Le chagrin est un enseignement cruel. On apprend combien le processus du deuil peut être brutal, combien il peut être lourd de colère. On apprend combien les condoléances peuvent paraître creuses. On apprend combien le chagrin est question de langue, l'échec de la langue et la tentative de s'y raccrocher.
Si le temps apaise nos deuils, c'est moins par l'éloignement grandissant où il les met de nous qu'en épuisant une à une les sensations douloureuses amenées par le retour successif des saisons et des passages où nous nous sommes trouvés avec l'être regretté. Quand nous avons traversé le premier hiver, solitaire au coin du foyer, quand nous avons vu seul reverdir un printemps, alors seulement nous pouvons espérer de trouver un peu d'oubli.
Dans notre égoïsme, nous voudrions que le soleil se voilât et s'obscurcît pendant nos deuils, sans songer qu'au même moment il doit, ailleurs, éclairer des fêtes et des joies.
Chacun aura dans sa vie sa part de douleur et de deuil, plus ou moins sévère. C'est garanti dès le départ. Et chacun mourra, un jour ou l'autre. Sur ce point précis, nous ne nous distinguons pas de l'ensemble du vivant. Tout ce qui a eu un commencement aura une fin.
Ô mon Dieu, que l'on s'en va vite de ce monde ! Le soir, quand je suis seule, toutes les figures de mes proches morts me reviennent. Mes pensées prennent toutes le deuil, et le monde me parait aussi triste qu'un tombeau.
Il y a une espèce de fraternité qui se forme à première vue entre ceux que le malheur a frappés. Lorsque vous avez longtemps porté le deuil, vous vous sentez attiré vers chaque robe noire que vous rencontrez.
Les étrangers critiquent votre tristesse selon le degré de parenté qui vous unissait au défunt. Le monde mesure vos morceaux de crêpe et pèse vos larmes.
Le premier jour qu'une femme est veuve, elle n'a que deux partis à prendre : ou le chagrin la tue, ou bien il la laisse vivre. S'il la tue, tout est fini : il n'y a plus de chagrin ; s'il la laisse vivre, il faut bien qu'elle se décide ; on pleure plusieurs semaines, on est triste pendant des mois, et on a le reste de sa vie pour se consoler.
La joie est bordée de deuil, et quand les hommes se disposent à rire, la sage Providence leur apprête à pleurer pour les convaincre de leur vanité.
On se fait une parure d'une douleur éclatante : la perte d'un époux va bien aux blondes à cause du deuil, et à toutes les femmes à cause de l'exhibition publique de vertus qu'elle autorise.
Les fleurs, comme nos plus vraies amies, s'associent à toutes les émotions de notre âme. Les fleurs pavoisent nos fêtes, témoignent nos sympathies, suivent nos deuils.
Un deuil de convenance est toujours commode : chacun en profite pour élaguer de sa vie ce qui l'ennuyait. L'un ne sort plus, mais reçoit encore ; l'autre sort, et ne reçoit plus ; ce sont des vacances noires.
L'invention du lilas pour deuil est une invention analogue à celle de la sarcelle, de la macreuse et de la poule d'eau comme nourriture maigre de carême, c'est un de ces nombreux accommodements qui se font tous les jours avec le ciel comme avec le monde.
Lorsqu'un grand citoyen descend dans le cercueil, ce jour, pour la patrie, est un long jour de deuil.
Il ne faut pas s'ensevelir dans son deuil, s'enterrer dans son chagrin ; quoi qu'il en coûte, il faut sortir de soi. Malheureusement, toute occupation paraît rebutante, odieuse à l'homme qui souffre.
L'homme sensible et bon, dont les jours n'ont point eu d'éclat, ne laisse point de triomphes, de statues, de palmes pour rappeler son passage sur la terre, mais l'amitié conserve son souvenir. Des regrets sincères, un deuil constant prolongent sa vie dans les cœurs qu'il chérissait ; et si ses paroles et ses bienfaits ne font plus d'heureux, sa mémoire et son exemple font encore du bien.
L'enterrement : Dernière rencontre d'un mort et des vivants. Depuis que le deuil ne se porte plus avec un voile, une cravate ou un brassard mais devant les yeux, les people réunis pour un dernier adieu à l'un des leurs ont toujours l'air d'arriver de la plage. À croire que seules des lunettes de soleil sont capables, en toutes saisons, de cacher un chagrin ou de dissimuler l'absence d'icelui.
Décence : Après un deuil, le temps qu'on s'est fixé pour retrouver le sourire correspond rarement au délai fixé par les autres.
Je suis en deuil, je pleure, j'ai peur ; un peu de fraîcheur, Seigneur.
Deuil : Dans la panoplie de ses signes extérieurs, les verres fumés ont remplacé le brassard et la cravate noirs qui attestèrent longtemps la tristesse éprouvée après une disparition. L'autre jour, à l'enterrement d'un notable corse, les lunettes de soleil étaient si nombreuses qu'en l'absence de l'astre des jours on ne pouvait expliquer leur utilisation que par le désir de cacher son absence de peine, son chagrin ou ses traits.
Les religions seraient plus humaines si, après un deuil ou une catastrophe, le fidèle pouvait passer un savon à la divinité.
Femme veuve porte le deuil aux dépens de son mari.
Je reviens d'enterrer ma tante, je l'ai mise dans son cercueil, elle me laisse assez de rente pour me permettre un joli deuil ! Elle est dans un coffre de chêne où tout de son long on peut tenir ! Il ne faut pas que ça la gêne ! où y a d'la gêne, y a pas de plaisir.
Je porte mille deuils qui ne m'appartiennent même pas. Des jeunes gens, des jeunes femmes, que je rencontrai une ou deux fois et dont j'ai appris soudain la mort, m'apparaissent et deviennent mes familiers. Je rêve presque continuellement à eux.
Le futur sera-t-il un jour de fête ou un jour de deuil ? Nul ne sait, sauf Dieu.
Je comprends toute l'amertume de l'affliction que vous avez ressentie, et j'y dois sympathiser d'autant plus vivement, qu'il n'y a pas un degré de la douleur que peut nous causer la perte d'un des êtres de notre affection, que l'expérience ne m'ait appris à mesurer. J'ai toujours éprouvé que le temps et le silence étaient le seul remède. Or ce remède adoucit seulement, mais n'efface jamais les regrets profonds que le souvenir ne cesse de renouveler jusqu'à ce que la mémoire soit éteinte avec la vie.
La mélancolie et la toilette de deuil donnent aux femmes une profondeur d'expression plus belle que la beauté même. Les yeux humides et le teint recueilli exercent la plus pénétrante des séductions, ils touchent. La douceur résignée émeut et captive plus encore que la grâce brillante, et qui ne préfère cent fois à la splendeur de la Vénus la langueur de la Madone ? C'est qu'il y a plus d'âme dans le chagrin que dans la joie, dans une larme que dans un sourire, et que ce qui charme, attire, touche, saisit, enchaîne, c'est l'âme.
Un voile épais et lugubre s'est élevé dans mon âme entre la nature et moi. La scène du monde, si riante, si animée, n'est plus à mes yeux qu'un champ de deuil où triomphe la mort. Comment dire : Ceci est, puisque tout passe et s'écoule avec la rapidité d'un torrent ; et qu'emportée par les vents en furie, brisée contre les écueils, chaque créature disparaît à son tour, ensevelie dans les flots du temps ?
Chaque jour apportez une joie à votre mère, c'est ce que je vous dis gravement du haut de mon deuil.
Les morts dont la maladie a été lente sont moins pleurés. Leur deuil a fait son temps d'avance.
Qu'on est dégoûté de l'espèce humaine en voyant combien peu d'effet produit une mort, même dans une famille ! Une mort, c'est une pierre qui tombe dans l'eau ; autour d'elle quelques ondes, puis engloutissement, repos et oubli.
La pensée qu'une femme en deuil vient prier sur vos cendres dix ans après que vous avez disparu de la scène du monde, donne du prix à l'existence.
La tombe est un berceau, le secret de la mort, c'est la résurrection. Les ténèbres n'existent que pour être vaincues par la lumière, le deuil que pour relever l'allégresse.
Au fond de toute chose est la tristesse, comme au bout de tous les fleuves est l'océan. En pourrait-il être autrement dans un monde où tout ce que nous aimons doit mourir ? Le silence et l'immobilité, voilà la fin de toutes nos agitations ; la mort, voilà le secret de la vie ; le deuil enveloppe de près ou de loin l'âme comme la nuit enveloppe l'univers.
Au premier jour d'un deuil, on pense à celui qu'on aimait et qui n'a plus la joie de vivre : on est ému et on pleure. Plus tard on pense à soi, à l'affection qu'on a perdue, à l'appui que cette affection nous donnait dans les misères de la vie : la tristesse succède aux larmes, à l'émotion le découragement. Puis la vie reprend son cours, les habitudes se creusent un nouveau lit. Le disparu n'a pas cessé de nous être cher, mais nous n'avons plus sans cesse devant les yeux l'image effrayante de la mort, ni dans le cœur le déchirement de la séparation. Le temps a fait son œuvre, nous sommes consolés.
Une visite de condoléances est cruelle. La famille en deuil, lasse de pleurer, se reprenait à vivre. Rappelée au devoir de la douleur, il lui faut rouvrir sa blessure pour se montrer aussi triste que le visiteur est ému.
Songe que chaque mortel doit payer sa dîme à la douleur, au deuil, à la tristesse, à la privation, et acquitte sans révolte ta part de redevance. Vieillir, c'est déchoir, c'est subir à la fois la diminution, le démembrement, l'appauvrissement du corps et de l'esprit.
La seconde moitié de notre vie n'est employée qu'à porter le deuil de la première moitié.
Lorsqu'on est en deuil de ses père et mère, on doit porter l'expression de sa douleur.
Un deuil est une bonne fortune pour une femme, et la raison pourquoi je ne me marierais jamais, c'est de peur que ma femme ne se défasse de moi pour porter mon deuil. Le noir va si bien aux femmes !
Les habits de deuil ont beau s'user et blanchir : le cœur reste noir.
Dans les premiers jours d'un deuil, d'une affliction, ou même d'un grave et injuste échec, la souffrance est souvent telle que toute consolation serait vaine. L'ami ne peut alors que garder le silence, respecter, plaindre, entourer, attendre.
Les grandes joies et les grandes douleurs ouvrent le cœur à la compassion. Mais les bonheurs sont trop fugitifs pour laisser sur notre âme une empreinte durable : ce sont les deuils qui inspirent les réels sacrifices et les longs dévouements.
Les joies qui satisfont la conscience sont les seules que puisse supporter un cœur en deuil : toute autre joie lui semble une insulte à sa douleur, un outrage à l'être pleuré.
Le mari fait perdre le deuil à sa femme, mais non la femme au mari.
C'est le plus réjoui qui porte le deuil le plus ostensible.
La symétrie, c'est l'ennui, et l'ennui est le fond même du deuil.