l'âme engourdie,
Les horreurs du déclin ... Que fera notre orgueil ?
De nos maux grandissants quel miel se peut extraire
Et quel profit tirer de tous ces jours perdus ?
— Vois un appel de Dieu dans ton destin contraire,
Tes chagrins acceptés vaudront des biens rendus.
Si la force te quitte, acquiers la patience,
Renonce, attends, médite, adore, soumets-toi.
S'arranger de soi-même est toute une science.
Si tu ne peux offrir ton œuvre, offre ta foi.
Et, puisque la douleur partout victorieuse
Est notre lot, apprends l'art de la désarmer.
En la transfigurant par la douceur pieuse
Qui fait d'elle un archange, on arrive à l'aimer.
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
Poème : La jalousie.
Recueil : Rayons perdus (1869)
Ah ! toi, l'indifférent, tu souffres à ton tour :
L'angoisse t'a mordu, les peines sont venues ;
Tu trembles et tu crains en attendant le jour,
Et la nuit te remplit de terreurs inconnues.
J'ai vu luire en tes yeux, par un brusque retour,
Des larmes, jusque-là vainement retenues ;
Et toi, qui ris de tout, toi, qui ris de l'amour,
Pour sonder l'avenir tu regardes les nues.
Tout n'est donc pas mensonge en nos maux ici-bas,
Que tu subis aussi, toi, dont le cœur la nie,
De la loi de douleur la sanglante ironie ?
Et tu peux donc aimer, toi, qui ne m'aimes pas ?
Mais quel déchirement qu'une telle pensée,
Dans ma blessure encore, quelle épine enfoncée !
Louisa Siefert (1845-1877)
3 - Autres recueils de poésies :