2 - Les pensées et citations célèbres de Laurence Sterne :
L'empire de l'opinion s'étend sur toute l'espèce humaine ; l'opinion ne la gouverne pas en bon maître, ou pour parler d'une manière plus conforme en maîtresse tendre, mais en tyran qui n'ambitionne que le pouvoir, et qui n'aime que la servitude. — L'opinion nous mène par les oreilles, par les yeux, — j'ai presque dit par le nez. Elle embrouille l'entendement humain, confond nos jugements, détruit l'expérience et dirige à son gré nos passions ; en un mot, elle dispose de nos vies, et usurpe la place de la raison qu'elle chasse de son poste.
Le plus sage et le meilleur d'entre nous se laisse bien souvent gouverner par quelque petite vilaine espèce d'opinion dont la domination est aussi déshonorante, et peut-être plus nuisible, puisqu'elle peut souiller tout le cours de notre vie. L'opinion une fois enracinée, devient partie de nous-mêmes, elle vit et meurt avec nous.
Donner des avis, c'est la générosité la moins obligeante qu'il y ait au monde, parce qu'en premier lieu, cela ne coûte rien, et qu'ensuite c'est la chose dont la personne à qui on l'offre croit avoir le moins de besoin. Telle est ma façon de penser !
Il y a dans le monde de mauvaises têtes et de bons cœurs, — de mauvais cœurs et de bonnes têtes. — Maintenant, pour ma part, et ne parlant que d'après l'influence de mes propres sensations, je préférerais la famille des bons cœurs avec toutes leurs bévues, leurs erreurs et leurs extravagances ; mais si j'avais des affaires à traiter, ou des plans à mettre à exécution, donnez-moi la bonne tête !
Peu de personnes ont le tact assez fin pour discerner dans les caractères les différentes nuances qui les distinguent, mais il y en aura toujours, très peu, qui soient assez humains pour se faire un devoir d'employer leur discernement à connaître le cœur.
L'amour n'est rien sans sentiment, et le sentiment est encore moins sans amour.
Une femme mariée est un fruit qu'il n'est pas absolument défendu de cueillir pourvu qu'on laisse l'arbre où on le trouve.
Donner une définition de ce que c'est que l'amour ? Il est en partie dieu et en partie diable.
Je prends plaisir à me jeter dans des difficultés simplement pour faire de nouvelles expériences sur la manière d'en sortir.
Un homme a rarement une offre aimable à faire à une femme qu'elle n'en ait eu un pressentiment quelques instants auparavant.
Quel gros volume d'aventures peut être amassé dans un petit espace de vie par celui qui intéresse son cœur à toutes choses, et qui, ayant des yeux pour voir ce que le temps et le hasard lui présentent sans cesse chemin faisant, ne néglige rien de ce qu'il peut honnêtement s'approprier !
Avez-vous remarqué que Tant pis et Tant mieux sont les deux grands pivots de la conversation française ? Un étranger ferait bien de se mettre au fait de leur emploi avant d'arriver à Paris !
Diviser ses affections, c'est les diminuer ; les trop exposer, c'est les risquer : où il y a risque, il peut y avoir perte.
Il y a des séparations où ni l'un ni l'autre n'ont la force de dire adieu !
Les gens sérieux haïssent l'amour, rien que pour le nom ; les égoïstes le haïssent pour l'amour d'eux-mêmes ; et les hypocrites, pour l'amour de Dieu.
Les Français passent pour s'entendre à faire l'amour mieux que toute autre nation du globe. Quant à moi, je les regarde comme de fieffés maladroits et comme les plus mauvais soldats qui aient jamais servi sous les drapeaux du dieu Cupidon. Croire qu'il entre dans leur amour un grain de sentiment ! je croirais tout aussi bien qu'on peut faire un bel habit avec des pièces dépareillées.
Puisse ton doux visage me sourire, à ton lever, comme l'astre matinal montant à l'horizon !
Dans une âme bien née, la fierté ne peut produire que d'excellents effets.
Les bons cœurs ne doivent ni ne peuvent aimer les mauvais cœurs.
Puisse le Dieu de bonté veiller sur toi et te protéger, à présent que tu es sans appui ! et, pour ta consolation journalière, grave bien dans ton esprit cette vérité : c'est que plus ta part de douleur et de peine sera forte, plus tu auras de bonheur à attendre de l'être éternel, en qui tu as sagement placé tout ton espoir.
La sensibilité est un des premiers biens de la vie, et le plus bel ornement de l'homme.
Les femmes ont une rhétorique surnaturelle à laquelle il est impossible de résister.
L'amitié est le baume de la vie.
L'éducation des enfants pauvres est la pierre fondamentale de toute espèce de charité.
Ceux qui parlent sans cesse de leur santé ressemblent aux avares qui entassent toujours de l'argent sans avoir jamais l'esprit d'en jouir.
N'excitez pas l'envie, et l'on ne s'apercevra point que vous ne méritez souvent que de la pitié.
Le respect pour nous-même, voilà la morale : la déférence pour les autres, voilà les manières.
La gentillesse est une vivacité aimable qui nous vient de Dieu.
Je ne suspecterai jamais la sincérité de mes amis, ils seront toujours mes vrais juges.
L'avarice est le vêtement le plus voisin de l'âme ; c'est le dernier vice qu'elle dépouille.
L'habitude est un des liens du cœur.
La vie n'est qu'un badinage, une épigramme dont la mort est la pointe.
Le monde met si peu de différence entre le pauvre en esprit et le pauvre en fortune ; sur dix il y en a neuf, même sur cent, quatre-vingt-dix-neuf qui se ressemblent si bien, qu'en pratiquant les vertus du premier, on est généralement sûr d'acquérir tout le crédit, ou plutôt le discrédit du second.
Il y a de la dignité dans les chagrins contenus qui ne font appel ni à la compassion, ni à la consolation d'autrui.
A toi, la meilleure et la plus charmante des femmes, je te souhaite une nuit paisible ; mon esprit veillera autour de toi pendant ton sommeil. Adieu.
La vie est trop courte, quand on s'aime, pour la dépenser en de longues absences.
Un pardon accordé trop facilement occasionne la répétition d'une faute.
L'homme est une créature de peu de jours, et ses jours sont remplis de trouble et d'amertumes.
La solitude est la mère de la sagesse.
Un cœur bon en réclame toujours un second, il languit et se dessèche, s'il en est abandonné.
La meilleure façon d'augmenter son bonheur est de le communiquer aux autres.
L'homme miséricordieux a toujours une larme de tendresse prête à couler sur l'infortuné.
L'espérance abrège et adoucit toutes les peines.
L'homme, dans sa jeunesse, est une cire molle dont il faut écarter avec soin le sceau de l'ignorance.
Une bonne conscience est pour l'homme ce qu'est le berceau pour l'enfant.
J'admire la philosophie de celui qui pardonne, mais j'aime le caractère de celui qui sent.
Les franc-penseurs sont généralement ceux qui ne pensent jamais.
L'homme né de la femme est un être de peu de jours, pleins de trouble : il pousse comme une fleur, et il est moissonné comme elle ; il vole comme une ombre, et passe comme elle.
Il ne faut dire son secret qu'à un homme sobre.
Les hommes sont comme les plantes : les unes aiment le soleil, et les autres l'ombre.
Les bons écrits sont comparables au vin : le bon sens en est la force, et l'esprit la saveur.
Le savoir est le dictionnaire des sciences, mais le bon sens est leur grammaire.
On voit souvent le vice marcher en avant, tandis que le mérite modeste chemine derrière.
L'impôt n'est juste qu'autant que la nation consent à s'y soumettre.
Le mensonge est la plus insupportable poltronnerie : c'est craindre les hommes et braver Dieu.
Ne faites point de votre testament un dernier acte de vengeance.
La tolérance est la mère de la paix.
La sympathie est l'aimant de la vie.
La fraude et les vices s'accroissent en raison des impôts.
L'avarice est le vêtement le plus voisin de l'âme, c'est le dernier vice qu'elle dépouille.
La paix et la bienveillance sont les sentinelles avancées de la religion.
La censure est la taxe que l'envie met sur le mérite.
La plus vraie piété est la plus secrète.
Un original est un monstre qu'on admire plus qu'on ne l'estime.
La potence, ainsi que l'arbre défendu du paradis terrestre, donne la mort et la science.
On peut comparer le vin aux amis : le nouveau est potable ; le vieux est généreux, mais il a du marc.
Le désir est une passion dans la jeunesse et un vice dans la vieillesse : quand il sollicite, il est pardonnable ; quand on le sollicite, il est vil.
Nous et nos enfants sommes nés pour mourir, mais aucun de nous est né pour être esclave.
Heureux l'homme qui a navigué sans dangers toute sa vie, et franchi tous les écueils.
La méchanceté est une brutalité dépourvue de principes suggérée par le démon.
L'amour est grand, trois fois grand est son pouvoir pour renouer ce qui a été brisé.
Les reproches de l'homme miséricordieux sont doux et tranquilles ; peu semblables aux efforts que fait sur lui l'homme orgueilleux et inexorable, efforts qui humilient encore plus ceux auxquels il pardonne, ces reproches, dis-je, sont calmes et courtois comme le génie qui veille sur son caractère.
Le sentiment de la douleur d'avoir commis une offense est doux dans un cœur qui ne veut plus la commettre.
La moitié douce et tranquille du genre humain est ordinairement outragée par l'autre ; mais dans cette fatalité, il lui reste un précieux avantage ; elle pardonne : quel que soit le ressentiment de l'injure qu'on fait à l'homme de paix, l'orgueil ne surveille pas de si près le pardon qu'il accorde, que dans le cœur de l'homme superbe.
Le bonheur de l'homme ne consiste pas dans les biens qu'il possède, mais dans ceux qu'il donne.
La pauvreté manque de quelque chose, l'avarice manque de tout.
Une injure à laquelle on ne répond pas expire et s'éteint dans un remords volontaire.
Une bonne comparaison doit être aussi courte et aussi concise que la déclaration d'amour.
Quand le malheur est suspendu sur ma tête, je m'écrie : Dieu, préserve m'en ! Quand il me frappe : Dieu soit loué !
Dans le monde, vous êtes sujet aux caprices de chaque extravagant : dans votre bibliothèque, vous soumettez les hommes célèbres aux vôtres.
Il y a eu des femmes célèbres dans toutes les sectes philosophiques, mais rien n'a égalé le mérite des pythagoriciennes : il fallait se taire et garder le secret.
La langue est une arme qui châtie les dépravations sur lesquelles les lois se taisent ; elle retient dans leur devoir ceux que leur conscience n'y renfermerait jamais ; et lorsque le vice est public, il semble que la médisance ne peut pas rester au nombre des prohibitions.
La différence des jugements que nous portons entre la cécité et la mort, dérive de la différente position dans laquelle nous les jugeons : nous préférons la cécité quand nous sommes en compagnie ; la mort est plus heureuse quand nous sommes seuls.
Nous pouvons imiter la divinité dans quelques unes de ces facultés ; mais nous pouvons l'égaler dans celle de la miséricorde : nous ne pouvons pas donner, mais nous pouvons pardonner comme elle.
Quelqu'un s'exprimait fort heureusement, en faisant l'apologie de son épicurisme ; il disait que malheureusement il avait contracté la mauvaise habitude d'être heureux.
On peut se rendre indigne de la faveur, parce que l'homme a le droit d'en disposer ; mais il n'en est pas ainsi de la charité, car Dieu la commande.
Le brillant de l'imagination et le drame des paroles peuvent fixer quelquefois la morale dans l'esprit ; mais le plus souvent ils rôdent autour de la tête et ne pénètrent pas dans le cœur.
Quand je vois mourir un honnête homme et vivre tant de scélérats, je sens bien emphatiquement la force de ce passage des psaumes : Dieu ne veut pas la mort du pécheur.
Un homme généreux peut être comparé au datif de la grammaire latine, qui n'a point d'articles, et qui ne déclare son cas qu'à la fin de la phrase.
Un esprit chaste, comme une glace pure, est terni par le moindre souffle.
Le ton positif et tranchant est une absurdité ; si vous avez raison, il diminue votre triomphe ; si vous avez tort, il ajoute à la honte de votre défaite.
Il y a de la lâcheté, de la férocité à vouloir violenter les opinions par l'invective, les cachots et le fer.
Celui qui fait croître deux épis de blé où il n'en existait qu'un auparavant est plus utile à l'humanité que les politiques du monde entier réunis.
Un homme est vicieux, ses mœurs sont aussi débordées que ses principes sont erronés, coupable envers le monde entier, il vit couvert d'infamie, et se livre scandaleusement à des crimes que la raison ne peut justifier.
La modestie touche à peine du bout du doigt ce que la libéralité lui présente les mains ouvertes.
La providence a sûrement donné la mauvaise humeur aux vieillards et aux malades, par compassion pour les amis et les parents qui doivent leur survivre : il était naturel qu'elle cherchât à diminuer le regret de leur perte.
Liberté, tu seras toujours douce, et le pain le plus amer te devra une agréable saveur.
Le courage et la modestie sont les deux vertus les moins équivoques, parce que l'hypocrisie ne saurait les imiter.
À mesure que notre famille s'accroît, nos affections augmentent, et avec elles se multiplient les soins et les soucis que nous donne l'établissement de nos enfants. Ces soins nous assaillent si secrètement, ils s'emparent de nous si longtemps, que nous sommes surpris par des cheveux blancs, avant que d'avoir trouvé le loisir de réfléchir sur le temps qui s'est écoulé, les actions qui en ont rempli la durée, et le dessein pour lequel Dieu nous a envoyés dans ce monde.
Le bonheur est un acquiescement tranquille à une douce illusion.