Besoin d'écrire, besoin de penser, besoin d'être seule, non pas seule, mais avec toi mon frère et Dieu. Depuis ta mort, je me trouve isolée au milieu de tous. Ô solitude vivante, que tu seras longue !
Toi au ciel mon frère, et moi sur la terre ! la mort nous sépare ! Mon âme vit dans un cercueil. Oh ! oui, enterrée, ensevelie en toi, mon frère ; de même que je vivais en ta vie, je suis morte en ta mort. Morte à tout bonheur, à toute espérance ici-bas. J'avais tout mis en toi, comme une mère en son fils.
Tout dort, grand clair de lune à ma fenêtre, le chien recoquillé sur ma peau de loup, gronde en rêvant, le ciel est bleu, la nuit tranquille. Au ciel pas un nuage, mais quelques pensées tristes passent dans mon cœur. Ô sommeil, pose la main sur mon front et emporte mon esprit dans la région des songes ; retrempe mon courage, rends-moi la paix.
Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur pour éclore ; après avoir souffert, il faut souffrir encore.
Si vous saviez tout ce qu'on souffre, hélas ! À n'être plus aimée, alors qu'on aime encore ! N'avoir que le mépris d'un époux qu'on adore ! Tant de secrets ennuis ! de douloureux combats !
Le plus triste, hélas, de toutes les vieillesses, c'est la vieillesse de l'amour.
Seul ici bas sur terre, il n'est pas en ce monde une âme qui s'intéresse à moi, ni parent, ni ami, pas une pensée fraternelle où puisse se réfugier mon âme solitaire, pas un être qui, me voyant triste et pleurant, me serre la main en me disant : Qu'as-tu ? Le passé ne m'a laissé que des souvenirs désolés. Je porte en moi un deuil qui s'étend sur toutes choses : mon présent est désert, mon avenir désenchanté.
Hélas ! après avoir perdu un être cher, les arbres retrouveront leur verdure et les fleurs leur parfum ; un feu secret circulera dans toutes les sèves ; tout revivra après cette mort, et tout renaîtra pour aimer : moi seule je n'aimerai plus ; et le temps, en s'écoulant, ne peut m'apporter d'autre bien que de m'approcher de mon dernier jour.
Sans toi mon cœur est triste, il étouffe, il palpite violemment ; je veux respirer, et de longs et profonds soupirs s'échappent de ma poitrine. Un feu brûlant court dans mes veines et me consume ; des larmes amères mouillent mes yeux et ne me soulagent pas. Que faire ? où porter mes pas ? pourquoi rester ici ? pourquoi aller ailleurs ? J'irai lentement errer dans la campagne ; là, choisissant des lieux écartés, j'y recueillerai quelques fleurs sauvages et desséchées comme moi, quelques soucis, emblèmes de ma tristesse : je n'y mêlerai aucun feuillage, la verdure est morte dans la nature, comme l'espérance dans mon cœur. Dieu ! sans toi, que l'existence me pèse !
Je n'en puis plus, la langueur m'accable ; l'ennui me dévore, le dégoût m'empoisonne ; je souffre sans pouvoir en trouver le remède ; le passé et l'avenir, la vérité et les chimères ne me présentent plus rien d'agréable ; je suis importune à moi-même ; je voudrais me fuir et je ne puis me quitter ; rien ne me distrait, les plaisirs ont perdu leur piquant, et les devoirs leur importance. Sans toi mon amour, je suis mal partout.
Hélas ! il est facile de prescrire la patience ! Si vous étiez, comme moi, placée entre ceux qui vivent encore et ceux qui ne vivent plus, vous seriez, comme moi, agitée d'une sombre colère, et tourmentée d'un insatiable désir d'être quelque chose, de commencer la vie, ou d'en finir avec elle.
Dormir toujours, que cela doit être bon, quand on n'a plus rien en soi qui vaut le plaisir de veiller !
Heureuse, si plutôt la mort tranchant mes jours, de mes longues douleurs eût abrégé le cours !
J'en jure par la mort, dans un monde pareil : non, je ne voudrais pas rajeunir d'un soleil, je ne veux pas d'un monde où tout change, où tout passe, où tout s'use et tout s'efface.
J'ai vécu ; j'ai passé ce désert de la vie, où toujours sous mes pas chaque fleur s'est flétrie.
Le temps, qui me prend par la main, m'avertit que je me retire.
Il existe souvent une certaine fleur qui s'en va dans la vie, et s'effeuille du cœur.