C'est le sentiment de notre dépendance qui fit les dieux et les religions. La foule n'est platement dévote que parce qu'elle est malheureuse : rendez-la riche demain, elle joindra à l'insolence un petit grain d'athéisme tout à fait réjouissant.
Bien souvent le journaliste me fait l'effet d'une sorte de condensateur qui recueille les lieux communs flottant dans l'air, et les verse en pluie d'encre sur la foule.
Je crois très peu aux masses, aux foules, à toutes les rengaines et ferblanteries démocratiques. Je crois aux individus de mérite, c'est-à-dire à quelques hommes, non à l'ensemble. Ce n'est pas là dédaigner l'humanité, car l'élite et la tête de l'humanité en font partie. Mais je crois que le progrès se fait par les meilleurs, par le petit nombre, par les êtres de choix, les grands cœurs, les génies, les héros, les martyrs, les inventeurs, les penseurs, c'est-à-dire par la fleur et l'aristocratie de l'humanité, et que le reste, le tissu cellulaire, les viscères, les muscles de ce grand corps, bénéficie du progrès, mais reçoit dix fois plus qu'il ne donne !
La foule est comme la mer, elle vous porte ou elle vous engloutit, selon le vent.
Les comètes et les grands hommes laissent une traînée de lumière, dans laquelle s'agite une foule d'atomes.
Il n'y aurait pas de martyrs, s'il n'y avait pas de foule.
Les hommes de génie apportent la substance de l'histoire, tandis que les foules ne sont que le filtre critique, la limitation, le ralentissement, la négation, nécessaire mais passive, des idées apportées par le génie. La bêtise est dynamiquement le contrepoids indispensable de l'esprit. Il faut beaucoup, il faut les trois quarts d'azote mélangé à l'oxygène pour faire l'air respirable et vital ; pour faire l'histoire il faut beaucoup de résistance à vaincre et de masse à traîner.
La foule des esprits lourds, lents, empêchés, mal faits nous vole notre temps. On sent qu'on ne peut les débrouiller et, pour ne pas piétiner dans leur ennuyeux embourbement on cherche le sentier escarpé de la montagne.
L'adulation de la foule pour se faire de la foule un instrument, tel est le jeu de ces escamoteurs et prestidigitateurs du suffrage universel. Ils ont l'air d'adorer le pantin dont ils tirent les fils.
La foule est un monstre décervelé que la conscience humaine de quelques-uns suffit à abattre.
Deux choses troublent ma foi spiritualiste : l'abêtissement d'une foule d'hommes et l'esprit d'un certain nombre de bêtes.
La promptitude de la foule aux emballements a pour contrepartie sa promptitude aux paniques.
Dans toutes les grandes crises, il se lève des hommes qui personnifient l'idée ou la passion du moment ; la foule court vers eux comme les soldats au drapeau.
L'empressement de la foule à accepter tous les genres de despotisme explique celui des habiles à en rechercher les profits.
Fortes devant ce qui est faible, les foules ont de la générosité quelquefois, de la cruauté souvent, de la lâcheté toujours.
La seule excuse de celui qui grise la foule du vin fumeux de la parole est qu'il s'en grise le premier.
Qui spécule sur la crédulité de la foule n'a pas à craindre d'aller trop loin.
Il y avait jadis une société, il n'y a plus que des foules.
Une nature commune prête plus à la popularité qu'un esprit élevé : il ne faut pas être trop au-dessus de la foule pour agir sur elle.
La foule ne peut pas se passer des hommes éminents ; et les hommes éminents lui sont toujours importuns.
Puisque la foule est composée d'individus, il est naturel que nous ne pouvons compter que sur les qualités les plus ordinaires ; et, parmi ces qualités, hélas ! ne se trouvent ni le bon sens, ni la justesse de l'esprit, ni la reconnaissance.
Quelquefois du côté du petit nombre se trouve la vérité, tandis que la foule applaudit à l'erreur.
Faire appel aux passions vulgaires de la foule, n'est pas gouverner.
Je n'ai de goût à parler qu'avec ceux que j'aime, et ceux qui m'aiment, et je sens trop que je suis indifférent à la foule pour désirer sortir du silence avec elle.
Le bain de foule est au politicien ce que le lavement des pieds est au souverain pontife : Un contact épidermique mais le savon en moins.
Le premier souci du politicien : Saluer la foule en levant les deux bras sans que sa chemise sorte de son pantalon.
Les idées, quand elles tombent dans la foule, elles perdent leur éclat, leur saveur, leur fécondité, surtout leur complication. Elles deviennent schématiques et caricaturales, elles tournent au poncif ; bref, elles sont prêtes à servir de machines de guerre ou de projectiles.
La foule fait la haie ; elle est enthousiaste ; elle s'écrie : « Dieu, que Sa Majesté est donc bien habillée aujourd'hui ! » Jusqu'au moment où un petit garçon, trop jeune pour être infecté par le conformisme, dit avec étonnement : « Mais l'empereur est nu ! » Et le charme est brisé.
La foule des faux amis s'attelle à la richesse, elle s'éprouve à l'heure où sonne la détresse.
Les foules sont plus cruelles dans leurs joies que dans leurs douleurs.
Quand le maître décrète : « Celui-ci est bon, celui-ci est méchant », la foule acclame l'un de confiance et, encore de confiance, lapide l'autre.
La foule, c'est-à-dire l'opinion publique, ne sait jamais, toute seule, où elle va : elle a besoin qu'on lui indique des routes, dans lesquelles elle s'engage, ou plutôt dans lesquelles elle se rue.
La foule irréfléchie adopte aisément les opinions les plus extrêmes ; savoir donner une heureuse direction à ce penchant naturel de l'homme, est ce qui caractérise le vrai législateur.
Il suffit à la foule de la vue du sang pour lui en donner la soif, comme la première coupe de vin est le prélude d'une longue débauche.
La foule est toujours une preuve de la plus mauvaise cause.
La foule ne peut se passer des hommes de talent ; cependant les hommes supérieurs lui sont toujours à charge.
Les foules ne créent pas l'opinion mais lui donnent sa force. Une opinion populaire devient vite contagieuse.
Le foule comprend rarement quelque chose aux évènements qu'elle accomplit.
Il y a dans toute foule des hommes que l'on ne distingue pas, et qui sont de prodigieux messagers. Et sans le savoir eux-mêmes.
Marcher dans la foule signifie ne jamais aller plus vite que les autres, ne jamais traîner la jambe, ne jamais rien faire qui risque de déranger l'allure du flot humain.
Ceux qui recueillent les faveurs de la foule sont comme des esclaves qui auraient des millions de maîtres.
Les foules n'estiment jamais que ce qui les brave.
Ce qui m'attriste le plus dans les foules, c'est la laideur. Il viendra sans nul doute un moment où l'humanité tout entière sera laide. Mais l'amour survivra à la beauté, on verra des monstres se sourire et s'accoupler.
L'ignorance de la foule laisse le plus vaste champ possible aux faiseurs de nouveaux systèmes.
Nous n'acquérons le droit de mépriser la foule qu'en la forçant à nous estimer.
La vie est une foule où chacun tire à soi.
La foule dore ce qu'elle adore.
Dans la foule, l'imbécile, l'ignorant et l'envieux sont libérés du sentiment de leur nullité.
Pour la foule, la réussite a presque le même profil que la suprématie.
La preuve du pire, c'est la foule.