Gardez-vous de jamais sacrifier le connu à l'inconnu. On juge sûrement de ce que l'on connaît, on ne peut que juger au hasard de ce qu'on ne connaît pas.
Les bras d'une inconnue sont quelquefois moins trompeurs que certaines poignées de main ou que certaines effusions. Ils sont au moins sans lendemains, ces embrassements, et donc sans trahison !
Quand on commence à aimer, c'est qu'on a cru découvrir dans un être humain je ne sais quoi d'inconnu, un secret qui attire et qui trouble. L'amour vit de mystère ; c'est une passion nocturne, et la lumière tue ce fils des ténèbres. Il n'y a que les âmes divines qui puissent tout à la fois aimer et connaître.
J'aime le jeu, l'inconnu, l'aventure : j'aime à n'être pas où l'on me croit ; c'est aussi pour être où il me plaît, et que l'on m'y laisse tranquille. Il m'importe avant tout de pouvoir penser librement.
Ce qui rend la pensée de la mort si effroyable, c'est d'être seul pour affronter l'inconnu ; si on pouvait aller à la mort avec ce qu'on aime, la mort aurait l'attrait du vertige et semblerait éterniser l'amour.
Ce que j'abomine, c'est d'affronter l'inconnu et de me livrer à la merci de la destinée. Mais impossible d'échapper à l'inconnu : dans chaque cas il se trouve sous une forme ou sous une autre. Impossible aussi d'échapper au remords, qu'on agisse ou s'abstienne.
Pour bien juger, il faut connaître. Et le seul moyen de connaître est de décomposer l'objet inconnu. Si l'analyse n'en donne pas toujours les principes, ou parce que ces principes sont au-dessus de l'intelligence humaine, ou par quel qu'autre raison que ce soit, elle y découvre au moins une infinité de rapports qu'on ignorerait absolument sans elle.
La pensée de rester toute ma vie complètement inconnu n'a rien qui m'attriste. Pourvu que mes manuscrits durent autant que moi, c'est tout ce que je veux. Je les ferais enterrer avec moi comme un sauvage fait de son cheval.