L'insécurité fondamentale du joueur : quels que soient sa notoriété, sa compétence, son courage, sa situation professionnelle, son revenu, il est certain de perdre plus vite l'argent qu'il ne le gagne.
Les joueurs de machines les plus observateurs savent seulement que, depuis dix ans, on gagne moins à jeu égal, les jackpots ayant été, peu à peu, révisés à la baisse.
Un joueur est heureux, il gagne et persiste à jouer. Mais il finit par rencontrer une mauvaise veine ou un joueur plus malin que lui qui le gagne. Il perd tout et se ruine ; cela se voit tous les jours, d'où le proverbe : Ce qui vient de la flûte retourne au tambour.
Le joueur a le pourboire facile. Pour que son vice le plus coûteux ne s'ennuie pas tout seul, il boit tantôt pour arroser ses succès, tantôt pour oublier ses défaites. Le joueur n'a jamais l'impression de perdre son temps puisqu'il se met en position de gagner de l'argent.
Un véritable joueur trouve toujours de l'argent pour entretenir son vice ; lorsqu'il perd, il continue à vivre sur le même pied en hypothéquant ses chances futures ; lorsqu'il gagne, l'argent lui brûle les poches qu'il n'a de cesse de dépenser, souvent pour acheter la complicité de sa compagne.
Joueur : Un joueur. Un vrai. Il risque des centaines d'euros sur le tapis vert mais il a gardé son manteau pour économiser les cinquante centimes du vestiaire.
Joueur : Adepte du risque immobile, guerrier caracolant sur les vertes prairies ludiques, le joueur est capable de remettre en cause sur un coup de cartes ou de dés le fruit d'une année ou d'une vie de labeur.
Joueurs : Seuls contribuables volontaires et derniers aventuriers d'une société d'assistés, ils opposent un indécrottable optimisme au cruel calcul des probabilités.
Une fois les cartes rangées, l'habileté du joueur intervient. Il s'agit de tirer d'un bon jeu le meilleur parti, ou de se défendre héroïquement, d'éviter le désastre complet avec un jeu lamentable.
Tristan Bernard - Nicolas Bergère, joies et déconvenues d'un jeune boxeur (1911)
J'avais cru qu'un certain atavisme avait fait de moi un fin connaisseur en matière hippique. Je sais ce que cette croyance m'a coûté aux guichets du Mutuel. Il n'est pas plus déshonorant d'acquérir de l'argent en gagnant des courses qu'en portant des fardeaux ou en écrivant des livres.
Un joueur endurci se console toujours d'une forte perte. À l'aide du raisonnement suivant : De quatre hypothèses l'une : ou je ne jouerai plus ; alors vraiment ce n'est pas payer trop cher ma guérison. Ou je jouerai encore et je gagnerai ; alors je n'ai pas besoin de m'affliger, puisque je dois rattraper tout ou partie de ma perte. Ou je jouerai encore et je ne ferai aucune différence ; alors j'aurai la satisfaction de m'amuser au jeu sans que ma situation empire. Ou je jouerai encore et je perdrai ; alors ma situation actuelle est encore moins triste que ma situation future. Et j'ai le temps de me faire de la bile plus tard.
Tristan Bernard - Nicolas Bergère, joies et déconvenues d'un jeune boxeur (1911)
Quand on est joueur, il faut jouer.
Joseph Méry - Le chariot d'enfant, IV, VI, 4 (1850)
Les joueurs ne sont pas attirés par l'appât du gain, même ceux qui le croient. Ce qu'ils aiment dans le jeu, souvent sans s'en rendre compte, c'est le nombre des péripéties, qui décuple, qui centuple leur vie.
Au fond du joueur invétéré, presque professionnel, il y a d'habitude un paresseux, un impuissant, un égoïste sans énergie, avide de jouissances vulgaires et imméritées, un mécontent et un raté.
Il en est de la vie comme d'un jeu où l'on emploie les dés : si on n'amène pas le coup dont on a besoin, il faut que la science du joueur corrige le sort.
Un joueur est comme un avare, il est toujours pauvre ; il n'oserait toucher à l'argent qu'il a en son pouvoir ; il est sacré pour lui, il ne s'en regarde que comme le simple dépositaire, il appartient tout au jeu.