Pour être heureux, il faudrait préférer les nuages au soleil, la pluie au beau temps, la douleur au plaisir, avoir grande envie de rire ou mettre son bonheur à pleurer, n'avoir rien et se trouver trop riche de moitié, prendre que tout ce qui se fait est bien fait, que tout ce qui se dit est bien dit, croire aux balivernes et que les vessies sont des lanternes, se persuader qu'on vit quand on rêve, qu'on rêve quand on vit, adorer des prestiges, des apparences, des ombres, avoir un pont pour toutes les rivières, se payer de belles paroles, nier le diable au milieu des diableries, tout savoir et ne rien apprendre, bouleverser la mappemonde, et mettre enfin chaque chose à l'envers en ce monde.(La vie et les options philosophiques d'un pingouin publiée en 1841).
On est très embarrassé d'être obligé à un malhonnête homme.
L'homme qui passe pour l'animal raisonnable, l'est parfois si peu, qu'il n'a pas seulement l'esprit de s'affranchir des préjugés qui lui sont les plus nuisibles et qui souvent le conduisent au tombeau.
La paresse aime à trouver des opinions toutes faites. Celui qui cherche à être utile à ses semblables se donne beaucoup de mal pour découvrir quelque chose d'avantageux à tous, et ne réussit pas toujours.
Il est plus difficile à un souverain d'être sage qu'à un simple particulier, parce qu'un souverain est un point où viennent aboutir toutes les passions humaines qu'il doit maîtriser, tandis qu'un particulier n'a que ses propres passions, dont il peut se rendre maître par la raison.
À mesure que les peuples se civiliseront et s'éclaireront, ils rougiront de se faire la guerre et de s'entre-tuer pour des causes souvent bien futiles : alors la force physique perdra de son empire et finira par rester exclusivement le partage des brutes.
La sagesse ne consiste pas à passer pour sage, mais à l'être sans paraître tel aux yeux du public.
Le présent appartient à l'âge mûr, l'avenir à la jeunesse, et le passé à tous les âges.
L'amour-propre accompagne l'ignorance ; le vrai savoir marche de pair avec la modestie.
Le patrimoine des sots est le revenu des intrigants.
L'ostentation louche et se précipite par vanité dans toutes sortes d'exagérations.
Si les hommes pouvaient se corriger de leur trop d'amour-propre, ils y gagneraient sous tous les rapports.
La vertu se dissipe à l'approche de l'amour, comme les brouillards devant le soleil.
Il est des hommes qui sont comme les porcs, il suffit de les gratter pour les faire se vautrer dans la fange.
L'enthousiasme patriotique est l'apanage de la jeunesse ; on ne trouve guère qu'égoïsme chez l'homme qui approche de la vieillesse.
L'amour est une passion qui souvent s'encanaille.
Si jamais le droit prend entièrement la place de la force, on verra commencer le siècle d'or.
Quand on propose quelque chose à un homme, il se décide de suite à prendre un parti : si on lui fait des observations qu'il trouve raisonnables, il doute et ajourne sa détermination définitive. Après avoir ballotté entre les divers partis à prendre, il se décide ordinairement pour celui qu'il avait premièrement embrassé. On tient à son idée, mais on ne renonce pas pour cela à examiner celles des autres, que l'on finit presque toujours par trouver inférieures aux siennes ; ce qui n'est souvent qu'un effet de l'amour-propre.
Le pouvoir et le vouloir se disputent la souveraineté.
Les hommes font plus par imitation que par raison.
Celui qui agit avec trop de légèreté manque de jugement.
On aime à être dupe de son cœur, et non d'un tiers.
L'hypocrisie n'est en honneur que parce que les hommes veulent être trompés.
Qui a touché le fond ne peut descendre plus bas.
Les hommes se laissent prendre aux apparences : il est petit le nombre de ceux qui veulent pénétrer le fond des choses.
La civilisation chasse l'ignorance pour faire place à la raison, comme l'industrie détruit les ronces pour les remplacer par des moissons.
Quand on a un peu vécu et vu toutes les extravagantes barbaries dont l'espèce humaine est capable, on ne doit plus s'étonner de rien : on doit plutôt croire que les hommes incapables de profiter du passé ne laisseront rien espérer de bon pour l'avenir.
L'empressement que chacun met à faire adopter ses idées montre assez qu'il les croit préférables à celles des autres.
On voit souvent des boutades irréfléchies en barbe grise et de la prudence dans une jeunesse imberbe.
Il est singulier combien de gens aiment à fouiller dans le passé et qui ignorent le présent : ils ressemblent au philosophe Thalès qui, cherchant à connaître les cieux, se laisse tomber dans un fossé.
La friponnerie vit au milieu de la société comme le ver au milieu d'une plante, et finirait par la faire périr si on ne venait à bout de l'extirper.
L'ignorance de la foule laisse le plus vaste champ possible aux faiseurs de nouveaux systèmes.
La pensée est en opposition avec la force qui est presque toujours brutale.
Chacun veut paraître désintéressé, mais s'y prend de manière à montrer de l'avarice plutôt que du désintéressement.
L'empressement que chacun met à vouloir parler montre assez qu'il pense que ce qu'il va dire vaut mieux que ce que peuvent dire les autres.
Le méchant ne laisse échapper aucune occasion de nuire, et pour cela il a à sa disposition un caractère de caméléon.
Pour être habile en politique, il faut un très grand tact : aussi est-il rare de voir des habiles en ce genre, quoique tout le monde se pique de l'être.
L'homme qui, dans un poste élevé, a une volonté trop prononcée, s'expose souvent à commander des injustices et à se faire des ennemis.
Trop de méfiance finit par donner mauvaise opinion des méfiants.
L'homme fait plus par gloriole et démonstration que par raison.
Le despote est un être à trop courte vue pour voir autre chose que lui dans le monde.
Qui n'aime à avoir toujours quelque chose à désirer ? Le certain est le terme ; l'incertain est l'espérance, que l'imagination peut embellir à son gré. Le mystère a son charme.
Les gens faux croient toujours que personne n'est digne de confiance.
La passion du jeu est, comme toute passion forte, capable de tout.
Quand un grand diseur de riens trouve quelqu'un qui l'écoute, il s'amuse beaucoup à conter ses histoires, parce qu'il s'imagine faire plaisir aux écouteurs, et ne s'aperçoit pas que ce n'est qu'à lui seul qu'il est agréable.
Les hommes qui ne se voient qu'un instant sont généralement portés à avoir bonne opinion les uns des autres ; ils louent les autres pour être loués à leur tour. C'est le beau côté de la société.
L'homme à pensées fortes cherche à se détacher des objets extérieurs qui éblouissent la foule.
Il est parfois curieux de voir combien quelques hommes sont habiles à se créer de certains devoirs, dont ils trouvent mauvais de s'éloigner.
La philosophie semble s'éloigner de l'homme à mesure qu'il s'avance dans les grandeurs.
Le vrai philosophe ne se trouve guère que dans une position médiocre ; quand on est en vue. Dans un poste élevé, on n'est plus chez soi, et adieu la philosophie : elle fuit le train du monde.
L'homme qui a de la fortune croit posséder des richesses, et ce sont elles qui le possèdent et ne lui laissent aucun repos.
La sottise s'entoure de toutes sortes de colifichets pour se faire remarquer ; le mérite réel, fort de lui-même, est modeste.
Celui qui a été brave une fois en sa vie est fort content de penser qu'on le regardera toujours comme tel.
La nature est toujours la même, il n'y a que les individus qui changent.
Dans la conduite ordinaire des hommes, il y a plus de déterminations irréfléchies que de démarches prudentes.
On est plus enclin à la critique malicieuse qu'à l'indulgence.
Tous les jours on demande à vieillir, et tous les jours on se plaint d'être vieux.
Ce qui manque le moins et ce qu'on a le plus, est la paresse.
Il y a des gens qui se croient très habiles, parce qu'ils se retranchent dans leurs faussetés et ne sauraient montrer de la franchise en rien.
Le bonheur des uns est parfois de voir les autres dans l'embarras.
Ce qu'il y a de bon dans l'instruction, c'est qu'elle laisse toujours quelque chose à désirer. S'il y avait un point de savoir tout, et où il ne fût plus permis d'apprendre, on n'en serait pas plus satisfait que de l'ignorance.