La poésie française sur l'amitié.
Le temps fortifie les véritables amitiés.
Passion sublime ! sentiment des grandes âmes, bonheur du monde devant lequel tous les maux disparaissent ou s'affaiblissent, et où tous les biens s'embellissent et s'accroissent : ô divine amitié ! ton nom seul me rappelle tous les charmes de ma vie, disait Bernard Germain Étienne de Laville-sur-Illon, comte de Lacépède (1756-1825)
2 - Les poèmes et sonnets sur l'amitié :
Titre : Je connais un petit ange.
Recueil : Les oiseaux de neige (1881)
À Mlle N***
Je connais un petit ange
Lequel n'a jamais mouillé
Sa blanche robe à la fange
Dont notre monde est souillé.
C'est lui qui donne le change
Au pauvre cœur dépouillé
Que l'amour, vautour étrange,
D'un bec cruel a fouillé.
Cet ange, qui vous ressemble,
Sous son aile nous rassemble
C'est la divine Amitié.
Son regard est doux et calme ;
Il m'offre sa chaste palme...
En voulez-vous la moitié ?
Louis-Honoré Fréchette (1839-1908)
Titre : À mon ami Alfred T.
Recueil : Les premières poésies (1852)
Dans mes jours de malheur, Alfred, seul entre mille,
Tu m'es resté fidèle où tant d'autres m'ont fui.
Le bonheur m'a prêté plus d'un lien fragile ;
Mais c'est l'adversité qui m'a fait un ami.
C'est ainsi que les fleurs sur les coteaux fertiles
Etalent au soleil leur vulgaire trésor ;
Mais c'est au sein des nuits, sous des rochers stériles,
Que fouille le mineur qui cherche un rayon d'or.
C'est ainsi que les mers calmes et sans orages
Peuvent d'un flot d'azur bercer le voyageur ;
Mais c'est le vent du nord, c'est le vent des naufrages
Qui jette sur la rive une perle au pêcheur.
Maintenant Dieu me garde ! Où vais-je ? Eh ! que m'importe ?
Quels que soient mes destins, je dis comme Byron :
« L'Océan peut gronder, il faudra qu'il me porte. »
Si mon coursier s'abat, j'y mettrai l'éperon.
Mais du moins j'aurai pu, frère, quoi qu'il m'arrive,
De mon cachet de deuil sceller notre amitié,
Et, que demain je meure ou que demain je vive,
Pendant que mon cœur bat, t'en donner la moitié.
Alfred de Musset (1810-1857)
Titre : L'amitié.
Recueil : Les poésies diverses (1814)
Toi que d'amour j'aimerais pour la vie
Si pour l'amour tu n'étais sans pitié !
Songes-y bien, près d'aussi belle amie,
Comme d'amour on brûle d'amitié.
De mes transports si ta raison murmure,
Je fais serment d'en cacher la moitié ;
Et je saurai, sans devenir parjure,
Jusqu'au tombeau t'adorer d'amitié.
Frivole amant, je cherchais des amantes ;
Mais je t'ai vue, et j'ai tout oublié.
À les genoux, sur tes lèvres charmantes,
Oh ! laisse-moi m'enivrer d'amitié.
Charles Hubert Millevoye (1782-1816)
Titre : La résolution.
Recueil : Les poésies diverses (1814)
« D'aimer d'amour ne ferai la folie :
Douce amitié vaut mieux qu'amour léger.
Las ! tôt ou tard un amant nous oublie,
Mais un ami jamais ne peut changer. »
Ainsi chantait la jeune et tendre Laure.
Lysis l'entend sans se décourager :
Espoir d'amour vient lui sourire encore ;
Car Laure est femme, et Laure peut changer.
D'amitié simple empruntant le langage,
Sous l'innocence il cacha le danger ;
Baiser d'amour d'amitié fut le gage :
Plus ne restait que les noms à changer.
Charles Hubert Millevoye (1782-1816
Titre : À Alf. T.
Recueil : Les poésies nouvelles (1852)
Qu'il est doux d'être au monde, et quel bien que la vie !
Tu le disais ce soir par un beau jour d'été.
Tu le disais, ami, dans un site enchanté,
Sur le plus vert coteau de ta forêt chérie.
Nos chevaux, au soleil, foulaient l'herbe fleurie.
Et moi, silencieux, courant à ton côté,
Je laissais au hasard flotter ma rêverie ;
Mais dans le fond du cœur je me suis répété
— Oui, la vie est un bien, la joie est une ivresse ;
Il est doux d'en user sans crainte et sans soucis ;
Il est doux de fêter les dieux de la jeunesse,
De couronner de fleurs son verre et sa maîtresse,
D'avoir vécu trente ans comme Dieu l'a permis,
Et, si jeunes encor, d'être de vieux amis.
Alfred de Musset (1810-1857)
Titre : Conseil à l'ami.
Recueil : Les poésies (1851)
L'amitié ! quel nom ravissant !
Tout poète, depuis Homère,
Chante l'amitié, la chimère
La plus chère à l'esprit qui sent !
Que ton avis soit caressant,
Ami ; jamais de voix amère :
Sois semblable à la bonne mère,
Grondant son fils et l'embrassant.
Garde qu'un mot aigre, âme aimante,
Ne tombe en l'amitié charmante,
Breuvage dont la douceur plaît.
Souviens-toi que la moindre goutte
D'acide, quand elle y dégoutte,
Fait vite aigrir le plus doux lait !
Évariste Boulay-Paty (1804-1864)
Titre : L'amitié vint à mon secours.
Recueil : Les stances, À Mme du Châtelet (1741)
Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s'il se peut, l'aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l'Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M'avertit que je me retire.
De son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage.
Qui n'a pas l'esprit de son âge
De son âge a tout le malheur.
Laissons à la belle jeunesse
Ses folâtres emportements ;
Nous ne vivons que deux moments,
Qu'il en soit un pour la sagesse.
Quoi ! pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel qui me consoliez
Des amertumes de la vie !
On meurt deux fois, je le vois bien ;
Cesser d'aimer et d'être aimable,
C'est une mort insupportable :
Cesser de vivre, ce n'est rien.
Ainsi je déplorais la perte
Des erreurs de mes premiers ans ;
Et mon âme aux désirs ouverte
Regrettait ses égarements.
Du ciel alors daignant descendre,
L'amitié vint à mon secours ;
Elle était peut-être aussi tendre,
Mais moins vive que les Amours.
Touché de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis ; mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu'elle.
François-Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778)
Titre : L'amitié qui nous lie.
Recueil : Les oeuvres posthumes (1861)
Le hasard nous a mis sur le même chemin.
Ainsi deux voyageurs sur la plage africaine
Se rencontrent un jour au bord de la fontaine,
Boivent à la même onde et se prennent la main.
Ils s'ignoraient hier ; où seront-ils demain ?
Qu'importe ? Ils se sont vus, et cette heure sereine
Triomphe de l'oubli, froid serpent dont l'haleine
Glace les sentiments éclos au coeur humain.
L'amitié qui nous lie en naissant était mûre.
Qu'ajouterait le temps à ma foi calme et sure !
Le devoir n'est- il pas notre terme commun ?
Bien malheureux d'ailleurs ces gens que rien n'enflamme
Et qui ne savent pas, pauvres de sens et d'âme,
Juger comme les fleurs les amis au parfum !
Edmond Arnould (1811-1861)
3 - La poésie sur les amis et la véritable amitié :